Le passé familial d’Alexandre van der Bellen, le rival de Norbert Hofer dans la course à la Hofburg, comprend de nombreuses zones d’ombre, notamment depuis que la famille a quitté l’Estonie début 1941 et rejoint l’Autriche après avoir transité par le Reich allemand. Question qui soulève des polémiques depuis quelques années. La dernière en date a éclaté lors d’une table ronde[1] consacrée à l’analyse d’un duel télévisé[2] entre les deux candidats à la présidence. La conseillère communale du FPÖ Ursula Stenzel provoqua un scandale en insinuant en plein direct que les parents d’Alexandre van der Bellen avaient un passé national-socialiste. «L’on soupçonne que ses parents auraient au minimum flirté avec les nazis. Si van der Bellen était mieux conseillé, il clarifierait cette tache sur son histoire familiale», a-t-elle souligné.

Ursula Stenzel, conseillère municipale du FPÖ (Parti de la liberté).
Ursula Stenzel, conseillère municipale du FPÖ (Parti de la liberté).

En effet, témoignages et recherches historiques, dont celles de Shraga Elam auteur de Hitlers Fälscher[3], viennent nous éclairer. Le père d’Alexandre van der Bellen n’était probablement pas membre du NSDAP, notamment de l’Organisation des Allemands de l’étranger (AO, Auslandsorganisation) ou du VDA (Volksbund für das Deutschtum im Ausland, Union populaire pour la germanicité à l’étranger, qui soutenait les minorités allemandes vivant en dehors des frontières du Reich depuis le traité de Versailles, quelle que fusse leur nationalité). Néanmoins, il a dû entretenir d’excellents contacts avec les hautes autorités du NSDAP ou du Service de la sécurité/des renseignements (Sicherheitsdienst, SD), sans lesquels sa «fuite» à Kaunertal juste avant l’arrivée de l’Armée Rouge à Vienne[4] est inexplicable.

Il suffit de se rappeler que, depuis le 30 mars 1945, à Vienne et dans l’ancien Reichsgau[5] (province) du Haut-Danube, en Haute-Autriche, premier refuge des parents, des cours martiales avaient été instaurées et que le corps de gendarmerie (Feldgendarmerie) faisait la chasse aux déserteurs. 

En admettant que le père de van der Bellen n’ait pas été apte au combat – ce qui n’a jamais été revendiqué jusqu’à présent –, il aurait pu au minimum être réquisitionné. Au lieu de cela, les nazis ont mis à sa disposition un appartement au premier étage de la Maison des douanes de Feichten, lieu-dit rattaché à Kaunertal.

Faux billet de 5 £
Faux billet de 5 £

Comment un ancien ressortissant russe, estonien et soviétique a-t-il pu atterrir dans la vallée reculée de Kaunertal reste un mystère. Ce n’est sans doute pas un hasard si, à cette époque, le Sturmbannführer[6] Friedrich Schwend (alias Dr Fritz Wendig) se trouvait également à Kaunertal où, au service du SD, il était chargé de la distribution de l’or et des faux billets imprimés dans le cadre du projet secret de l’Opération Bernhard[7]. La proximité de la Suisse et de l’Italie s’avérait très avantageuse.

Après 1945, le père d’Alexandre van der Bellen gagna sa vie en faisant des affaires avec l’Espagne et l’Amérique du Sud. Ses compétences linguistiques en russe, estonien et anglais ne lui ont sans doute pas été d’une grande utilité. Tous les hauts gradés SS, les membres de la Waffen SS et du SD qui s’étaient réfugiés dans ces pays parlaient de toute façon l’allemand.

Deux poids, deux mesures

Il n’est certes pas question ici de reprocher tout cela à l’actuel candidat à la présidence, il est possible qu’il n’en ait d’ailleurs pas la moindre idée. Néanmoins, l’on peut reprocher aux «journalistes de qualité» un manque d’intérêt flagrant dans cette affaire. En effet, s’il y avait la moindre zone d’ombre dans l’histoire familiale de Norbert Hofer, il serait sommé par ces mêmes journalistes de s’expliquer, de répondre à moult questions et spéculations. Voire de se retirer de la vie politique. Diabolisation oblige!

Mme Stenzel semble en effet avoir tapé dans le mille…

Ce n’est pas la première fois que le patron des Verts est confronté à cette question. En 2007, le gouverneur du Tirol, Herwig van Staa[8] (ÖVP), avait affirmé que le père de van der Bellen avait été un nazi de «haut rang». À l’époque, van der Bellen rejeta cette assertion avec colère et qualifia ces déclarations de «répugnantes et de minables». «Je ne sais rien de tout cela. Si van Staa a des preuves en mains, je les étudierai avec intérêt ; s’il n’a pas de preuves, il ferait mieux de s’excuser publiquement.»

Entre-temps, van Staa s’est exprimé sur oe24 et a précisé qu’il n’avait jamais traité le père de van der Bellen de nazi de haut rang. «Il est vrai qu’en tant que gouverneur, j’ai constaté que certains demandeurs d’asile n’étant pas de souche allemande avaient de par la loi en vigueur perdu leur statut d’asile et avaient été expulsés. Quand une expulsion pour absence de preuve d’identité ou refus des pays d’origine de reprendre leurs ressortissants n’était pas possible, les demandeurs d’asile devaient être internés jusqu’à ce qu’ils révèlent leur identité.»

«Position que je partage encore aujourd’hui intégralement, et qui fait dire à l’ex-président des Verts que je veux créer cent Guantanamos, essayant ainsi de me reléguer dans l’extrême droite.»

«[…] Quand, pendant la guerre, une famille venant d’Estonie trouvait refuge dans ‘l’Allemagne nazie’ et, en 1944, quittait Vienne pour Kaunertal dans le Tirol, cela n’était possible qu’avec le consentement de l’ancien système ou la protection d’un rang nazi de haut rang.»

«[…] A l’époque, j’ai écrit personnellement à M. Van der Bellen et l’ai autorisé à publier cette lettre, ce qu’il n’a jamais fait.»

Quelques extraits du livre de Shraga Elam, Hitlers Fälscher

L’une des failles de Kaunertal. Photo Unser Mitteleuropa.
L’une des failles de Kaunertal. Photo Unser Mitteleuropa.

Shraga Elam s’est lui-même largement inspiré du livre de Willhelm Höttl, Einsatz für das Reich (éd. Bublies Siegfried, Koblence) paru en 1997.

Chapitre 12 : Schwend après la guerre

Höttl et van Harten n’ont pas été les seuls à survivre confortablement à la défaite allemande, ce fut également le cas de Friedrich Schwend alias Fritz Wendig. Höttl décrit comment Schwend avait, vers la fin de la guerre, pris ses dispositions pour les temps à venir. A son retour de Suisse à la mi-avril 1945, le responsable du Renseignement partit pour Merano [Trentin-Haut-Adige, en Italie], où il rencontra Schwend en uniforme de commandant SS – le blanchisseur de faux billets avait mis à la disposition du général SS Felix Steiner le château de Labers pour servir de quartier général au IIIe corps de blindés Germanique.

Cette collaboration à «droite» était incompatible avec la protection qu’il recevait «à gauche»: cet homme d’affaires rusé s’était assuré de bonnes relations avec les partisans de la région. Höttl le soupçonnait d’être responsable de la mort de son ami, le représentant du SD en Italie Willy Gröbl, qui avait été assassiné par les partisans. On ne sait pas si c’est vrai. Ce qui est certain c’est que Schwend entretenait de bonnes relations avec le chef des partisans dans le nord de l’Italie, Ferruccio Parri, qui a, par exemple, fourni aux Allemands un faux numéro d’immatriculation de véhicule italien de Turin, avec les documents correspondants. Höttl écrit que Schwend était en mesure de «rendre des services importants» à Parri, sans toutefois les expliciter. Grâce à ses relations avec Parri, qui fut le premier Premier ministre de l’Italie postfasciste en juin 1945, Schwend pouvait circuler librement et trouva à Kaunsertal [pour Kaunertal] un refuge sûr pour mettre à l’abri une grande partie de son butin.

Voici ce qu’on rapporte sur les fonds financiers dont il disposait : «Il déposa 1,5 million de francs suisses dans une banque du Liechtenstein ; il cacha un million de francs suisses à Trieste dans une société immobilière ; il s’associa avec la société viennoise d’import-export  Trans-Danubia en y injectant 350.000 reichsmarks ; pour 100.000 autres reichsmarks, il acheta des valeurs mobilières à l’épreuve des crises, dont celles du fabricant d’armes germano-autrichien Steyr-Daimler-Puch. Et comme il voulait jouer la sécurité, il enterra 80 kilos d’or, 80.000 dollars et 100.000 francs suisses supplémentaires à Kaunsertal – de l’or et des dollars authentiques, cette fois!»

Selon Höttl, les troupes alliées n’ont pas, dans un premier temps, mis la main sur Schwend , mais sur son ami, l’ancien consul Georg Gyssling. Ce qu’a raconté l’officier britannique chargé des interrogatoires est à couper le souffle: le Britannique Schwend voulait absolument le rencontrer pour qu’il lui garantisse un sauf-conduit. Gyssling se rendit à Kaunsertal, où se trouvait le nouveau quartier général de Schwend, et rencontra alors un homme d’affaires modulable – en uniforme de commandant US. Il avait réussi cette transformation en jouant sur les peurs de l’armée américaine devant la prétendue «forteresse des Alpes». Schwend avait promis à un commandant de division américaine de désamorcer cette menace fictive et de pousser les forces armées allemandes à capituler. A cet effet, Schwend avait non seulement été équipé d’un uniforme US, mais bénéficiait également d’une une Jeep avec un chauffeur américain. Il s’était manifestement mis au service du Renseignement militaire américain CIC. […]

Schwend remit en tout cas à l’ancien consul Gyssling l’invitation britannique et il se rendit à Merano avec son ami. Il y resta une journée entière et livra aux Britanniques beaucoup d’informations sur l’Opération Bernhard. Schwend fut ensuite autorisé à rentrer en Autriche.

Dans sa nouvelle fonction de commandant US, Schwend avait la possibilité de défendre les droits des Allemands qui avaient capitulé. Mais ce travail finit par l’ennuyer et lui fit rechercher de nouvelles aventures à Munich. Cette étape s’est avérée être une erreur, car en achetant du café à un trafiquant du marché noir, Schwend attira l’attention de la police criminelle américaine. Il est intéressant de noter qu’à ce moment-là, Schwend n’était alors suspecté par les autorités américaines de Munich que du trafic de tableaux hollandais volés. Mais cela a suffi à son arrestation. A propos de ses expériences passées, Schwend écrivit plus tard dans le magazine germanophone Peruanische Post [Courrier du Pérou]: «Après environ trois semaines d’isolement, d’interrogatoires et de tentatives de démoralisation, un jour entra dans ma cellule le capitaine américain Michaelis accompagné de Georg Spencer Spitz. Nous échangeâmes quelques mots et il me laissa seul avec mon ‘bon ami’ Spitz. Spitz m’expliqua tout de suite que, si je voulais sortir de là vivant, je devais sacrifier ma fortune. Sans cela, je n’aurais plus jamais revu le soleil. Spitz m’a dit mot pour mot : ‘Ta vie n’est qu’une question de Marie [terme d’argot désignant l’argent]. J’expliquais à Spitz que j’y étais tout disposé contre la remise d’un reçu, à condition qu’il me reste la partie de ma fortune que j’avais investie en pièces d’or (Spitz le savais fort bien).» Sur ce, Schwend, Spitz et les Américains sont partis pour le Tirol dans un moulin à Kaunsertal. «Arrivé au moulin, je me suis procuré une bêche. […] J’ai enterré l’or contenu dans un sac, le sac tomba dans la faille pendant que je creusais, aussi dus-je rassembler une partie des pièces d’or qui s’étaient éparpillées sur le sol.»

[1] http://www.oe24.at/oesterreich/politik/Stenzel-empoert-mit-Nazi-Sager-ueber-VdB-Eltern/259015773

[2] Sur oe24.TV

http://unser-mitteleuropa.com/2016/11/19/ursula-stenzel-fp-fordert-aufklaerung-von-praesidentschaftskandidat-van-der-bellen-ueber-dessen-familiengeschichte/

[3] «Les Faussaires d’Hitler. Comment les agents juifs, américains et suisses ont aidé les SS à blanchir de faux billets», éd. Carl Ueberreuter, Vienne, 2000, pp. 156 et suivantes.

[4] En avril 1945.

[5] L’une des subdivisions territoriales du NSDAP désignant les provinces allemandes, lesquelles remplaçaient les Länder créés par la République de Weimar. https://fr.wikipedia.org/wiki/Reichsgau

[6] Grade paramilitaire du NSDAP, utilisé dans plusieurs organisations, telles que la SA, la SS, la NSKK et le NSFK. Le titre de Sturmbannführer, pour les SA, fut créé en 1921. En 1928, le titre devint un véritable grade et fut également l’un des premiers grades établis pour la SS.

[7] Impression de millions de faux billets de la Banque d’Angleterre et de faux dollars visant à déstabiliser l’économie et le système financier britannique et américain. Du nom de Bernhard Krüger, à qui fut confié le soin d’organiser leur fabrication.
http://mitteleuropa.x10.mx/wk2_unternehmen_bernhard.html (en anglais, avec iconographie)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Bernhard
Galerie de photos : http://mitteleuropa.x10.mx/wk2_unternehmen_bernhard.html

[8] https://de.wikipedia.org/wiki/Herwig_van_Staa

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