Peut-être avez-vous lu dans vos journaux un petit entrefilet disant qu’aux Philippines le pape avait fait l’objet d’une tentative d’attentat ? Puis peut-être aussi ailleurs, qu’un chef terroriste avait été abattu dans ce pays. Sans doute avec peu de commentaires. Je reviens de la mission humanitaire Rosa Mystica de l’Association Catholique des Infirmières et Médecins dont j’assure la direction morale et médicale. Voici ce que j’ai appris.

Depuis le 25 janvier la totalité des journaux du pays font leur première page sur le carnage aboutissant à la mort de 44 commandos de la police, de 18 terroristes, de quatre civils, avec en sus un certain nombre de blessés. Le mot de carnage se retrouve constamment dans les médias. Pourquoi ? Jamais depuis la fin de la guerre du Pacifique autant de soldats philippins n’avaient été tués dans le cadre d’une seule opération de type militaire. Même la liquidation du groupe Abou Sayef le coupeur de têtes de touristes, tué par l’armée philippine en 2002 dans l’île de Basilan n’avait fait autant de morts. Ce groupe lié à Al Qaïda après la mort successive de ses chefs est à ce jour pratiquement réduit. De nos volontaires y sont allés sans problèmes, bien sûr encadrés par l’armée.

Qui a tué l’homme le plus recherché au monde ? Que s’est-il passé ? Dans le centre de l’île de Mindanao, la seconde île de l’archipel après Luzon où se trouve la capitale Manille, il a été créé une province côtière du nom de Minguindanao, dans le cadre d’une autonomie régionale accordée en raison de la densité des musulmans qui y habitent. C’est là où sévissent la majeure partie des terroristes philippins. C’est dans un village du nom de Mamasapano que s‘est réfugié l’homme le plus recherché au monde. Il s’agit d’un Malaisien du nom de Zulkifli bin Hir, alias Marwan. Sa tête a été mise à prix par les États-Unis pour le prix de 6 millions de dollars (un de plus que pour Abou Sayef). C’est en effet le meilleur artificier islamiste au monde. Il est accompagné de son disciple Philippin Abdul Basit Usman. Ce sont eux les responsables de l’attentat qui fit 202 morts dans un dancing de Bali en 2002. Effectivement il essayera de monter une action visant à éliminer le pape lors de son séjour au Philippines.

Apparemment, Marwan avait été repéré par la police grâce probablement à un renseignement venant des villageois. Celle-ci décida d’envoyer une partie de ses 387 commandos ; en fait 45 pour le « cueillir ». Ce sera l’opération OPlan Exodus. Apparemment, l’artificier sera immédiatement abattu, et son complice gravement blessé prendra la fuite. Mais le commando va se trouver alors pris dans une nasse formé par un groupe de terroristes : ses membres seront tous abattus l’un après l’autre. Un seul échappera à la mort. Une vidéo présentée au Sénat montre un de ces hommes à terre blessé et achevé à coups de revolver dans le visage. Nous aurions tort de voir cela de loin puisque cela s’est passé chez nous naguère en France récemment provoquant la même horreur. Apparemment des appels demandant des renforts sont restés désespérément sans réponse. Que s’est-il passé exactement ? Qui a tué Marwan ? À ce jour personne n’en sait rien.

C’est la faute à Voltaire

Aussi incroyable qu’il en soit ainsi. D’autant que l’enquête diligentée par le Sénat à la suite de ces faits a été délibérément interrompue par le président Noy Aquino III le 15 janvier dernier. Celui-ci a immédiatement limogé le chef directeur général de la police le mal-nommé Purissima (le plus pur). Il servit de fusible.

La controverse était alors à son comble. La presse était déchaînée. Elle voulait savoir qui, et dans quelles conditions, avait organisé cette opération. Puis tout a été mis sur le compte du secrétaire de la Défense un dénommé Voltaire Gazmin (ne rigolons pas, nous avons bien eu Mazarine !) Celui-ci se défaussa en noyant le poisson. Il finit par dévoiler qu’un coup d’Etat était en préparation.

Pour comprendre la suite, il faut faire un peu de géopolitique. Depuis la conquête du Portugais Magellan au profit de la couronne espagnole en 1521, le problème du terrorisme musulman a été itératif. Actuellement il y a sous les drapeaux un million et demi de soldats soit proportionnellement huit fois plus qu’en France. Ils font face à une guérilla de la New People Army (NPA) maoïste mais en pleine décomposition. Plus grave est celle du Moros Independance Liberty Filipinnos plus couramment appelé MILF. Depuis quarante ans les gouvernements successifs négocient pour arriver à des périodes de paix. Ces terroristes ont pour but d’obtenir l’indépendance de Minguindanao qui bénéficie déjà d’un statut d’autonomie. Ils se sont réveillés l’an dernier pour exiger la souveraineté sur tout Mindanao alors que l‘islam ne représente que 20 % de la population de cette île. Du MILF nait une dissidence plus radicale encore le Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF) qui se réfère à Al Qaïda. Comme son nom l’indique il veut réaliser le Bansgsamoro, c’est-à-dire le califat musulman asiatique, la grande patrie des Maures. Or ce groupe n’est guère implanté aux Philippines que précisément dans la région de Minguindanao ; d’où la présence de Marwan à cet endroit.

Le Président Noy Aquino est prêt à concéder au MILF une indépendance totale pour plusieurs provinces. Peut-être en se disant qu’il laissera ces deux mouvements s’égorger entre eux. Le risque est d’aboutir à un État islamiste du même type que celui qui s’est constitué entre l’Irak et la Syrie avec à terme le massacre des chrétiens de la région. Les conversations durent, mais sembleraient sur le point d’aboutir dans la mesure où les Philippins sont lassés de la guerre.

Questions sans réponses

À partir de ces éléments de base, il m’est possible de faire une synthèse de ce qui nous a été rapporté par les journaux et surtout par les confidences des soldats (gradés ou non) qui nous ont aidés durant la mission Rosa Mystica. Je dois dire qu’en ce qui concerne les officiers, certains se sont contentés de me dire « no comment ! ».

– La première question est de savoir qui a donné l’ordre de mener cette attaque. La réponse est bien sûr la police. À quel niveau ? Personne n’en sait rien. Mais manifestement une erreur de jugement a été faite. Il y a eu une confusion entre un simple raid de police et une véritable opération militaire à mener par l’armée. Les gradés de la police ont pensé faire une belle affaire à moindre frais pour bien se faire voir. Ils l’ont payé cher.

– Ensuite sur le plan pratique qui a organisé cet assaut et dans quelles conditions ? On n’en sait rien. L’unique rescapé est incapable de le dire.

– Pourquoi une aide est intervenue aussi tard ? Et de qui ? En réalité les villageois ont vu des soldats américains. De plus des bombardements sont intervenus. Il n’y a pas de réponse. En effet depuis la décapitation d’un américain par Abou Sayef, les soldats US n’interviennent plus sur le terrain mais seulement en support logistique par satellite, observation et entraînement des hommes. Qui a appelé ces militaires sur le terrain ? Ce sont eux qui ont vraisemblablement été appelés en renfort, mais trop tard.

– Qui étaient les terroristes ayant massacré les soldats ? On n’en sait rien. Aquino n’ose pas trop accuser le MILF avec lequel il est en négociation. Ce dernier rejette la responsabilité sur l’autre groupe islamique le BIFF. Or curieuse coïncidence Marwan et Usman avaient trouvé un refuge à 500 mètres de l’habitation du représentant du MILF lors des discussions. De plus ses combattants avaient saisi autour des cadavres des armes lourdes qu’il n’a jamais voulu rendre à l’armée philippine. Il est évident que ce ne peut être deux hommes traqués qui auraient pu se livrer à un tel carnage. Il semble bien y avoir eu une jonction entre les combattants du BIFF et ceux du MILF pour liquider les commandos. De plus l’adjoint de Marwan le dénommé Usman se cache dans le coin et le MILF ne semble pas vouloir le chercher. Or le représentant négociateur de ce mouvement Mohagher Iqbal, se prétend de bonne foi. Il n’y est pour rien. Surtout pas d’amalgame a-t-il déclaré.

Le Président P. Noy Aquino a-t-il été mis au courant de l’affaire ? Il raconte qu’on lui en avait vaguement parlé comme d’une opération de police banale. Averti de cette affaire le 15 au matin, il a décidé de réagir douze heures plus tard. La presse l’accuse d’être responsable du carnage par son incurie. Puisqu’il était en contact avec le MILF pourquoi n’a-t-il pas téléphoné pour que cesse le massacre ? Quels secrets cache-t-il pour avoir interrompue l’enquête sénatoriale.

Très vives réactions des Philippins

Les réactions de la presse et de l’opinion publique sont alors terribles. Les évêques catholiques et protestants, les étudiants, et toute une partie du petit peuple demandent la démission d’Aquino et manifestent dans la rue. Celui-ci ainsi que ses pourparlers se trouvent gravement fragilisés. Des rumeurs de coup d’État circulent. Ils ont fait la première page des journaux pendant plusieurs jours. Mais les évêques hésitent à mettre dans la rue des millions de personnes pour renverser le régime comme il en fut ainsi deux fois auparavant. Cela leur semble inutile car les élections sont dans 17 mois et Aquino doit se retirer le 16 juin 2016.

L’ancien président Estrada a fait une déclaration fracassante le 11 février. Cela fait 40 ans que l’on négocie avec le MILF en lui faisant des concessions. Entre 1975 et l’an 2000, cela a coûté la vie à 180.000 hommes et 270 milliards de pesos. Allons-nous repartir ainsi pendant 40 ans et perdre encore plus de vies humaines ?

Jean-Pierre Dickès

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