La Fontaine nous enchante encore avec la fable du Coche et la Mouche ou celle du Lion et le Moucheron.

Dans la première, il nous fait le récit de six forts chevaux tirant un coche sur un chemin montant, sablonneux, malaisé. Une mouche survient et, de l’attelage en peine, s’approche. Elle pique l’un, pique l’autre des chevaux, prétend les animer par son bourdonnement, va, vient, fait l’empressée et pense à tout moment qu’elle fait aller la machine. Elle s’assied sur le timon, sur le nez du cocher et, tel un sergent de bataille, s’attribue déjà la gloire de voir le char cheminer ou les gens marcher…

Plus encore, dans la seconde, par la voix du lion, l’auguste fabuliste apostrophe d’emblée l’encombrant brachycère et le considère pour ce qu’il est : chétif insecte, excrément de la terre, va-t’en, lui dit-il. Or, le moucheron, vaniteux et leste à fantaisie déclare la guerre au lion et le réduit à peu de chose en peu de temps : le lion fait résonner sa queue à l’entour des flancs, et sa fureur extrême le fatigue, le voilà sur les dents… l’insecte se retire du combat avec gloire. Il fanfaronne, sonne la victoire mais rencontre en chemin l’embuscade d’une araignée dont la toile signe l’arrêt de mort pour notre plus grand soulagement.

Dans les deux cas, la mouche et son rejeton de moucheron résonnent en offense à la vertu. Ils sont importuns et partout devraient être chassés.

L’univers politique est envahi de mouches et de moucherons. Chassez-les, ils reviennent à tire d’ailes. Ils sonnent à nouveau la charge. Nulle défaite électorale, nulle affaire de mœurs, nul trafic d’influence ou d’intérêts, ne les éloignent du cirque politique et médiatique. Ils sont là, bourdonnent, agitent leurs ailes droite et gauche car, disent-ils, il faut deux ailes pour voler.

De Gaulle, déjà, fit remarquer à son « veau » de peuple qu’il portait en son patronyme deux « l » pour mieux voler et donc lui voler sa confiance. Ses successeurs, qui lui rendent un régulier hommage, sont autant de mouches et de moucherons harcelant ce même peuple rendu aujourd’hui las et lascif. Ses opposants ne sont pas moindres. Ils sont d’autres mouches qui illusionnent sur le retour du printemps. Un vieux bourdon, que la politique a grassement enrichi, peine à mouvoir ses pattes, s’appuie sur une canne, mais n’est pas encore repu ; une mouche qu’il a vue éclore, devenue grosse et bleue, lui vole la place ; et un moucheron, à son tour, qui disait s’éloigner du cirque, revient par la fenêtre en agitant l’alarme d’un pouvoir à conquérir par un battement d’ailes de droite comme de gauche…

A côté du fabuliste, un philosophe pamphlétaire, père pourtant du nihilisme, sut, lui aussi, mettre en garde contre les mouches. Il le fit sous la forme allégorique, et rechercha dans la Perse antique un vieux sage auquel il prêta des paroles prophétiques : « Ainsi parlait Zarathoustra ». Dans un épisode qui vaut son pesant de mots, Nietzsche met en scène ce qu’il convient de rejeter du monde et de ses cités. « Des mouches sur la place publique » nous éclaire sur ces inventeurs de valeurs nouvelles, sur le bruit des grands comédiens et le bourdonnement des mouches qui envahissent la vie publique. Citons-le :

« Fuis mon ami, fuis dans ta solitude. Je te vois étourdi par le bruit des grands hommes et meurtri par les aiguillons des petits… Où cesse la solitude, commence la place publique ; et où commence la place publique, commence aussi le bruit des grands hommes et le bourdonnement des mouches venimeuses. Dans le monde, les choses ne valent rien sans quelqu’un qui les représente. Le peuple appelle ces représentants des grands hommes. Le peuple comprend mal ce qui est grand, c’est-à-dire ce qui crée. Mais il a un sens pour tous les représentants ; pour tous les comédiens des grandes choses.

Le comédien a de l’esprit, mais peu de conscience de l’esprit. Il croit toujours à ce qui lui fait obtenir ses meilleurs effets, – à ce qui pousse les gens à croire en lui-même ! Demain il aura une foi nouvelle et après demain une foi plus nouvelle encore. Il a l’esprit prompt comme le peuple, et prompt au changement.

Renverser, – c’est ce qu’il appelle démontrer. Rendre fou, – c’est ce qu’il appelle convaincre. Et le sang est pour lui le meilleur de tous les arguments.

Il appelle mensonge et néant une vérité qui ne glisse que dans de fines oreilles. En vérité, il ne croit qu’en les dieux qui font beaucoup de bruit dans le monde ! La place publique est pleine de ces bouffons tapageurs… ».

Est-il rien de plus vrai, aujourd’hui encore, sur la scène du théâtre politique que ce défilé de comédiens bourdonnant, versatiles, sans scrupules, avides de gloire et d’argent, qui n’édictent des lois que pour les autres, et dont le même Nietzsche pourrait faire prononcer ces mots rendus célèbres sous sa plume :

«  J’ai cela dit ma mémoire. Impossible dit mon orgueil, et il s’obstine. En fin de compte, c’est la mémoire qui cède. » (Par delà le bien et le mal) ?

S’il ne nous appartient pas d’être des chasse-mouches, il nous appartient tout de même de s’en protéger, de n’en être point dupe.

Gilles Colroy

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