poutine_erdoganPoutine est un joueur d’échecs doublé d’un judoka :  il réfléchit, temporise et attaque . Avec en point de mire un objectif clair : refaire de la Russie une grande puissance.

Erdogan, le nouveau sultan turc,  veut que la Turquie redevienne l’Empire Ottoman : les yeux tournés vers l’Orient pour le dominer politiquement et religieusement mais aussi vers l’Occident pour traiter d’égal à égal.

Il y a encore peu de temps, les deux hommes se parlaient beaucoup, notamment sur les questions du gaz et du cheminement des oléoducs. Mais trop de divergences rendaient la confrontation probable: outre les penchants islamistes avérés d’Erdogan (proche des Frères musulmans), l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et son souhait, même différé, d’adhérer un jour à l’Union européenne. On mesure la complexité de l’équilibre pour la Turquie : être une base avancée de l’OTAN (donc des Etats-Unis) négocier avec l’Europe, parler avec la Russie et développer une stratégie d’expansion d’un islam sunnite très dur.

C’est le conflit syrien, bien sûr, qui va modifier tout cela.

L’aide turque aux islamistes

Erdogan a longtemps entretenu des relations cordiales avec Bachar el Assad. Mais la révolte de la population syrienne sunnite, poussée par l’Arabie Saoudite et le Quatar, va fatalement entraîner Erdogan à prendre parti contre Bachar et son régime alaouite, considéré comme hérétique.

Tandis que Poutine fournit armes et argent au régime syrien, la Turquie devient la plaque tournante de l’insurrection. Outre les fournitures d’équipements militaires, ce sont des milliers d’hommes, venus du monde entier, qui transitent par elle. L’armée laisse passer tandis que les services secrets turcs organisent les convois d’armes et entretiennent d’étroites relations avec les chefs de l’insurrection y compris ceux de l’Etat islamique à partir de 2014.

Dans le même temps, des millions de civils syriens fuient la guerre et se réfugient en Jordanie, au Liban et en Turquie. L’exode s’accélère lorsque l’Etat Islamique conquiert de nombreux territoires en 2014 et 2015 : mêmes les sunnites ne sont pas à l’abri des exactions de ces combattants fanatisés et d’une sauvagerie sans limite.

Deux événements fondamentaux se produisent alors : l’exode des migrants vers l’Europe  et l’intervention russe.

Opération migrants

La question des migrants se pose avec acuité à partir de 2015. Notons au passage la savoureuse sémantique européenne consistant à utiliser un terme anglais pour éviter le mot immigré, probablement trop stigmatisant.

Encouragés par la passivité européenne face à l’exode massif d’Africains prenant la mer depuis la Libye mise en miettes par la brillante intervention franco-américaine, les turcs commencent à mettre au point l’exode vers l’Europe des réfugiés campant sur leur sol. Des réseaux de passeurs s’organisent et des milliers de petites ou moyennes embarcations prennent la mer depuis la côte turque vers les îles grecques, toutes proches. Les gardes-côtes turcs suivent les consignes et laissent soigneusement passer. Bien sûr, il y a des noyades en nombre, dont beaucoup d’enfants et la photo du corps de l’un d’eux rejeté par la mer sur une plage fera le tour du monde.

Angela Merkel , n’écoutant que son coeur, ouvre les portes de l’Europe et au passage rappelle  qu’il n’y a plus d’enfants allemands et qu’il faut bien des bras pour travailler et payer les retraites d’une population à la démographie suicidaire.

La grande invasion pouvait commencer.

Outre la subversion de l’Europe, ce qui ne peut que réjouir un islamiste digne de ce nom, cette opération gigantesque, va permettre à Erdogan de soutirer des milliards d’euros à l’Europe (3 pour l’instant) pour gérer les réfugiés restés en Turquie. Surtout, il apparaît comme l’interlocuteur numéro un des puissances occidentales, reléguant ses voisins à un rôle négligeable et la Russie à celui d’un fauteur de guerre. Enfin, il exige, et obtient, la reprise des négociations pour une adhésion à l’Union européenne.

Intervention russe

Parallèlement, l’affaiblissement de l’armée syrienne face aux multiples factions islamistes gorgées d’armes et d’argent venant d’Arabie Saoudite, du Quatar, de Turquie , des Etats-Unis et même de  France grâce aux bons offices de Laurent Fabius, va obliger la Russie à renforcer son appui au régime syrien.

Après la chute de la Province d’Idlib, près de Lattaquié, le coeur du régime, et une subtile préparation diplomatique, Poutine envoie l’aviation russe et des conseillers au sol. Cela se fait de concert avec l’Iran et le Hezbollah libanais : les chiites ne veulent pas d’un Etat islamiste sunnite.

Les résultats ne se font pas attendre et le cours de la guerre, depuis, semble s’inverser. Ivre de rage Erdogan commet un acte fou : il fait abattre un bombardier russe, insuffisamment protégé par la chasse (les Russes en tireront la leçon). Le corps du pilote tué est émasculé par des islamistes turkmènes armés par Istanbul; le copilote survivant est récupéré après une opération commando.

Poutine a réagi avec mesure : sanctions économiques, refus de rencontrer Erdogan lors de la Cop 21, incitations faites aux Russes de ne plus passer leurs vacances en Turquie. C’est la différence entre un chef d’Etat et un manipulateur sans scrupules.

Mais il n’oubliera pas : quand le moment sera venu, les insurgés Turkmènes de la province d’Idlib paieront le prix fort pour leur geste barbare.

Au delà, c’est l’affrontement entre deux hommes que tout oppose et deux puissances aux intérêts maintenant antinomiques.

Le sort du Proche Orient en dépend.

Dans la tête des dirigeants européens, rien ne change : “Poutine est un homme dangereux et la Russie une ennemie. Quant à la Turquie, elle est un interlocuteur certes difficile mais fiable.” Un jour peut-être cette conception stratégique absurde sera corrigée. Mais elle passe par un préalable : s’affranchir de la tutelle américaine.

Antoine de Lacoste

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