Dans notre famille de pensée, certains dénoncent la place qu’occupe l’islam en Russie et la politique qu’y mène le gouvernement en matière d’immigration. En effet, la Fédération russe comptait en 2002 environ 15 millions de musulmans (selon le recensement de 2002), soit un peu plus de 10 % de la population à ce moment-là. Il est vrai aussi que le président Poutine ne manque jamais d’adresser ses félicitations à la communauté musulmane du pays lors des grandes fêtes islamiques. Celles-ci sont d’ailleurs parfois l’occasion de gigantesques prières de rue largement acceptées par les autorités locales.

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Pour comprendre ce qui se passe en Russie, il convient de ne pas lui transposer des normes et des interprétations historiques valables en Europe de l’ouest mais qui, là-bas, ne signifient rien. La Russie n’est pas la France ; la réalité russe est singulière et examiner celle-ci avec une grille d’analyse franco-centrée ne peut qu’induire en erreur.

Tout d’abord, la présence plus ou moins massive de musulmans en France et en Russie ne répond pas du tout des mêmes causes. Les musulmans de France et ceux de Russie ne sont pas les mêmes. En effet, si, en France, on assiste à un phénomène d’islamisation directement lié à une immigration incontrôlée, il n’en va pas de même en Russie. A la différence des musulmans vivant sur le sol français, ceux de Russie sont majoritairement des autochtones. Il existe là-bas une communauté musulmane depuis plus de cinq siècles et dont les membres, jadis sujets du tsar, sont aujourd’hui des citoyens de la Fédération russe. Tchétchènes, Daghestanais, Ingouches, Tatars, pour ne citer qu’eux, bien que n’étant ni Slaves ni orthodoxes, sont néanmoins des Russes à part entière depuis plusieurs générations. C’est compte tenu de cette réalité qu’au XVIIIème siècle, l’impératrice Catherine II introduisit en Russie le principe de tolérance religieuse et leva l’interdiction de construire des mosquées. Les tsars ont ainsi légué aux Russes un empire gigantesque, multiethnique et multiconfessionnel. La Russie n’en est pas « multiculturaliste » pour autant. Les Habsbourg, à la tête de l’empire austro-hongrois rassemblant des populations d’une dizaine de nationalités différentes parlant autant de langues, étaient-ils des multiculturalistes ? Pareillement pour la Russie, gardons-nous bien d’émettre un jugement anachronique ou trop dépendant de nos propres normes au mépris des réalités locales. Aux prises avec le réel, le président Vladimir Poutine ne gouverne pas une société idéale, conçue dans les nuées, mais le pays le plus vaste au monde, façonné par une riche histoire millénaire. La politique étant l’art du possible au service du bien commun, il est de la responsabilité du chef de l’Etat de renforcer l’unité nationale et de faire régner la concorde interethnique et interconfessionnelle. En somme, Vladimir Poutine, par une attitude positive vis-à-vis de toutes les religions traditionnelles du pays, ne fait rien d’autre que travailler à transmettre ce qu’il a reçu. Et cela ne l’empêche absolument pas d’afficher dans le même temps une proximité particulière avec le christianisme orthodoxe qu’il qualifie de colonne vertébrale de la civilisation russe. On peut bien sûr regretter que l’ancien principe de tolérance religieuse ait laissé la place à celui, libéral et démocratique, de liberté religieuse. Nonobstant, ne perdons pas de vue d’où vient la Russie (elle revient de loin !) et reconnaissons les points positifs de son évolution récente.

Catherine II (1729 – 1762 – 1796)

Les fameuses prières de rue à Moscou dont les photos en choquent plus d’un chez nous sont donc à considérer dans ce contexte. Il faut également savoir que ces occupations de l’espace public par les musulmans n’ont lieu qu’occasionnellement, lors de grandes fêtes religieuses. Elles sont même bien souvent organisées par les autorités municipales de Moscou pour la simple raison que cette ville de 15 millions d’habitants ne compte en tout et pour tout que quatre mosquées et que le maire de la capitale russe, Sergueï Sobianine, est formellement opposé à la construction de nouvelles mosquées dans la ville ! Ce qui se passe en Russie n’a donc rien à voir avec le désastre français où, alors même que les lieux de culte islamiques poussent comme des champignons sur tout le territoire, des milliers de musulmans, majoritairement issus de l’immigration, envahissent illégalement et en toute impunité chaque vendredi certaines rues de Paris et de Marseille.

D’un autre côté, si la Russie contemporaine est bien, elle aussi, une terre d’immigration, tout est cependant mis en Å“uvre par les autorités pour que le phénomène ne soit pas subi ni incontrôlé. Bien au contraire, conscient des risques que des flux migratoires massifs et dérégulés feraient peser sur la société russe et la concorde interethnique, le tandem Poutine – Medvedev a édicté ces dernières années de nombreuses mesures de lutte contre l’immigration clandestine. L’accent est mis sur l’assimilation par les étrangers de la culture et de la langue russes et l’idéologie antiraciste n’est pas de mise. Le ministre russe de la culture déclarait en juillet dernier que « les politiques démodées de tolérance et de multiculturalisme ont complètement échoué » en Europe. En outre, l’Eglise orthodoxe russe participe à la politique d’accueil des étrangers par un programme d’évangélisation comprenant des cours de religion chrétienne et la diffusion de la Bible en langues étrangères. Une politique nataliste vigoureuse et hardie a également vu le jour afin de relever le défi démographique russe sans recours excessif à l’immigration. Vladimir Poutine déclarait à ce sujet en avril 2013, lors d’une visite d’Etat aux Pays-Bas, qu’il voulait faire augmenter la natalité de son pays non pas grâce aux immigrés mais grâce aux patriotes russes.

Ainsi, pendant que la France accueille chaque année au bas mot (certains commentateurs ou analystes avançent le chiffre de 400 000 entrées par an !) 200 000 nouveaux étrangers pour une population de 65 millions d’habitants, la Russie, elle, en reçoit environ 250 000 pour une population de 146 millions d’habitants, soit proportionnellement deux fois moins. Aujourd’hui, la Russie compte environ 10 millions d’étrangers dont 22 % d’Ukrainiens, 14 % d’Ouzbeks, 11 % de Kazakhs, 7 % de Tadjiks, 4% de Kirghizes, 3,6% de Chinois et 3% d’Arméniens. On peut donc constater que les étrangers résidant en Russie proviennent essentiellement d’ex-U. R. S. S.. Ces populations, parfois slaves et orthodoxes, souvent russophones, partagent pour la plupart au minimum plus de 150 ans d’histoire commune avec leur grand frère russe et ne nourrissent aucun ressentiment, aucune rancœur à son égard comme c’est trop souvent le cas en France de la part des ressortissants de ses anciennes colonies.

Enfin, tandis que 27 000 étrangers en situation irrégulière ont été expulsés du territoire français en 2013, 96 000 l’ont été de Russie au cours des dix premiers mois de 2014. De plus, près d’un million de ressortissants étrangers sont interdits d’entrée sur le territoire russe pour avoir contrevenu aux lois sur l’immigration.

En fin de compte, tout cela a pour conséquence que, comme le montre l’évolution des statistiques religieuses de ces dernières années, la proportion de musulmans n’augmente pas en Russie. Selon des sondages effectués en 2013, seuls 7 % des sondés se déclarent de confession islamique tandis que 68 % se disent orthodoxes, chiffre en constante augmentation depuis 1990.

Pour résumer notre propos au sujet de la réalité de l’immigration et du multiculturalisme en Russie, citons Vladimir Poutine qui, le 19 septembre 2013, dans son discours prononcé devant le club de discussion Valdaï, expliquait que son pays n’est pas un Etat-nation comme l’est par exemple la France mais un Etat-civilisation : « Aujourd’hui, presque tous les pays développés ne sont plus capables de se reproduire, même avec l’aide de l’immigration. Sans les valeurs ancrées dans le christianisme et les autres religions du monde, sans les normes de la morale qui ont pris forme au cours des millénaires, les gens vont inévitablement perdre leur dignité humaine. Nous considérons qu’il est naturel et légitime de défendre ces valeurs. Il faut respecter le droit de toutes les minorités d’être différentes, mais les droits de la majorité ne doivent pas être remis en question. […] En Europe et dans quelques autres pays, le soi-disant multiculturalisme est, à bien des égards, un modèle transplanté, artificiel, qui est aujourd’hui remis en question pour des raisons compréhensibles. Parce que cela est basé sur une dette pour le passé colonial. Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, des politiciens européens et des personnalités publiques évoquent de plus en plus les échecs du multiculturalisme et s’ils ne sont pas capables d’intégrer dans leurs sociétés des langues étrangères ou des éléments culturels étrangers. […] Les différentes cultures en Russie ont une expérience unique d’influence, d’enrichissement et de respect mutuels. Ce caractère multiculturel et multiethnique est inscrit dans notre conscience historique, dans notre esprit et dans notre constitution historique. Notre Etat s’est construit au cours d’un millénaire sur ce modèle organique. […] La Russie – comme le philosophe Konstantin Leontiev [NDLR : Konstantin Nikolaïevitch Leontiev (1831 – 1891), médecin et moine russe slavophile, nationaliste et réactionnaire, est l’auteur d’une comédie, d’un roman et d’essais philosophiques dans lesquels il dénonce l’Occident athée et démocratique comme destructeur de la beauté d’une société complexe.] l’a écrit – s’est toujours développée comme un Etat-civilisation renforcé par le peuple russe, la langue russe, la culture russe, l’Eglise orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles. C’est précisément ce modèle d’Etat-civilisation qui a façonné notre système politique. Ce modèle a toujours cherché à accommoder avec flexibilité les spécificités ethniques et religieuses de territoires particuliers, à assurer la diversité dans l’unité. »

On est loin du multiculturalisme, de l’antiracisme et du métissage que l’on subit en Europe occidentale.

Baudouin Lefranc

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