L’Eglise orthodoxe semble traverser en ce moment une grave crise et connaître de nombreuses divisions alors même que son grand concile de la Pentecôte, en préparation depuis 55 ans, devait être une démonstration de renouveau et d’unité. En effet, les Eglises de Bulgarie, d’Antioche, de Serbie et de Géorgie (soit quatre sur quatorze) ont annoncé leur décision de ne pas participer au concile dans l’état actuel des choses. Le patriarcat de Moscou, tentant de calmer les esprits, a proposé la tenue dans l’urgence d’une nouvelle et dernière réunion préconciliaire afin d’aplanir les divergences et de sauver le concile. Pour l’instant, Bartholomée, archevêque de Constantinople et patriarche œcuménique, refuse catégoriquement tout report du concile panorthodoxe. Tout porte à croire que le patriarcat œcuménique de Constantinople tente de faire passer dans la précipitation des orientations libérales et œcuménistes, ce qui ne va pas sans susciter de fortes réactions d’opposition.

Parmi les nombreuses causes de division mettant à mal l’unité de l’Eglise orthodoxe, les deux principales provoquant une grande inquiétude dans le monde orthodoxe sont les documents préconciliaires intitulés « Relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien » et « La mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain ». En effet, divers hiérarques et personnalités grecs et chypriotes, l’Eglise orthodoxe russe hors-frontière, l’Eglise orthodoxe de Géorgie, la communauté monastique du mont Athos notamment se montrent assez sévères avec le concile en préparation et la tonalité libérale et œcuméniste de certaines formulations.

Comme souvent en matière de doctrine, le choix du vocabulaire et son interprétation font polémique. Ainsi, l’emploi du mot « églises » dans le texte « Relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien » pour désigner l’Eglise romaine et les communautés protestantes est fermement rejeté par les clercs d’orientation traditionnelle. En effet, ces derniers réaffirment avec force que seule l’Eglise orthodoxe est l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, fondée par Jésus-Christ et Corps mystique de Celui-ci ; toutes les autres communautés chrétiennes sont schismatiques et/ou hérétiques et ne sauraient être qualifiées d’« Eglises ». Le document « La mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain », quant à lui, divise par l’emploi de l’expression « personne humaine » se substituant au mot « homme » habituellement usité en théologie, le terme de « personne » étant, de son côté, ordinairement employé pour parler des trois personnes de la sainte Trinité. Evoquer aujourd’hui la « personne humaine » est donc une rupture dans le langage théologique traditionnel de l’Eglise orthodoxe et fortement dénoncée comme telle par les conservateurs. Les orthodoxes d’orientation traditionnelle craignent, entre autres choses, que ces formulations équivoques n’entraînent subrepticement une mise sur pied d’égalité des différentes confessions chrétiennes, orthodoxe et hétérodoxes, et une renonciation de l’Eglise à l’esprit missionnaire.

De nombreuses critiques soulignent encore que, tous les évêques orthodoxes n’étant pas convoqués à la grande réunion de la Pentecôte où ne seront rassemblées que des délégations des Eglises locales, le dit concile sera, par nature, plutôt une conférence panorthodoxe. « Le concile panorthodoxe ne sera pas le VIIIème concile œcuménique. Son format, qui a été décidé après une longue concertation, diffère de celui des conciles œcuméniques. Les décisions du Concile panorthodoxe auront une autorité panorthodoxe comme le précise son règlement, qui diffère de l’autorité des Conciles œcuméniques qui ont formulé les bases théologiques et canoniques de la foi de l’Église orthodoxe car la prise de ce genre de décision par le Concile panorthodoxe n’est pas prévue. » a expliqué le métropolite Hilarion de Volokolamsk, responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou. Ce dernier a également précisé que si l’on avait renoncé à la participation des évêques du monde entier, c’est essentiellement pour des raisons pratiques liées à la difficulté de réunir un aussi grand nombre de clercs. Le métropolite Hilarion a également expliqué l’attachement de l’Eglise russe au principe de l’unanimité pour l’adoption des documents conciliaires : « Pour nous, il était surtout important d’éviter que des décisions absolument inadmissibles pour elle soient imposées en Concile à n’importe laquelle des Églises locales. La méthode du consensus, approuvée à l’insistance de Sa Sainteté le patriarche Cyrille, permettra que toutes les décisions soient prises en excluant cette hypothèse. »

Le monde orthodoxe est complexe et les clivages susmentionnés ne séparent pas toujours clairement les différents patriarcats entre eux ; des lignes de fracture plus ou moins importantes traversent parfois les Eglises autocéphale elles-mêmes. Il est, par exemple, assez notoire que le patriarche de Moscou Cyrille est plus conservateur que le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée – ce qui n’est, au demeurant, pas bien difficile. Mais on peut aussi remarquer que l’Eglise orthodoxe russe hors-frontière, bien que dans le giron du patriarcat de Moscou, adopte souvent des orientations plus traditionnelles que celui-ci.

La plus grande incertitude plane donc aujourd’hui sur la tenue ou pas du concile censé débuter par la liturgie de la Pentecôte (dans le calendrier julien), le dimanche 19 juin, ainsi que, le cas échéant, sur son déroulement et son issue. Dans les coulisses, palabres, tractations et manœuvres vont certainement bon train ; Eglises locales et réseaux d’influence doivent s’affairer pour défendre leurs positions et leurs intérêts.

Baudouin Lefranc

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