Les USA ont déjà procédé à 3 phases de Quantitative Easing (QE), comme on dit en franglais, pour tenter de résoudre la situation de crise persistante où ils sont plongés. Depuis 2008, le bilan de la « Fed », la banque fédérale états-unienne, a bondi d’environ 800 milliards de dollars à plus de 4500 milliards de dollars. Cela correspond à la création ex nihilo d’une quantité de monnaie équivalente au PIB annuel de l’Allemagne, autant dire d’une quantité véritablement colossale. Le graphique suivant montre bien la rupture avec la situation antérieure. Jusqu’en 2008, le bilan évoluait gentiment à la hausse, et depuis il a gravi plusieurs marches d’escalier très hautes en peu de temps.

Nous voyons deux questions : la 1ère concerne la nature même de ce qu’est un QE, la 2ème concerne l’évaluation des effets produits par les QE, et spécialement la comparaison entre effets réels et effets escomptés.

La création monétaire

Dans une économie normale, les banques créent de la monnaie, lorsqu’elles prêtent de l’argent à leurs clients. C’est tout à fait normal, et il n’y a pas lieu de s’en offusquer. Par exemple, une entreprise qui souhaite créer un atelier ou lancer un projet peut contracter un emprunt auprès d’une banque. Lorsque cet emprunt est conclu, l’atelier ou le projet n’existent pas encore, mais l’emprunt lui existe déjà. On vient de créer de la monnaie, pour laquelle il n’y a pas de contrepartie réelle, en tout cas : pas encore. Ainsi, on peut dire que la réalité de demain pousse la monnaie d’aujourd’hui. La création monétaire anticipe la réalité que l’on imagine voir le jour demain. Evidemment, il appartient normalement aux banques de financer les projets qu’elles jugent viables et normalement elles ne peuvent pas prêter à l’infini, sans avoir de dépôts réels dans leurs comptes.

Le Quantitative Easing (QE) peut se traduire par « assouplissement monétaire » ou « facilité quantitative ». Ce procédé a été décrit comme étant une technique « non-conventionnelle ». En pratique, il s’agit ni plus ni moins que de création monétaire complètement artificielle. Décrire le QE comme étant un « plan de relance » revient à inverser la logique de la création monétaire. Ce n’est plus la réalité de demain qui pousse la monnaie d’aujourd’hui, mais on prétend pouvoir tirer la réalité de demain en créant de la monnaie à partir de rien, de façon presque autoritariste. La question est donc posée de comprendre si on peut tirer l’économie de cette façon en agissant sur la monnaie, en inversant le lien logique entre réalité et monnaie.

La dérive kleptocratique du système bancaire

Bien que ce ne soit pas officiellement son but, le QE, tel que pratiqué par les USA, organise le transfert des créances pourries du secteur bancaire privé vers l’Etat, c’est-à-dire vers le contribuable. Cette manoeuvre s’inscrit dans la vaste dérive vers la kleptocratie bancaire : les structures officielles des Etats servent (1) à racketter les contribuables par la dette publique (loi du 2 janvier 1973) et (2) à garantir l’impunité du secteur privé, qui est assûré d’être renfloué. La logique est de privatiser les gains et nationaliser les pertes, dans une folle ambiance d’irresponsabilité générale. Le couillon de contribuable n’a qu’à payer la fête, à laquelle il ne participe pas, bien sûr. Les structures officielles des Etats qui sont censées incarner le bien commun sont en pratique asservies à des intérêts privés, qui se cachent derrière le paravent de la légalité et de la légitimité « démocratique ». Cette dérive kleptocratique date de plusieurs décennies mais elle est maintenant particulièrement visible, aux USA comme en France. Le contribuable appréciera l’humour contenu dans la formule « dette souveraine », qui mesure en réalité son niveau de mise en esclavage bancaire.

Les USA en crise depuis 1999

L’objectif officiel du QE était de promouvoir et relancer l’activité économique réelle. Plusieurs de nos papiers précédents ont montré que la crise économique des USA est profonde et a dans les faits commencé dès 1999, les années 2007-2008 étant une péripétie dans un mouvement de fond, une péripétie certes très médiatisée, mais une péripétie, l’arbre qui cache la forêt.

La « vélocité » monétaire permet de mesurer comment l’argent tourne dans l’économie. Comme on peut le voir avec les agrégats monétaires appelés M1 et M2, l’économie des USA tourne de moins en moins « vite » et on voit bien, en particulier avec M2, la rupture sévère avec la situation précédente. Ces aggrégats monétaires très techniques sont tout à fait cohérents avec notre analyse que la crise structurelle des USA remonte à 1999.

MPI - 67 - 03 - M1 -

La vélocité de M1 est au plus bas depuis 40 ans

MPI - 67 - 04 - M2 -

Chute sévère de la vélocité M2 depuis 2000

Effets pratiques du QE

Il nous semble que la stratégie de QE mise en oeuvre aux USA est concrètement un échec. En dehors de la question morale du transfert au contribuable des dettes pourries du secteur bancaire privé, et une fois oubliée la dérive kleptocratique du système, les QE n’ont pas relancé l’économie : le chômage et le sous-emploi aux USA restent massifs et en détérioration, les revenus et tous les indicateurs en relation avec le niveau de vie (taux de propriétaires, etc.) sont en dégradation. Il est même étonnant que l’injection massive de monnaie artificielle n’ait même pas réussi à améliorer la vélocité des aggrégats monétaires M1 et M2.

On peut également s’interroger sur la logique interne du QE, à savoir l’idée que la création de monnaie ex nihilo pourrait tirer l’économie réelle. Si on admet l’hypothèse qu’il y a une sorte de lien naturel entre la réalité économique et la quantité de monnaie en circulation dans la dite économie, alors la création ex nihilo de monnaie ne change rien à l’économie réelle à l’instant de cette création. Concrètement, l’afflux massif de monnaie artificielle aboutit en fait à déprécier cette monnaie, non pas dévaluer par rapport aux autres monnaies, mais déprécier de façon interne. Chaque dollar artificiel fait baisser la valeur des dollars existants.

En pratique, la dépréciation de la monnaie liée au QE équivaut à une baisse des salaires, non pas une baisse nominale mais une baisse en valeur. Le même salaire en chiffres, à savoir par exemple 1000, mais dans une monnaie dépréciée, concrètement cela signifie une baisse du pouvoir d’achat, à plus ou moins court terme. Les QE aux USA ont porté sur environ 3700 milliards de dollars, ce qu’on peut comparer au PIB des USA, officiellement environ 17000 milliards, probablement moins d’après nous. Quoi qu’il en soit, le montant des QE, étalé sur plusieurs années, représente presque un quart du PIB annuel des USA. A mon sens, il est impossible que le QE ait un effet positif sur la consommation aux USA, parce qu’il tend à déprimer le pouvoir d’achat.

Enfin certains avaient prédit que les QE génèreraient de l’inflation. En pratique, il n’y en a pas eu. La raison principale est que l’état général de l’économie des USA, globalement en régression depuis 1999, n’est pas propice à l’inflation.

Effets pervers du QE

Globalement, les QE ont donc pour effet pratique d’augmenter l’endettement public et, en même temps, de rogner le pouvoir d’achat des contribuables, alors que ce sont eux qui devront un jour ou l’autre rembourser tout ou partie de cet endettement public.

En outre, et c’est là, le plus grave, le transfert des créances pourries des banques privées vers la sphère publique donne aux banques des liquidités nouvelles, qui favorisent l’éclosion puis l’explosion de bulles spéculatives, dans lesquelles des montants considérables partent en fumée. La création de monnaie artificielle générée par le QE n’a donc pratiquement aucun effet positif sur l’économie réelle.

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