thomas_aquinEn complément du beau portrait de saint Thomas d’Aquin, présenté par Xavier Celtillos à l’occasion de la fête du docteur angélique dans le calendrier traditionnel, il est peut-être utile d’évoquer les principales vicissitudes historiques qu’a subies l’œuvre de l’Aquinate, et l’essentiel de ses thèses philosophiques.

De son vivant, son aristotélisme fut critiqué, soupçonné d’averroïsme, et ses écrits furent partiellement condamnés après sa mort. La canonisation leva les condamnations et fit de lui la référence dominicaine, mais les contestations scotistes et nominalistes ockamiennes furent ensuite aussi rudes que subtiles, et il en résulta pour la scolastique un certain discrédit.

Pourtant, à partir de 1545, la Contre-réforme catholique, avec le Concile de Trente, eut à nouveau recours à Saint Thomas pour répondre aux protestants. La Somme Théologique devint, pour le clergé du moins, le traité doctrinal qu’il faut lire et comprendre. Ce fut une première renaissance thomiste, l’époque de l’école de Salamanque, et de grands commentateurs tels que Suarez, Cajetan et Jean de saint Thomas. Ignace de Loyola fit de lui le docteur des jésuites, à suivre dans tous ses enseignements.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, c’est une nouvelle éclipse : avec la critique de l’aristotélisme scientifique, l’enseignement catholique et ses manuels de philosophie sont séduits par la simplicité de Descartes, et de Malebranche. Au siècle dit des Lumières, les systèmes impressionnants de la philosophie idéaliste moderne, notamment le kantisme, le travail de sape du « parti philosophique », et enfin les désastres de la révolution, affaiblissent encore plus une pensée catholique imparfaitement défendue au début du XIXe siècle, par des penseurs comme Joseph de  Maistre et Louis de Bonald et leur traditionalisme philosophique, à ne pas confondre avec l’attachement à la Tradition catholique ainsi dénommée.

On commence alors à redécouvrir les ressources des analyses de saint Thomas et de la scolastique pour répondre à la critique moderne, non seulement idéaliste mais aussi bientôt positiviste scientiste et matérialiste, et intégrer ce qui mérite de l’être. C’est l’Encyclique Aeterni Patris du Pape Léon XIII qui en 1879 engendre, de façon décisive, une seconde renaissance du thomisme. En 1914, Saint Pie X, combattant le modernisme, demande que saint Thomas soit enseigné systématiquement dans les universités, les séminaires, et les collèges catholiques, et promulgue une liste de 24 thèses dont l’approbation est le socle de l’orthodoxie à la fois thomiste et catholique, l’un devenant philosophie officielle de l’autre.

Nous en retiendrons, pour simplifier, que le thomisme commun part du réalisme d’Aristote opposé à l’idéalisme (pour lequel nous ne connaissons que nos représentations) : à partir de l’expérience sensible, la raison humaine a accès à la réalité et peut (contrairement  à  Kant) s’assurer de l’existence de Dieu, mais ne Le connait pas tel qu’Il est, elle en a seulement une connaissance analogique, à partir de ce qu’Il n’est pas : « en écartant de Lui ce qui ne saurait Lui convenir, comme d’être composé, d’être en mouvement et autres choses semblables … » (S. Th., I a, q.3)  De cette façon, si la révélation dépasse ce que la raison humaine peut établir, les notions aristotéliciennes, notamment les relations d’acte et de puissance ainsi que de matière et de forme, sont les instruments privilégiés et nécessaires de l’analyse la plus exacte du réel, tant en Philosophie qu’en Théologie révélée.

Il reste qu’en dehors de ces thèses, les questions peuvent être disputées et que diverses positions et divers courants vont apparaître au sein de ce que certains ont appelé le néo-thomisme ou la néo-scolastique.

En simplifiant là encore, nous les ramènerons à deux courants : le premier qui a été qualifié de traditionnel et poursuit le combat contre les erreurs modernes, et le second, qualifié de progressiste, cherchant, autant que cela lui paraît possible, à se réconcilier avec la modernité.

L’évolution de Jacques Maritain est au cœur de cette opposition. Né dans une famille républicaine et anticléricale, il étudie les sciences à la Sorbonne mais, avec son épouse Raïssa, ne se satisfait pas du scientisme régnant. Charles Péguy lui conseille les cours de Bergson, puis sous l’influence de Léon Bloy, il se convertit au catholicisme en 1906, et le dominicain Humbert Clérissac lui fait découvrir saint Thomas. Maritain devient un thomiste brillant, et comme le titre d’un de ses livres de 1922, Antimoderne, suffit à le montrer, intransigeant. Il va pourtant connaître une évolution qui  commence par son soutien à la condamnation vaticane de l’Action Française, dont il était pourtant proche, et qui le conduisit à écrire Humanisme intégral en 1936 : il y intègre les « acquis de la révolution française » et ceux du libéralisme, incite le catholique à s’engager mais en renonçant à la chrétienté et en acceptant la laïcité. Il encourage aussi Emmanuel Mounier qui fonde le personnalisme.

Ses positions furent contestées d’un point de vue thomiste notamment en Argentine, et au Canada par Charles De Koninck qui lui reproche son personnalisme substituant un absolu irréel de la personne humaine au Bien Commun. Ami personnel de Paul VI et des théologiens du Concile, son influence sur Vatican II fut ainsi considérable, même si dans Le paysan de la Garonne, il s’inquiète de ses conséquences, comme d’ailleurs le Pape qu’il avait inspiré. Celui-ci, comme ses successeurs, maintint théoriquement une primauté thomiste dont ils ne firent rien pour enrayer concrètement la disparition effective dans les institutions catholiques. Le thomisme de Jean-Paul II fut plutôt un personnalisme mâtiné de phénoménologie. Le cas suivant, du Pape devenu émérite est plus complexe, avec son improbable herméneutique de la continuité.

Le Pape François, enfin, n’en a parlé qu’à la manière de quelqu’un qui honorerait un disparu, correspondant à une des « époques de génie » de l’Eglise, en ajoutant selon sa manière cocasse « j’ai malheureusement étudié la philosophie dans des manuels de thomisme décadent ».

La barque de Pierre étant privée du gouvernail qui, dans la tourmente, lui évitait les récifs, part à la dérive, mais l’Evangile nous enseigne que Jésus, réveillé par ses disciples, apaise la tempête.

Il est d’actualité certaine de prier et d’étudier St Thomas d’Aquin.

Patrick Malvezin

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