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UKRAINE – L’imbroglio institutionnel et le désordre sont tels qu’il est difficile de s’adonner à des pronostics sur la tournure prochaine des événements. En effet, tandis que le président déchu Viktor Ianoukovitch se terre après avoir dénoncé un coup d’Etat et exprimé son refus de négocier avec des « bandits », le quartier gouvernemental à Kiev est aux mains des « milices d’auto-défense » du mouvement nationaliste « Secteur de droite » (Praviy sektor) et du parti « Liberté » (Svoboda) se substituant par-là aux forces de police. La Rada suprême (parlement monocaméral ukrainien) étant désormais « gardée » par ces volontaires, on peut raisonnablement se poser des questions sur le degré d’indépendance et de liberté avec lequel travaillent en ce moment les députés ukrainiens, qui, après avoir élu un nouveau président par intérim, ont aboli le statut de la langue russe[1] dans le pays et limogé tous les juges de la Cour constitutionnelle. On peut également se demander ce que fait la police officielle pendant ce temps et à qui obéit-elle.

La situation est donc extrêmement confuse. Aujourd’hui, qui gouverne réellement l’Ukraine ? Et qui la gouvernera demain ?

Ioulia Timochenko, pasionaria de la révolution orange de 2004-2005 fraîchement sortie de prison, occupe maintenant les devants de la scène médiatique. Se portera-t-elle candidate à l’élection présidentielle anticipée du 25 mai ? Qui vivra verra. Notons simplement au passage que si l’Ukraine revient bel et bien à sa constitution de 2004, la fonction de premier ministre reviendra à l’avant-plan au détriment du siège de président dont les prérogatives seront réduites à la portion congrue.

Mais qui est réellement cette « égérie de la révolution orange » ? Nous vous proposons un petit rappel de quelques éléments du parcours peu reluisant de Ioulia Timochenko.

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En 1995, Ioulia Timochenko lançait avec Pavel Lazarenko, son mentor politique, la société gazière Systèmes énergétiques unifiés d’Ukraine qui lui permettra d’amasser une des plus grosses fortunes du pays. S’asseyant en 1999 dans le fauteuil de premier ministre, Lazarenko nomma sa comparse au poste de ministre de l’énergie. Ils mirent alors en œuvre une réforme du secteur gazier qui fit tomber directement plus de quatre milliards de dollars de bénéfices supplémentaires dans l’escarcelle de leur compagnie Systèmes énergétiques unifiés d’Ukraine. A cette époque où la Russie n’avait pas encore été remise sur les rails par Vladimir Poutine, Timochenko et les Russes de Gazprom s’entendaient comme larrons en foire. Mais la roche tarpéienne est proche du Capitole : jugée trop ambitieuse, la « princesse du gaz » Timochenko a été bien vite limogée par le chef du gouvernement Lazarenko, qui, pour sa part, sera condamné quelque temps plus tard (en 2006), à neuf ans de prison pour fraudes, blanchiment d’argent et extorsions aux Etats-Unis. L’élection présidentielle de 2004 offrit l’occasion à Timochenko de revenir en force dans la politique ukrainienne en lançant son parti, le Bloc Ioulia Timochenko, dans la révolution orange du côté du candidat occidentaliste Viktor Ioutchenko. Celui-ci accédant à la présidence en janvier 2005, il nomma « l’égérie de la révolution orange » à la tête du gouvernement, puis la limogea sept mois plus tard. La victoire électorale du Bloc Timochenko aux législatives de 2007 ont à nouveau propulsé Ioulia Timochenko au poste de premier ministre où elle se maintiendra jusqu’à l’élection de Viktor Ianoukovitch à la présidence en 2010. Le bilan de ces trois années à la tête du gouvernement ? « paralysie politique, gabegie, économie étouffée par la corruption » selon un câble diplomatique américain révélé par Wikileaks. Un autre télégramme émanant de l’ambassade américaine à Kiev fait part d’un « manque de compréhension élémentaire des fondamentaux de l’économie » dans le chef de Ioulia Timochenko. Aujourd’hui, bien que débarrassée de la peine de prison qu’elle purgeait pour abus de pouvoir, elle reste impliquée dans deux procès pour fraude fiscale et complicité d’assassinat d’un député en 1996.

S’il est difficile de regretter le corrompu et velléitaire Ianoukovitch, on se demande néanmoins comment pourrait-on faire confiance à un pédigrée tel que celui de Timochenko pour nettoyer les écuries d’Augias et redresser un pays au bord de la faillite économique.

Quoi qu’il en soit du futur politique de Ioulia Timochenko, son parti « Patrie » n’a pas attendu la tenue d’élections et s’est d’ores et déjà emparé de postes clés comme le ministère de l’intérieur, la présidence de la Rada suprême et la présidence par intérim de l’Etat ukrainien.

Il est d’ailleurs cocasse –si l’on peut dire– de se rappeler que l’accord d’association avec l’Union européenne auquel Viktor Ianoukovitch a renoncé le 21 novembre ne prévoyait absolument pas d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, mais un simple accord de libre-échange sans aucune aide, quelle qu’elle soit, de la part de Bruxelles. La volte-face de Ianoukovitch s’explique en grande partie par les 15 milliards de dollars mis sur la table par la Russie. L’ironie de l’histoire est que maintenant, les autorités intérimaires semblent découvrir la situation désastreuse dans laquelle se trouve l’économie du pays et ont déjà commencé à mendier pas moins de 35 milliards de dollars auprès du FMI, des Etats-Unis et de l’UE, donnant implicitement raison au président qu’elles viennent de destituer.

Il valait bien la peine de mener une révolution pour ça ! Les nationalistes de Svoboda et de Praviy sector se montrent bien lents à comprendre que leur combat et leurs morts ne profiteront pas à l’Ukraine mais d’abord à des puissances étrangères et des ploutocrates qui les manipulent…

Baudouin Lefranc



[1] Environ un quart de la population ukrainienne est russophone.

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