Le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier l’a confirmé en février dernier : un concile panorthodoxe s’ouvrira à la Pentecôte 2016 en la cathédrale Sainte-Irène à Istanbul (Constantinople). Malgré que les médias occidentaux en parlent peu, il s’agit d’un événement majeur.

Depuis le deuxième concile œcuménique (rassemblant les évêques du monde entier) de Nicée en 787 (ou septième concile œcuménique), plusieurs siècles avant le grand schisme de 1054, plus jamais les évêques orthodoxes ne se sont réunis au grand complet.

Le concile panorthodoxe réunira à la Pentecôte 2016 des évêques des 14 Églises orthodoxes autocéphales se reconnaissant comme telles entre elles. Si le concile de 2016 est désigné par les orthodoxes comme panorthodoxe plutôt que comme œcuménique, c’est parce que chaque Église locale ne sera représentée que par 24 évêques (sauf, évidemment, celles n’en comptant pas autant). Tous les évêques de la chrétienté orthodoxe ne seront donc pas présents.

Longuement attendu, ce concile panorthodoxe est en préparation depuis le début des années 1960. Plusieurs commissions interorthodoxes préparatoires et conférences panorthodoxes préconciliaires ont eu lieu entre 1961 et aujourd’hui, d’abord à Rhodes, puis en Suisse. De nombreux obstacles ont jusqu’ici fait obstruction à l’organisation d’un tel concile, comme par exemples le manque d’une langue commune à tous à l’instar du latin pour l’Église catholique romaine ainsi que les résistances du patriarcat de Moscou longtemps assujetti au pouvoir politique soviétique.

Les thèmes retenus à l’agenda du concile sont l’autocéphalie, la diaspora orthodoxe, les relations avec les autres Églises chrétiennes, les questions éthiques et sociales, la mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain, le calendrier liturgique (la chrétienté orthodoxe est divisée entre les utilisateurs des calendriers julien et grégorien), et la primauté du patriarcat de Constantinople.

On sait que l’œcuménisme et les relations avec les autres religions constitueront un des thèmes principaux de ce concile. A ce sujet, les changements majeurs intervenus ces dernières années dans toute une série de communautés protestantes qui se sont engagées sur la voie de la libéralisation de la doctrine et de l’enseignement moral ont clairement entaché, voire réduit à néant, le dialogue interchrétien avec l’épiscopat orthodoxe. Globalement, les clercs orthodoxes restent fermement convaincus que seule l’Église orthodoxe constitue l’Église une, sainte, catholique et apostolique fondée par Jésus-Christ.

On peut facilement s’attendre à ce que le concile soit l’occasion pour le clergé « œcuméniste » ou libéral de tenter d’imposer de nouvelles orientations dans l’Église orthodoxe à l’instar de ce qu’ont réussi les modernistes dans l’Église catholique romaine lors du deuxième concile du Vatican. Cependant, un sérieux obstacle sur la voie des révolutionnaires et des novateurs est le fait que le patriarcat de Moscou a obtenu que toutes les décisions, tant au concile panorthodoxe même qu’au cours de sa préparation, seront obligatoirement prises sur base du consensus, c’est-à-dire à l’unanimité des Églises locales, égales en droit. Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies y voit ainsi la garantie que la voix de chaque Église locale sera entendue et considère que cela permettra la préservation de l’unité panorthodoxe. D’un autre côté, un immobilisme excessif du concile panorthodoxe pourrait comporter le risque de diminuer son autorité sur l’ensemble de la chrétienté orthodoxe et de laisser libre cours aux différentes Églises locales dans ce qui n’aura pas été fixé par le concile.

Une autre épineuse question est actuellement au centre des débats préparatoires au concile. Il s’agit de la primauté du patriarcat de Constantinople. La dominante dans l’orthodoxie est la collégialité et non pas la primauté. L’orthodoxie reconnaît au patriarche œcuménique de Constantinople une primauté d’honneur qui implique une diaconie de service sur le plan panorthodoxe mais pas une primauté au sens juridique du terme ou bien une quelconque forme de juridiction universelle sur l’orthodoxie. Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent en faveur d’un renforcement substantiel de la primauté du siège de Constantinople. Mais les splendeurs de l’empire byzantin ne sont plus qu’un souvenir depuis bien longtemps tandis que, dans le même temps, le pouvoir et l’influence que détient aujourd’hui le patriarcat de Moscou est sans commune mesure avec l’impuissance du patriarcat de Constantinople. En fait, l’enjeu qui opposent aujourd’hui différentes Églises autocéphales est similaire à celui qui a abouti au grand schisme de 1054 entre l’Église « romaine » d’Occident et l’Église d’Orient. Jadis, les Byzantins n’acceptèrent pas l’autorité suprême de l’évêque de Rome sur l’Église catholique universelle alors que l’empire romain d’Occident s’était effondré et avait été dépecé plusieurs siècles plus tôt et que l’empire romain d’Orient, lui, était florissant. De même aujourd’hui, les orthodoxes russes voient d’un mauvais œil que le patriarche de Constantinople, dont la puissance n’est plus que l’ombre d’elle-même, revête une primauté qui réduirait leur autonomie. « Moscou est la troisième Rome et de quatrième il n’y aura pas. » aiment à dire les orthodoxes russes. Un autre aspect du problème est que les éléments les plus conservateurs de l’Église orthodoxe craignent que l’octroi d’une primauté plus grande au patriarcat de Constantinople fasse courir le risque que des innovations œcuménistes et libérales soient par la suite plus facilement généralisées, voire imposées à toute l’Église. Le patriarcat de Moscou est par ailleurs fort critiqué par certains dignitaires orthodoxes pour ses fortes réticences dans le dialogue théologique avec l’Église catholique romaine.

Le 14 octobre 2015, à l’issue d’une messe solennelle célébrée à Genève au cours de la cinquième conférence préconciliaire panorthodoxe, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné les explications suivantes quant au concile de 2016 :

« Nous sommes venus dans cette ville participer à la préparation du Concile panorthodoxe. Dans les milieux orthodoxes, les fidèles se posent beaucoup de questions sur ces travaux. Que sera ce Concile ? Qu’y décidera-t-on ? Ne va-t-on pas changer le calendrier ? N’introduira-t-on pas des innovations ? Je veux vous déclarer à tous qu’il n’y aura aucune innovation. On n’introduira pas de nouveau calendrier, la doctrine de l’Église orthodoxe sur les jeûnes sera confirmée. Et ce Concile sera bâti de telle façon qu’aucune décision ne pourra être prise au détriment de l’une ou de l’autre des Églises. Si une Église orthodoxe locale n’est pas d’accord avec une décision proposée, elle ne sera pas adoptée. Les décisions du Concile seront prises à l’unanimité, suivant la méthode du consensus. Et ce ne sera pas un huitième Concile œcuménique, comme certains le pensent, mais un Concile panorthodoxe. Nous espérons qu’il se déroulera dans la paix, la concorde, l’unanimité et l’amour. Les travaux de préparation que nous poursuivons en ce moment servent justement à assurer la paix et la concorde entre les Églises, pour qu’il n’y ait aucune contradiction ni aucun conflit. » Le représentant de l’Église orthodoxe de Grèce dans les conférences préconciliaires, le métropolite Messinia Chrysostome, s’est exprimé devant le saint synode de l’Église orthodoxe de Grèce d’octobre 2014 en décrivant en ces termes le concile panorthoxe à venir : « L’Église orthodoxe confesse et proclame inébranlablement qu’elle constitue la continuité authentique de l’Église une, sainte, catholique et l’arche du salut pour ceux qui sont prêts et ceux qui sont éloignés. Par le saint et grand concile de l’Église catholique orthodoxe qui se réunira la semaine de la Pentecôte 2016, l’unité de l’Église orthodoxe sera affirmée et exprimée de façon panorthodoxe. Cette unité ne sera pas exprimée par l’abolition et l’inactivation du caractère local des Églises orthodoxes et la recherche de solutions de compromis, mais par un processus de résolution à l’unanimité des problèmes qui ont influencé et influencent de façon destructrice la manifestation de l’Église orthodoxe comme un seul corps, et font vaciller la possibilité d’expression de la conscience conciliaire commune des Églises orthodoxes locales entre elles et dans l’unité. Relativement au dialogue théologique dans le cadre du Conseil œcuménique des Églises, il convient d’éviter toute forme de prière commune et de déterminer le mode de participation des membres orthodoxes dans les organes de prises de décision. Au demeurant, aucun texte de ce Conseil œcuménique des Églises n’a été signé ou adopté par l’Église de Grèce. […] Les perspectives du dialogue théologique avec les anglicans sont aujourd’hui affaiblies, le dialogue avec les catholiques romains est assombri tant par le prosélytisme des uniates que par la difficulté de compréhension concernant le fonctionnement et l’application de la primauté dans le cadre du Synode et des structures ecclésiales, tandis que les perspectives des dialogues avec les luthériens et les réformés ont reculé en raison de l’ordination des femmes. »

Nous vivons assurément dans un monde difficile du point de vue religieux. Le matérialisme et le sécularisme ambiants sont des dangers mortels pour la spiritualité chrétienne. « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » écrivait déjà Georges Bernanos en 1947 dans La France contre les robots. La place du christianisme et de la Révélation dans le monde moderne, les relations avec les autres religions et l’œcuménisme seront vraisemblablement des questions centrales au concile panorthodoxe de 2016. Espérons que les orthodoxes s’en sortent mieux que l’Église catholique romaine avec le concile Vatican II et ses suites. L’enjeu est de taille !

Baudouin Lefranc

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