Le cardinal Caffarra, un des signataires des dubia envoyés au pape au sujet d’Amoris laetitia, explique cette démarche au quotidien italien Il Foglio. Après avoir explicité les raisons de ce geste dans une première partie, il en vient à commenter la confusion et le désarroi qu’il perçoit chez les prêtres à cause des ambiguïtés de l’Exhortation bergoglienne, sources de multiples interprétations. Nous noterons que le cardinal Caffarra, tout en ayant le souci de préserver l’indissolubilité du mariage et la discipline sacramentelle traditionnelle qui interdit à toute personne vivant en état de péché grave de s’approcher des sacrements, s’appuie cependant pour défendre sa position, et celle de ses trois collègues cardinaux, sur l’enseignement post-conciliaire de Jean-Paul II…  Comme l’a rappelé fort justement un éminent écrivain brésilien catholique de tradition, Atila Sinke Guimarães, dans un récent article sur les dubia,

“Jean-Paul II était loin d’être un maître d’une saine moralité.  Bien qu’il répéta parfois l’enseignement traditionnel de l’Église, de manière habituelle, son approche morale était tributaire du personnalisme de Max Scheler, qui est opposé à la philosophie traditionnelle de l’Église.  Sa théologie du corps est clairement immorale ; les éloges du nudisme ne sont pas rares dans ses travaux, et, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, il a implicitement promu l’amour libre parmi les jeunes.  Si les Cardinaux souhaitaient défendre la morale pérenne de l’Église, pourquoi se sont-ils basés eux-mêmes à une source contaminée ?”

D’ailleurs, les tenants de la communion aux divorcés remariés civilement s’appuient également sur l’enseignement moral et sexuel du pape polonais : pour eux Amoris Laetitia est dans sa continuité et n’en est que le développement harmonieux !

Il est évident pour tout esprit catholique attaché à la Tradition immuable de l’Église catholique que le combat de ces quatre cardinaux, tout en ayant le mérite d’exister et de rappeler l’enseignement traditionnel pour la réception des sacrements, pèche par l’absence de remise en question de la cause première et fondamentale du désastre Amoris Laetitia : l’esprit libéral, moderniste, ambigu et protestant qui a pénétré profondément les mentalités catholiques ces dernières décennies suite au concile Vatican II qui a voulu ouvrir et adapter l’Église catholique au monde moderne en favorisant pour venir en aide aux hommes de Notre Temps non une meilleure compréhension et explication de la doctrine catholique, ce qui a toujours été permis par l’Église et la Tradition, mais son évolution progressiste quitte à en devenir contradictoire… D’immuable la doctrine bi-millénaire de l’Église est devenue changeante, instable, mutable :  Amoris laetitia n’est en fait qu’une des expressions, il est vrai très visible donc plus choquante, de cet évolutionnisme destructeur du dogme, d’habitude plus sournois ! La confusion qui en ressort n’en est que plus manifeste et provoque la réaction du cardinal Caffarra.

« J’ai reçu une lettre d’un curé, continue le cardinal Caffarra dans son entretien à Il Foglio, qui est une photographie parfaite de ce qui est en train d’arriver. Il m’écrivait : « Dans la direction spirituelle et dans la confession je ne sais plus quoi dire. Au pénitent qui me dit : je vis pleinement comme mari d’une femme divorcée et maintenant je reçois la communion, je propose un cheminement dans le but de corriger cette situation. Mais le pénitent m’arrête et répond tout de suite : Vous savez, père, le pape a dit que je peux recevoir l’eucharistie, même si je n’ai pas l’intention de vivre dans la continence. Moi, je n’en peux plus de cette situation. L’Église peut tout me demander, mais pas de trahir ma conscience. Et ma conscience fait objection à ce supposé enseignement pontifical qui admet à la communion, selon certaines circonstances, les personnes qui vivent more uxorio (comme mari et femme, ndlr) sans être mariées. » Ainsi m’écrivait le curé. La situation de bien des pasteurs d’âmes, je parle surtout des curés, est celle-ci : ils ont sur les épaules un poids qu’ils ne sont pas en mesure de porter. C’est à cela que je pense quand je parle d’un grand désarroi. Et je parle des curés, mais beaucoup de fidèles sont encore plus désemparés. Nous sommes en train de parler de questions qui ne sont pas secondaires. On n’est pas en train de discuter si le poisson rompt ou ne rompt pas l’abstinence. Il s’agit de questions très graves pour la vie de l’Église et pour le salut éternel des fidèles. Ne l’oublions jamais : c’est la loi suprême dans l’Église, le salut éternel des fidèles. Pas d’autres préoccupations. Jésus a fondé son Église pour que les fidèles aient la vie éternelle et l’aient en abondance. »

La division à laquelle fait référence le cardinal Caffarra est suscitée par les interprétations contradictoires des paragraphes 300 à 305 d’Amoris Laetitia : pour beaucoup de personnes, y compris des évêques, se trouve confirmer ainsi un virage non seulement pastoral mais aussi doctrinal. D’autres en revanche pensent que c’est en continuité avec le magistère précédent Question du journaliste d’Il Foglio au cardinal : “comment sortir d’une telle équivoque ?

« Je préciserais deux prémices très importantes. Penser une praxis pastorale qui n’est pas fondée et enracinée dans la doctrine signifie fonder et enraciner la praxis pastorale sur l’arbitraire. Une Église qui porte peu d’attention à la doctrine n’est pas une Église plus pastorale mais une Église plus ignorante. La Vérité dont nous parlons n’est pas une vérité formelle mais une Vérité qui donne la salut éternel : Veritas salutaris, en termes théologiques. (…) Il y a des vérités que j’appelle existentielles. S’il est vrai comme Socrate l’avait déjà enseigné, qu’il vaut mieux subir une injustice plutôt que de la commettre, j’énonce une vérité qui pousse ma liberté à agir d’une manière totalement différente que si le contraire était vrai. Quand l’Église parle de vérité elle parle de vérité existentielle laquelle génère la vraie vie. Quand j’entends que c’est seulement un changement pastoral et non doctrinal, ou que le commandement qui interdit l’adultère n’est qu’une loi purement positive qui peut être changée (et je pense qu’aucune personne droite ne peut retenir cela), alors cela signifie admettre que oui le triangle a généralement trois côtés mais qu’il y a la possibilité d’en construire un avec quatre côtés. Ce qui est une chose absurde. Déjà les médiévaux d’ailleurs disaient : theoria sine praxi, currus sine axi; praxis sine theoria, caecus in via”.

La seconde prémisse regarde « le grand thème de l’évolution de la doctrine qui a toujours accompagné la pensée chrétienne. Et que nous savons a été repris de manière magnifique par le bienheureux John Henry Newman. S’il y a un point qui est clair c’est qu’il n’y a pas d’évolution là où il y a contradiction. Si je dis que s est p puis je dis que s n’est pas p, la seconde proposition ne développe pas la première mais la contredit. Déjà Aristote avait justement enseigné qu’énoncer une proposition universelle affirmative (ex : chaque adultère est injuste) et au même moment une proposition particulière négative ayant le même sujet et proposition (ex : certains adultères ne sont pas injustes), on ne fait pas une exception à la première, on la contredit. Enfin, si je voulais définir la logique chrétienne, j’utiliserais l’expression de Kierkegaard : « toujours bouger, en restant toujours immobile au même point. »

Le problème ajoute le cardinal « c’est de savoir si les fameux paragraphes 300-305 d’Amoris laetitia et la fameuse note n°351 sont ou ne sont pas en contradiction avec le magistère précédent des pontifes qui ont affronté cette question. Selon beaucoup d’évêques c’est une contradiction. Selon beaucoup d’autres évêques il ne s’agit pas d’une contradiction mais d’un développement. Et c’est pour cela que nous avons demandé un réponse au pape. »

En effet le point le plus contesté et qui a animé les discussions synodales fut bien la possibilité de concéder aux divorcés remariés civilement l’accès à l’eucharistie. On ne trouve pas cela dit aussi explicitement dans Amoris laetitia mais selon de nombreux ecclésiastiques c’est un fait implicite qui ne représente qu’une évolution cohérente par rapport au N° 84 de l’Exhortation Familiaris consortio de Jean-Paul II. Or le cardinal Caffarra  invoque Familiaris consortio pour défendre sa position (comme quoi l’ambiguïté ne date pas de François !)  :

« Le nœud du problème est le suivant, explique le cardinal Caffarra. Le ministre de l’Eucharistie peut-il donner la communion à une personne qui vit more uxorio avec une femme ou un homme qui n’est pas sa femme ou son mari, et qui n’entend pas vivre dans la continence ? Les réponses sont deux : Oui ou Non. Personne d’ailleurs ne met en question que Familiaris consortio, Sacramentum unitatis, le Code de Droit canon et le Catéchisme de l’Église catholique répondent Non à cette question. Un Non valide jusqu’à ce que le fidèle ne propose pas d’abandonner l’état de cohabitation more uxorio. Amoris Laetitia enseigne-t-elle que, selon certaines circonstances précises et selon un certain parcours, le fidèle pourrait accéder à la communion sans s’engager à la continence ? Il y a des évêques qui enseignent que c’est possible. Par logique il faut alors enseigner que l’adultère n’est pas en soi et par soi un mal. Il n’est pas pertinent d’invoquer, même si cela est malheureusement très répandu, l’ignorance ou l’erreur par rapport à l’indissolubilité du mariage. Cette invocation a une valeur interprétative non indicative. Elle doit être utilisée comme méthode pour discerner l’imputabilité des actions déjà accomplies, elle ne peut être le principe pour des actions à accomplir. Le prêtre a le devoir d’illuminer l’ignorant et de corriger celui qui erre. 

Ce qu’Amoris laetitia a apporté de nouveau sur cette question, c’est l’avertissement auprès des pasteurs de ne pas se contenter de répondre Non (ne pas se contenter de répondre Non ne signifie pas répondre Oui) mais de prendre en main la personne et de l’aider à grandir jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’elle se trouve dans une situation telle qui ne lui permet pas de recevoir la communion si elle ne sort pas de l’intimité propre aux époux. Mais cela ne veut pas dire que le prêtre puisse lui dire « j’aide votre cheminement en vous donnant aussi les sacrements ». Et c’est sur ce point que la note n° 351 du texte est ambiguë. Si je dis à cette personne qu’elle ne peut pas  avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qui n’est pas son mari ou son épouse, mais que pour l’instant, étant donné l’effort qu’elle fait, elle peut en avoir… seulement un plutôt que trois par semaine, cela n’a pas de sens ; et je ne suis pas miséricordieux vis-à-vis de cette personne. Parce que pour mettre fin à un comportement habituel – un habitus, diraient les théologiens – il faut qu’il y ait un ferme propos de ne plus accomplir aucun acte propre à ce comportement. Dans le bien il y a un progrès, mais entre laisser faire le mal et commencer à accomplir le bien, il y a un choix instantané, même si longuement préparé. Durant une certaine période Augustin priait : « Seigneur, donne-moi la chasteté, mais ne le fais pas tout de suite. » (Traduction de Francesca de Villasmundo)

(En raison de la longueur de l’entretien du cardinal Caffarra, la suite sera traduite et publiée demain.)

Francesca de Villasmundo

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