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Abbé Jean-Michel Gleize : Sainte ou misérable ? L’année du Jubilé à l’épreuve de la miséricorde

La Porte Latine, site du district de France de la Fraternité Saint Pie X, a diffusé un texte d’une grande importance, concernant le jubilé de la miséricorde. Il rejoint en tous points celui sur le même sujet de monsieur l’abbé de la Rocque, sur l’impossibilité des catholiques et de tous ceux qui refusent le nouvel ordre mondial de s’associer ou de participer à un tel jubilé. 

I – 1965-2015 : le sens d’un Jubilé

1. Depuis le 8 décembre dernier, le Jubilé extraordinaire publié par le Pape François suit son cours. Le successeur de saint Pierre a choisi cette date d’ouverture « pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Eglise » (1). L’intention avérée du Souverain Pontife est en effet d’ouvrir la Porte Sainte « pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du Concile œcuménique Vatican II ». Ceci est désormais chose faite ; et ceci explique le sens profond de la démarche : dans la ligne du dernier concile, cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, a pour but de repousser « toute forme de discrimination » (2). François s’en est d’ailleurs clairement expliqué (3), en faisant explicitement référence à ses prédécesseurs. Lors de l’ouverture du concile Vatican II, Jean XXIII a pris soin d’avertir les fidèles catholiques que « l’Epouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité ». A ces propos tenus par le Pape, firent écho ceux de son successeur Paul VI, lors de la clôture du même concile : « La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile ». Dans l’Evangile, cette histoire est une parabole, qui indique de manière imagée ce qu’est la miséricorde. Cinquante ans plus tard, le Pape François ne fait donc que persévérer, avec tout l’éclat et toute la publicité médiatique que comporte l’initiative d’un Jubilé, dans la nouvelle optique adoptée par Jean XXIII et Paul VI. « Le premier devoir de l’Église », a-t-il répété tout récemment (4), « n’est pas celui de distribuer des condamnations ou des anathèmes mais il est celui de proclamer la miséricorde de Dieu, d’appeler à la conversion et de conduire tous les hommes au salut du Seigneur ».

2. Quelle miséricorde ? Quelle conversion ? Quel salut ? Et donc finalement, quelle indulgence ? Ce sont les questions qui se posent de plus en plus, à la conscience des catholiques, depuis cinquante ans. Et l’ouverture du récent Jubilé en souligne toute l’urgence.

II – La vraie miséricorde (5)

3. La miséricorde est une vertu, distincte de toute autre, car ayant son objet et son motif propres. L’objet de la miséricorde consiste à soulager la misère d’autrui. Le motif de la miséricorde est le fait de considérer cette misère d’autrui comme la sienne.

L’objet de la miséricorde.

4. La misère est un mal, et dans l’ordre des choses humaines, le mal se divise adéquatement entre le péché et la peine. La différence capitale entre ces deux sortes de maux est que le péché est commis, alors que la peine est subie. Tout mal involontairement subi (6) est en effet une peine, puisque tout mal est précisément subi en conséquence du péché, originel ou personnel, dont il est le juste châtiment providentiel. Tout mal volontairement commis est un péché, puisque tout mal est précisément commis à l’encontre de la loi divine éternelle. A considérer les choses dans toute leur précision, on comprend alors que le péché et la peine s’opposent : un même mal ne peut pas être à la fois l’un et l’autre sous le même rapport, parce qu’il ne peut être à la fois sous le même rapport commis et subi. En restant dans cette ligne de précision, nous dirons que le péché, parce qu’il est un mal commis volontairement, et dans la mesure précise où il l’est, appelle de soi la justice et donc le châtiment ou la peine ; la peine, au contraire, parce qu’elle est un mal que l’on subit, à l’encontre de sa propre volonté, peut susciter la miséricorde, dans la mesure où le péché qui l’a méritée devient de la part du pécheur objet de regret efficace, c’est à dire de pénitence.

5. La misère, objet de la miséricorde, est précisément le mal subi d’une peine. Il n’y a donc pas à distinguer, du point de vue de la miséricorde, entre le pécheur (qui mériterait la miséricorde) et le péché (qui serait à réprouver), par exemple entre l’homosexuel et l’homosexualité, ou l’adultère et … l’adultère !  En tant que tel, le pécheur se définit comme celui qui commet volontairement le péché, l’homosexuel comme celui qui commet volontairement l’acte contre nature, l’adultère comme celui qui commet volontairement l’injustice d’une indifélité à l’égard de son conjoint. Le pécheur en tant qu’il pèche volontairement mérite la même réprobation que son péché et c’est pourquoi il ne mérite aucune miséricorde. La distinction est possible à un autre niveau, puisque des aspects différents peuvent se rencontrer dans les mêmes choses. Un péché, qui est forcément volontaire, peut dépendre en même temps que du consentement libre, de bien des facteurs qui y ont poussé et qui sont faiblesse, infirmité : par là s’introduit de l’involontaire qui diminue le péché ; par ce côté, il cesse d’être un mal commis pour devenir un mal subi, et donc une misère, et il appelle plutôt l’excuse et le pardon, la miséricorde. Par conséquent, s’il y a une distinction à faire, elle a lieu entre le péché et la misère, entre le pécheur et le misérable, entre l’homosexualité (ou l’homosexuel) et l’infirmité d’une concupiscence contre nature, entre l’adultère et l’infirmité d’une concupiscence malheureusement trop commune. Par accident, le pécheur (et non son péché) peut être objet de miséricorde, non pas dans la mesure où il commet volontairement une action mauvaise, mais en tant qu’il subit involontairement le poids d’une concupiscence mauvaise, qui le pousse malgré lui à contredire les injonctions de la loi divine. Voilà en quel sens il est vrai de dire que nous devons plutôt plaindre le pécheur et le secourir que nous indigner et le condamner. C’est que nous le prenons ici formellement par le côté où il est misère, par le côté où il nous parait avoir des excuses ; nous l’expliquons par tout ce qui a pu s’introduire en lui d’involontaire. Et nous le prenons aussi par le côté où, éventuellement, il déteste l’action mauvaise qu’il a commise et cherche à la réparer. A tous ces points de vue, mais à ces points de vue seulement, la miséricorde peut viser à soulager la misère du pécheur.

Le motif de la miséricorde.

6. Le motif de la miséricorde est toujours le fait de considérer la misère d’autrui comme la sienne propre. Cela est facile à comprendre, si l’on se souvient que la miséricorde est fondamentalement une tristesse, et que l’on ne saurait « avoir mal au cœur » devant la misère d’autrui, à moins qu’elle ne nous touche. Et la misère nous touche, parce que nous la partageons, c’est à dire lorsque nous la faisons nôtre. Toute la question est alors de savoir pourquoi nous faisons nôtre cette misère d’autrui.

7. Il existe une certaine miséricorde naturelle, humanitaire ou philanthropique, en vertu de laquelle tout homme aime naturellement son semblable et partage donc sa misère, qui est celle du genre humain en tant que tel. Cette miséricorde repose en définitive sur un lien objectif et réel (c’est à dire qui ne dépend ni de notre connaissance ni de notre affection, sensible ou volontaire) et qui motive une tendance quasiment spontanée de la nature humaine. On dit précisément de ceux qui la contredisent qu’ils sont « dénaturés ». Cette tendance pousse tout homme normalement constitué à prêter son assistance à toute personne en danger, à tout personne subissant un mal, et le refus de cette assistance constitue même dans certains cas un délit, sanctionné par la loi humaine positive, explicitant en l’occurrence le droit naturel. Mais pour être naturelle et radicalement inviscérée en tout homme, cette miséricorde fait abstraction de la connaissance des racines profondes du mal. Le mal subi, qu’est la misère, ne lui apparaît pas de prime abord comme la conséquence du mal commis, qu’est le péché. Et c’est justement faute de connaître le rapport qui existe entre les deux que cette tendance naturelle à l’homme court toujours le risque de se méprendre.

8. La miséricorde surnaturelle va beaucoup plus loin ; elle suppose la charité. Le motif pour lequel nous voulons ici soulager la misère est en effet l’amitié qui nous rattache à Dieu, selon la grâce. Pour l’amour de Dieu, elle veut soulager tous ceux que peut atteindre la misère, misère spirituelle et corporelle à la fois. Et elle voit dans cette misère, qui atteint le prochain, la conséquence du péché, elle voit dans le mal subi la résultante du mal commis. Et elle voit donc aussi la juste mesure selon laquelle il convient de procéder pour soulager la peine encourue : c’est la mesure selon laquelle le péché qui justifie l’infliction de cette peine cesse d’être voulu par celui qui l’a commis, dans la mesure où le pécheur déteste son péché, dans la mesure aussi où le pécheur a des circonstances atténuantes. Ou du moins dans la mesure où l’exercice de la miséricorde, qui entend diminuer ou même suprimer le mal d’une peine, ne contredit pas les exigences de la justice, qui entend neutraliser le mal d’un péché. Et toute la question est justement là …

III – La vraie miséricorde et la justice (7)

9. La justice est la volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun ce qui lui est dû. Elle a donc pour but de régler nos rapports avec autrui. Et elle peut le faire de deux manières : soit avec autrui considéré individuellement, soit avec autrui considéré comme membre d’une société. Il y a donc deux formes de justice : la justice particulière et la justice générale ou légale. La justice particulière rend ce qui lui est dû à un individu pris en tant qu’individu. Elle peut le faire en rendant à cet individu ce qui lui est dû soit de la part d’un autre individu (c’est alors la justice commutative) soit de la part de la société (c’est alors la justice distributive). La justice générale ou légale rend au bien commun de la société ce qui lui est dû par chacun de ses membres. Car le bien de chaque vertu, de celles qui ordonnent l’homme envers soi-même, ou de celles qui l’ordonnent envers d’autres individus, doit être rapporté au bien commun auquel nous ordonne cette justice. De cette manière, les actes de toutes les vertus peuvent relever de la justice en ce que celle-ci ordonne l’homme au bien commun. Et en ce sens la justice est une vertu générale. Et parce que c’est le rôle de la loi de nous ordonner au bien commun, cette justice dite générale est appelée justice légale : car, par elle, l’homme s’accorde avec la loi qui ordonne les actes de toutes les vertus au bien commun.

10. La justice distributive implique le pouvoir de punir par des châtiments, afin de préserver l’ordre social. En effet, la société rend (en tant que telle et par l’intermédiaire de l’autorité) ce qui lui est dû à l’individu fauteur de désordre. Or, ce qui est dû de la part de la société à un fauteur de désordre est précisément la peine, ou le châtiment, qui rétablit l’ordre. Parmi ces châtiments figure en bonne place la discrimination, c’est à dire le fait de ne pas jouir de la même liberté d’action publique que les autres membres de la société. Comme tout châtiment, la discrimination n’est pas un mal mais un bien, du point de vue précis du bien commun, dont elle préserve l’ordre. C’est à dire qu’elle est un bien pour tous, car elle est le moyen requis pour préserver efficacement le bien commun de la vertu contre le mauvais exemple du vice. Elle est aussi en quelque manière un mal, (le mal de peine dont nous avons parlé) pour celui qui la subit. Ce mal involontairement subi par le discriminé (et par lui seul) est sa misère, dont la miséricorde pourra s’occuper pour y remédier. Mais ce n’est pas le mal de faute, le péché volontairement commis par l’autorité qui inflige la peine et impose la discrimination (comme le serait un prétendu manque de charité ou de miséricorde). Et ce n’est pas non plus le mal de peine involontairement subi par la société, c’est au contraire son bien, car c’est œuvre de justice. Il y a donc une différence formelle, au sein de la même réalité : ce qui est un bien du point de vue du bien commun (et en tant que bien, objet de la justice particulière, distributive) est mal de peine du point de vue du bien particulier (et en tant que mal de peine, objet de la miséricorde). Il appartient à la justice générale (ou légale) d’harmoniser les deux. Ce qui veut dire qu’il y a une dépendance de la miséricorde et de la justice particulière à l’égard de la justice générale. Celle-ci ordonne entre elles la justice particulière et la miséricorde et le principe de cet ordre est le bien commun. C’est en se plaçant à ce point de vue supérieur du bien commun que l’on ordonne comme il faut la miséricorde et la justice, au sein d’une même société. Ce qui signifie que dans la sainte Eglise comme dans la société civile les exigences du bien commun resteront toujours la règle et la mesure de la miséricorde. Et n’ayons garde d’oublier que le bien commun par excellence, mesure de tout autre, est le bien divin, Dieu lui-même, en qui justice et miséricorde s’identifient sans se confondre.

IV – La fausse miséricorde du Concile et de François.

11. Depuis le concile Vatican II, nous dit Jean XXIII, « l’Epouse du Christ estime que plutôt que de condamner elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine ». Plus exactement, nous dit encore Paul VI, « des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour ». L’erreur et le mal sont dénoncées comme tels, mais les personnes sont considérées comme si elles étaient hors de leur atteinte. Ou du moins comme si la considération de la vérité et de la bonté qui se trouvent en elles devait primer sur la part d’erreur et de mal. Paul VI évoque même un « courant d’affection et d’admiration » vis-à-vis de ces personnes. Il y a donc une inversion de rapport : jusqu’ici les exigences de la justice l’emportaient au for externe public sur celles de la miséricorde, car la gravité du péché l’emportait sur celle de la peine, et donc la nécessité d’imposer des discriminations pour préserver la société du péché commis par les personnes l’emportait sur le souci de faire miséricorde aux personnes membres de la société. Désormais, le souci de reconnaître et de promouvoir le bien des personnes l’emporte sur le souci de protéger le bien commun de la société. Ou plutôt, le bien commun de la société est confondu avec la somme des biens particuliers des personnes membres de la société. Le concile a voulu entériner les acquis de la pensée moderne et positionner pour cela l’Eglise au sein d’une société personnaliste et pluraliste.

12. Le propos du Pape François rejoint donc ici parfaitement celui du concile Vatican II : « Que cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, […] repousse toute forme de discrimination ». Le concile n’avait-il pas dit en effet : « Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu » (8)  ; « L’Église réprouve donc, en tant que contraire à l’esprit du Christ, toute discrimination ou vexation dont sont victimes des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur condition ou de leur religion » (9) ; « Le pouvoir civil doit veiller à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou occulte, pour des motifs religieux, et qu’entre eux aucune discrimination ne soit faite » (10). La déclaration sur la liberté religieuse pose la non-discrimination en principe. Ce principe se justifie lui-même par la prééminence du bien particulier sur le bien commun. Et par le fait même, Dignitatis humanae érige la miséricorde (qui a pour objet de remédier à la peine, en tant qu’elle constitue le mal d’un particulier) au dessus de la justice (qui a pour objet l’infliction de la peine, en tant qu’elle constitue le bien de tous).

13. Il devrait pourtant être évident (et ce le fut jusqu’ici pendant vingt siècles) que le pouvoir de la société civile comme le pouvoir ecclésiastique ont l’un et l’autre le devoir d’imposer des discrimination à l’encontre de ceux dont les péchés menacent l’ordre public, ne serait-ce que parce qu’ils représentent un scandale, c’est à dire une occasion de péché. Discrimination qui doit s’imposer en raison de la condition sociale ou religieuse des fauteurs de trouble. Condition religieuse s’il s’agit d’un culte public contraire à la vraie religion. Condition sociale s’il s’agit d’un comportement contraire à la loi divine naturelle (union matrimoniale illégitime ; unions homosexuelles). Le concile réprouve à l’inverse toute forme de discrimination : le bien absolument requis pour préserver l’ordre social est éliminé, sous prétexte qu’il représente le mal tout relatif d’une peine (donc une misère) pour les personnes. Et cette élimination se fait au nom du « primat de la miséricorde » (11). Mais du fait même qu’elle met le bien particulier au dessus du bien commun, celle-ci est redéfinie dans un sens personnaliste, étranger à la doctrine traditionnelle de l’Eglise.

14. Plus exactement, il s’agit d’une miséricorde humanitaire ou philanthropique, devenue incapable de saisir le lien qui rattache le mal du péché au mal de la peine. C’est parce que la peine est méritée par le péché qu’elle devient un bien : le bien commun d’une justice commune à toute la société et à toute l’Eglise. Faute de saisir ce lien, l’on ne verra plus dans la discrimination qu’un mal : le mal commun d’une injustice commune à tous les individus, à toute l’humanité. Il est clair que le dogme catholique « Hors de l’Eglise point de salut » exprime une discrimination et passe par la condamnation des « autres traditions religieuses ». La nouvelle conception héritée de Vatican II postule que « la valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Eglise » (12) et conduit très logiquement (quoiqu’implicitement) le Pape François à voir dans l’enseignement de ses prédécesseurs une injustice, contraire à la miséricorde : « Que cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination » (13).

V – Quelle indulgence ?

15. L’aveuglement qui frappe ainsi depuis cinquante ans les hommes d’Eglise, et jusqu’au premier d’entre eux, représente une grande misère. Mais nul doute que celle-ci constitue la juste peine méritée par le grand péché commis lors du Concile : car, ne l’oublions pas, le libéralisme est un péché. Et c’est justement ce péché du libéralisme qui se trouve au principe et au fondement de tout le Concile. Jean XXIII nous l’a dit et répété : « l’Epouse du Christ estime que plutôt que de condamner elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine ». Or, cela est exactement la reprise de l’erreur du libéralisme, condamnée par le pape Grégoire XVI, dans l’Encyclique Mirari vos : « Il est », disait-il, « des hommes emportés par un tel excès d’impudence, qu’ils ne craignent pas de soutenir opiniâtrement que le déluge d’erreurs qui découle de l’absence de condamnations est assez abondamment compensé par la publication de quelque livre imprimé pour défendre, au milieu de cet amas d’iniquités, la vérité et la religion » (14). La fausse miséricorde de François est la fille de la fausse liberté de Jean XXIII et de Paul VI. Le Concile a accouché d’un monstre, et ce monstre est le châtiment de son péché, la punition de ce mariage adultère entre les hommes d’Eglise et la Révolution. Cette punition est la grande misère d’aujourd’hui. L’année qui a été placée sous le signe de la miséricorde a été en réalité placée sous le signe d’un châtiment et c’est pourquoi elle est bien misérable. Non pas sainte mais misérable.

16. Nul doute que le Saint Père conserve, en tant que tel, c’est à dire en tant qu’il agit comme le véritable successeur de Pierre, le pouvoir de dispenser des indulgences et que ce pouvoir demeure ce qu’il est, indépendamment de toutes les circonstances où il s’exerce. Et la Fraternité Saint Pie X, à la suite de son vénéré fondateur, a toujours eu soin d’opérer cette distinction entre le pouvoir du Pape et son exercice : « Nous ne récusons pas l’autorité du pape, mais ce qu’il fait » (15). L’indulgence d’un Jubilé est la remise d’une peine. Sans doute. Mais il s’agit de la peine temporelle que Dieu inflige au pécheur repentant, afin qu’il puisse faire pénitence, et coopérer à son propre rachat, dans la dépendance du mérite du Christ. Autres sont les peines temporelles, autres sont les « discriminations » que l’autorité humaine a la charge d’infliger, afin de préserver la société contre la contagion du mauvais exemple.

17. Et qu’est-ce justement qu’une « peine » pour le Pape François ? « Le Jubilé », nous dit-il (16), « amène la réflexion sur l’indulgence ». Réflexion vaine car impuissante, depuis que le dernier Concile a falsifié les définitions précises de la théologie traditionnelle : à la différence des précédentes, cette Année jubilaire voit l’obscurcissement de la notion même d’indulgence, car la falsification porte précisément sur la notion même de miséricorde, qui est l’un des principes fondamentaux sur lesquels doit reposer la notion catholique d’indulgence.

18. La grande espérance des catholiques passera toujours par la pénitence : un mot qui n’apparaît jamais, pas une seule foi, d’un bout à l’autre de la Bulle d’indiction de ce Jubilé. Nous voulons pourtant demeurer dans cette espérance, et c’est pourquoi, une fois de plus, hélas, « nous ne récusons pas l’autorité du pape, mais ce qu’il fait ». Nous récusons cette notion faussée, libérale et moderniste, de la miséricorde. Nous récusons cet obscurcissement de la notion même d’indulgence. Nous récusons tout ce qui, à travers l’initiative de ce Jubilé décidément extraordinaire, peut faire référence au poison mortel du libéralisme, introduit dans la sainte Eglise par le dernier Concile, depuis cinquante ans. Et nous adhérons de tout cœur à la vraie doctrine traditionnelle, nous professons l’exacte notion de la vraie miséricorde, qui est au fondement de toutes les indulgences pontificales, en union avec tous les saints de l’Eglise catholique, en union avec tous les saints Papes qui nous ont transmis le vrai trésor de la vraie foi, gage du salut éternel de nos âmes.

Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Professeur au séminaire Saint-Pie X d’Ecône

Source : La Porte Latine – 11 janvier 2016

Notes

(1) Misericordiae Vultus, n° 4
(2) MV, n° 23
(3) MV, n° 4.
(4) François, « Discours de clôture pour le Synode extraordinaire sur la famille », le samedi 24 octobre 2015.
(5) Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, 2a2ae, question 30 ; Jacques Ramirez, De caritate, t. II, n° 922-988 ; Michel-Marie Labourdette, « Cours de théologie morale », ad locum.
(6) Le mal physique du corps, comme la mort, les coups et les blessures, la maladie, la vieillesse, la pauvreté ; le mal spirituel de l’âme comme la solitude ou le peu d’amis, la séparation d’avec sa famille, le déshonneur, la faiblesse d’esprit ; le mal de la concupiscence et celui de la tentation, qui poussent l’un comme l’autre au péché.
(7) Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, questions 58 et 61.
(8) Gaudium et spes, § 29, n° 2.
(9) Nostra aetate, n° 5.
(10) Dignitatis humanae, n°6.
(11) MV, n° 20.
(12) MV, n° 23.
(13) MV, n° 23.
(14) Grégoire XVI, Encyclique Mirari vos du 15 août 1832.
(15) Mgr Lefebvre, Fideliter n° 66, p. 28.
(16) MV, n° 22.

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