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Elon Musk et le projet technocratique de son grand-père

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Que voulait dire Elon Musk en déclarant qu’il était « dark MAGA » ? Nous explorerons cette question à travers plusieurs articles.

Peu de temps avant les élections de novembre 2024, Elon Musk, s’exprimant lors d’un rassemblement de Trump à Butler, en Pennsylvanie, a annoncé : « Je ne suis pas seulement MAGA, je suis le MAGA sombre. (dark MAGA) »

L’acronyme Make America Great Again (MAGA) est largement compris. Mais l’adjectif ajouté par Musk « sombre » est peu compris – et implique beaucoup plus.

Musk fait partie d’un groupe de technocrates derrière la présidence Trump qui promeuvent effectivement des idées encapsulées sombres.

Peter Thiel, cofondateur de PayPal avec Musk, est probablement le partisan le plus connu des Lumières sombres, tandis que Musk est le partisan le plus connu de la technocratie. Mais, comme nous le verrons dans cet article, ces théories sociopolitiques se chevauchent considérablement et se renforcent mutuellement.

L’héritage technocratique d’Elon Musk

Dans un document déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), organisme fédéral américain de règlementation et de contrôle des marchés financiers, en 2021, le PDG de Tesla, Elon Musk, et le directeur financier de Tesla de l’époque, Zach Kirkhorn, ont officiellement changé leurs titres de travail respectifs pour devenir les « TechnoKings » de Tesla. Cela peut sembler n’être rien d’autre qu’un amusement mais Musk comprend certainement la gravité de la technocratie et du terme « technocrate » qui lui est associé.

Leur choix minutieux de mots est un point important souligné tout au long de cet article. Des oligarques comme Musk et Thiel expriment souvent des idées d’une manière apparemment désinvolte mais cela ne signifie pas qu’elles sont dénuées de sens. C’est un langage d’Ésope révélateur des convictions fondamentales de personnes comme Musk, Peter Thiel, Jeff Bezos et d’autres membres de ce que David Rothkopf, du Council on Foreign Relations, qualifie, dans son livre sur le sujet, de « superclasse » : des personnes qui peuvent « influencer la vie de millions de personnes au-delà des frontières sur une base régulière ».

Musk et Thiel sont tous deux membres de la « superclasse », bien que la « classe des parasites » puisse être une description plus appropriée de l’oligarchie décrite par Rothkopf. On peut estimer qu’ils sont environ 6 000 oligarques, dont les décisions ont un impact sur la vie des huit milliards d’entre nous.

Musk et Thiel ne sont que deux parmi ces 6 000 oligarques qui, pour beaucoup, ont su préserver leur anonymat et ne figurent pas sur les listes publiées des hommes et des femmes les plus riches du monde. Nous nous concentrons sur Musk et Thiel parce qu’ils sont d’éminents accélérateurs vers le « gov-corp » technologique.

Crédit social

Le grand-père maternel d’Elon Musk était Joshua N. Haldeman (1902-1974), originaire de Pequot, dans le Minnesota. Entre 1936 et 1941, Haldeman a été directeur de la recherche et dirigeant de la succursale de Regina (Canada) d’une entité en plein essor connue sous le nom de Technocracy Incorporated, abrégée en Technocracy Inc. En 1940, alors qu’il occupait ce poste, il a été arrêté par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour avoir enfreint les règlements de la Défense du Canada, en vertu desquels Technocracy Inc. était considérée comme une « organisation illégale ». En conséquence, Haldeman s’est vu refuser l’entrée aux États-Unis, où il avait l’intention de prononcer un discours faisant la promotion de la technocratie. Il a ensuite été condamné à une amende et à une peine avec sursis pour avoir dirigé la controversée Technocracy Inc.

Le grand-père d’Elon Musk, promoteur de la technocratie

Après sa condamnation en 1941, Haldeman se joint au Crédit social canadien (Socred), fondé en 1932 par l’évangéliste William Aberhart. Socred cherchait à mettre en œuvre la théorie économique du « crédit social » de l’ingénieur et économiste britannique C. H. Douglas. Comme Socred, la technocratie était basée sur les idées d’« efficacité industrielle » de l’ingénieur Frederick Winslow Taylor (taylorisme). Il s’inscrivait également dans les théories économiques de Thorstein Veblen sur la « consommation ostentatoire ».

C. H. Douglas a présenté sa théorie du crédit social pour s’attaquer à ce qu’il considérait comme l’inégalité des chances créée par le contrôle centralisé et l’accumulation des ressources et de la richesse. Il a identifié le « fossé macro-économique » entre l’inflation des prix de détail et la croissance des salaires. Il a suggéré de combler cette lacune en créant le « Bureau national du crédit » – qui serait indépendant du contrôle de l’État – pour émettre des crédits « sans dette » aux consommateurs. Une partie de ce crédit national serait utilisée pour faire baisser les prix de détail. Le reste serait distribué à tous les citoyens, quelle que soit leur situation financière personnelle, afin de créer une demande de biens par les consommateurs. La suggestion de Douglas était un premier modèle de revenu de base universel (RBI).

La famille de sept personnes de Joshua Haldeman, dont une fille, Maye Haldeman, a quitté le Canada en 1950 pour s’établir à Pretoria, en Afrique du Sud. En tant qu’entrepreneurs et aventuriers, ils ont beaucoup voyagé. Selon ses propres dires, Maye Haldeman était proche de ses parents et a adopté leur esprit d’entreprise, leur sens de l’aventure et leur éthique de travail. Inévitablement, elle connaissait aussi les idées politiques de ses parents. Maye se souvient que, lorsqu’elle était enfant, elle et ses frères et sœurs rédigeaient leurs « bulletins mensuels et photocopies, puis mettaient les timbres sur les enveloppes ».

Maye Haldeman a épousé Errol Musk en 1970. Leur fils, Elon, est né à Pretoria un an plus tard. Il était un bébé lorsque son grand-père est mort dans un accident d’avion. Néanmoins, en grandissant, Elon s’est familiarisé intimement avec la philosophie politique de son grand-père.

Maye Musk, mère d’Elon Musk

Bien que Musk ait été évidemment proche de sa mère, il a choisi de rester avec son père à Pretoria lorsque ses parents ont divorcé en 1979. Lorsque la relation d’Elon avec son père s’est détériorée, il a encouragé sa mère à réclamer son passeport canadien, selon Maye. Elon a rapidement obtenu son propre passeport canadien, a émigré d’Afrique du Sud – ce qu’il a fait à l’âge de 17 ans – et a ainsi évité le service militaire obligatoire dans ce pays.

Le but ultime d’Elon était de vivre et de travailler aux États-Unis. Mais avant cela, il a décidé de quitter Montréal pour s’installer à Waldeck, en Saskatchewan, où, de retour à ses racines, il a travaillé comme ouvrier agricole sur la ferme de son cousin germain. Là, il attendit l’arrivée de sa mère Maye en provenance de Pretoria. Elle a été suivie par les deux frères et sœurs d’Elon, Kimbal et Tosca, qui voulaient également se rapprocher du côté Haldeman de la famille au Canada.

Musk a étudié au Queen’s College de Kingston, en Ontario, pendant deux ans avant de réaliser son objectif de s’installer en Amérique. Il a été transféré à l’Université de Pennsylvanie, où il a obtenu une licence en physique et en économie. Par la suite, il a effectué des stages dans des entreprises technologiques de la Silicon Valley avant d’abandonner l’éducation pour poursuivre ses ambitions entrepreneuriales.

Etablir un « Technate » – un système de contrôle continental technocratique et totalitaire

En octobre 2024, un possible compte usurpé du patron milliardaire d’Amazon, Jeff Bezos, a publié sur la plateforme « X » de Musk une déclaration séduisante : « L’état du réseau pour Mars se forme sous nos yeux ». Le vrai Musk a répondu avec enthousiasme : « La technocratie de Mars ». Ce à quoi le compte à la Bezos a répondu : « Comptez sur moi. »

Alors qu’il continue de rêver de coloniser Mars, Musk a clairement indiqué quel système politique il préfère. En 2019, il a écrit : « Accélérer le développement de Starship pour construire la technocratie martienne. » Notez son utilisation du mot « accélérer ». Pour Musk, « accélérer » ne signifie pas simplement une augmentation de la vitesse.

Musk préconise depuis longtemps le revenu de base universel. Lors du Sommet mondial de la gouvernance en 2017, Musk a déclaré : « Nous devrons avoir une sorte de revenu de base universel. » Autre exemple : en juin 2024, s’adressant au Premier ministre de l’époque, Rishi Sunak, lors du premier « Sommet mondial sur la sécurité de l’IA » organisé par le Royaume-Uni, Musk a brossé un tableau utopique d’une société dominée par l’intelligence artificielle et d’une « ère d’abondance » avant d’ajouter : « Nous n’aurons pas de revenu de base universel, nous aurons un revenu élevé universel. » En d’autres termes, il suggérait que les masses auraient des « vies parfaites d’abondance » rendues possibles par la distribution ultime d’un revenu contrôlée par l’IA.

Musk désire la technocratie – et un système de crédit social – tout comme son grand-père Joshua Haldeman. Cela est évident au-delà de son histoire personnelle et de ses paroles. Tout ce que fait Musk est complètement conforme à ces deux activités. Mais lorsque nous sommes invités à discuter de la technocratie en référence à Mars, on nous demande bien sûr d’ignorer toutes les preuves qui exposent les tentatives de Musk et de ses collègues oligarques d’établir un « Technate » – un système de contrôle continental technocratique et totalitaire – ici sur Terre.

Comme c’est le cas pour beaucoup de ses confrères oligarques, le sens des affaires et l’éthique de Musk sont très discutables. Il semble qu’il ait survécu et qu’il ait ensuite prospéré dans les affaires uniquement grâce à ses relations de réseau, à son soutien considérable de l’État et aux largesses de ses investisseurs. C’est un grand club .

Musk a investi plus d’un quart de milliard de dollars pour installer Trump dans le bureau ovale. Naturellement, il anticipe un retour sur son investissement. Ce retour sur investissement est un fait accompli : Musk gagne déjà des milliards grâce aux contribuables américains par l’entremise d’un réseau de contrats gouvernementaux. Pour des magnats comme Musk, l’argent n’est qu’un moyen d’atteindre une fin : obtenir le pouvoir. Sa richesse l’a positionné pour commencer à mettre sérieusement en œuvre sa grande vision de la technocratie.

La plongée de Musk dans la technocratie est en cours par le biais de la nouvelle agence temporaire à Washington, D.C., qu’il préside maintenant. Annoncé en novembre dernier par Trump, créé dès son premier jour au pouvoir et censé achever sa mission d’ici l’été 2026, le Département américain de l’efficacité gouvernementale, connu sous le nom de DOGE, semble être une technocratie naissante.

Le capital-risqueur Musk et le milliardaire de la biotechnologie Vivek Ramaswamy ont été choisis pour diriger DOGE avec l’aide du PDG de Cantor Fitzgerald, Howard Lutnick. Vivik est depuis parti pour se présenter au poste de gouverneur de l’Ohio. Lutnick était le choix de Trump pour devenir le secrétaire américain au Commerce et a récemment été confirmé. Sa nomination soulève de nombreuses préoccupations. Dont ses liens avec Satellogic, un partenaire stratégique de Palantir Technologies de Peter Thiel. Ce lien révèle l’investissement personnel de Lutnick dans l’État de surveillance public-privé qui est régi par les agences de renseignement américaines et israéliennes.

Pourtant, Lutnick a un conflit d’intérêts encore plus important. Il dirige Cantor Fitzgerald pour soutenir Tether (USDT), un stablecoin qui achète de plus en plus de bons du Trésor américain. Alors que nous nous dirigeons vers l’ère des monnaies numériques, le projet du gouvernement américain de sauver son dollar criblé de dettes et son économie fragile est étroitement lié aux stablecoins. Ainsi, en tant que secrétaire au Commerce, Lutnick sera en mesure de guider le développement des marchés vers la nouvelle économie numérique américaine. Nous développerons cet angle dans un prochain article.

Est-ce juste une coïncidence que « le Doge » était le titre officiel de l’administrateur en chef (magistrat) de la République vénitienne mercantile ? Comme nous le verrons également plus tard, il y a de nombreuses raisons de soupçonner que l’acronyme DOGE d’aujourd’hui n’est pas une simple coïncidence.

L’objectif déclaré du DOGE est de restructurer le gouvernement fédéral afin de réduire les dépenses et de maximiser l’efficacité..

Jamie Dimon, président et chef de la direction de J.P. Morgan Chase, fait partie de ceux qui ont salué le plan DOGE. Certes, la proposition de réduire radicalement, voire d’éradiquer, les régulateurs financiers du gouvernement américain séduit des banquiers comme Dimon. L’administration Trump cherche à prendre et à centraliser le contrôle des régulateurs financiers tels que la Security and Exchange Commssion (SEC) et le régulateur antitrust la Federal Communications Commission (FCC). Par conséquent, les banques s’attendent à une réglementation beaucoup plus légère. S’exprimant à Davos, Mary Erdoes, gestionnaire de fonds d’actifs chez J.P. Morgan – pressentie pour succéder à Dimon en tant que PDG – a déclaré que ces mesures avaient libéré les « esprits animaux » des banquiers américains et mis les banques d’investissement en « mode go ».

Étant donné qu’Elon Musk n’a été ni élu par les Américains ni mandaté par leurs représentants au Congrès, le DOGE représente un transfert formel du pouvoir politique du secteur public au secteur privé.

De plus, étant donné que Musk et d’autres partisans du DOGE – Bezos, par exemple – ont longtemps profité d’énormes contrats gouvernementaux, et étant donné que des gens comme Dimon seront sans aucun doute invités à « conseiller » le DOGE, nous voyons un conflit d’intérêts massif au cœur du projet DOGE. Ce conflit, comme tout le reste du DOGE, et ses partisans comme Bezos, sont alignés sur la technocratie, car il accorde des privilèges de hiérarchie aux technocrates qui cherchent à contrôler un Technate.

L’étendue de la technocratie

Pour comprendre pourquoi des gens comme Musk et Bezos sont si enthousiastes à l’idée de la technocratie, nous devons comprendre toute l’étendue de la technocratie. Nous devons connaître ses intentions et ses objectifs profonds, sombres, changeant l’humanité et modifiant la société.

La technocratie n’exige pas simplement une gouvernance technocratique, c’est-à-dire un système sociopolitique où des experts qualifiés, ou « technocrates » définissent les politiques à la place des politiciens.

La gouvernance technocratique est apparue au premier plan pendant la pseudo-pandémie de 2020-2023. Des « experts » médicaux, notamment Anthony Fauci et d’autres membres du groupe de travail sur le coronavirus de la Maison-Blanche, ont été placés à des postes très visibles pour le public. Ils étaient largement considérés comme à la tête de la réponse politique, à savoir les « vaccinations » de masse, les confinements, les fermetures de petites entreprises et d’autres obligations imposées pour évaluer à l’échelle mondiale le degré d’obéissance aveugle des populations.

Mais la technocratie que Musk, Bezos et d’autres « experts » de la technologie cherchent à établir implique plus qu’une expérience sur les effets des injections d’ARNm, plus qu’un test de contrôle et d’hypnotisation des masses.

La technocratie est basée sur la croyance qu’il existe des solutions technologiques à tous les problèmes sociaux, économiques et politiques.

Lorsqu’il y a 20 ans, Thiel a cofondé la plateforme d’investissement à impact appelée Founders Fund, son énoncé de mission indiquait que « la technologie est le moteur fondamental de la croissance dans le monde industrialisé ». Il a également déclaré que le Founders Fund existe pour résoudre des « problèmes scientifiques ou d’ingénierie difficiles ». Si la bonne technologie réussissait, le Founders Fund la rationalisait pour qu’elle soit le « chemin le plus court vers la valeur sociale ».

La technocratie offre une forme de réponse politique en tant que solutions technologiques aux problèmes sociaux. Mais ce n’est qu’un aspect limité de la technocratie.

Revue The Technocrats’ Magazine

En 1937, le magazine interne de Technocracy Inc., The Technocrat — Vol. 3 No. 4, décrivait la technocratie comme suit :

La science de l’ingénierie sociale, le fonctionnement scientifique de l’ensemble du mécanisme social pour produire et distribuer des biens et des services à l’ensemble de la population.

Pour contextualiser cette définition, remontons deux décennies en arrière, en 1911, lorsque l’ingénieur mécanique américain Frederick Winslow Taylor, sans doute le premier consultant en gestion au monde, a publié Les principes de la gestion scientifique. Son livre est sorti à l’apogée de l’ère progressiste aux États-Unis.

L’ère progressiste a été une période historique marquée par l’activisme politique de la classe moyenne américaine, qui cherchait à s’attaquer aux problèmes sociaux sous-jacents de l’industrialisation excessive, de l’immigration de masse et de la corruption politique. Le « taylorisme », qui était obsédé par l’épuisement imminent des ressources naturelles et la défense de systèmes de gestion scientifique efficaces, faisait partie de l’esprit de l’époque.

Dans The Principles of Scientific Management, Taylor a écrit :

Dans le passé, l’homme a été le premier ; à l’avenir, le système doit être le premier [. . .] La meilleure gestion est une véritable science, reposant sur des lois, des règles et des principes clairement définis, comme fondement. [. . .] Les principes fondamentaux de la gestion scientifique s’appliquent à toutes sortes d’activités humaines, depuis nos actes individuels les plus simples jusqu’au travail de nos grandes entreprises.

Les idées de Taylor s’accordaient avec les théories de l’économiste et sociologue Thorstein Veblen. Veblen a proposé que l’activité économique n’est pas seulement fonction de l’offre et de la demande, de l’utilité et de la valeur, mais qu’elle évolue avec la société et est donc également façonnée par des influences psychologiques, sociologiques et anthropologiques.

Veblen est peut-être mieux connu pour sa théorie de la « consommation ostentatoire ». Il observe que les riches signalent leur statut social par l’étalage ostentatoire de leur pouvoir d’achat : propriétés chères, voitures, bijoux, etc. Dans la structure hiérarchique des classes, les classes aspirantes ont essayé d’imiter la consommation ostentatoire de la classe au-dessus d’elles. Veblen soutenait que l’effet de cascade de cette ascension sociale créait une demande pour des biens et des services superflus et que l’impact économique net était donc une inefficacité désespérée et un gaspillage de ressources.

Dans The Engineers and the Price System, Veblen suggère que les ingénieurs technocratiques devraient entreprendre une analyse approfondie des institutions qui maintiennent la stabilité sociale. Une fois que les institutions sont comprises, ceux qui ont une expertise technologique doivent les réformer, améliorer l’efficacité et ainsi concevoir la société pour qu’elle soit moins gaspilleuse.

Taylor et Veblen se sont tous deux concentrés sur l’optimisation de l’efficacité des processus industriels et de fabrication. Ils ont tous deux reconnu que leurs théories pouvaient être étendues à un contexte social plus large. C’est l’application plus large de leurs propositions qui a séduit les oligarques de l’époque.

En 1919, Veblen est l’un des membres fondateurs d’une université de recherche privée financée par John D. Rockefeller et basée à New York, appelée The New School for Social Research (plus tard rebaptisée The New School). Ce modèle éducatif progressiste a rapidement conduit à la création de la Technical Alliance, une petite équipe de scientifiques et d’ingénieurs comprenant non seulement Veblen mais aussi Howard Scott, qui allait diriger le groupe.

L’Alliance technique a été reformulée en 1933 après une interruption d’activité forcée par la révélation de Scott comme fraudeur. Il avait falsifié certaines de ses lettres de créance, tout comme, apparemment, C. H. Douglas.  Scott a ensuite été rejoint par M. King Hubbert – qui deviendra plus tard mondialement connu pour sa théorie vague et généralement inexacte du « pic pétrolier » – et d’autres. Les membres de l’Alliance technique se sont rebaptisés Technocracy Inc.

La technocratie a été décrite en détail dans la publication en 1933 par Technocracy Inc. de son cours d’étude sur la technocratie. Selon les spécifications techniques du cours d’étude, la société devrait être séparée en ce que les partisans de la technocratie (désormais appelés « technocrates ») appellent une « séquence de fonctions ». Dans cette séquence, la société telle que nous la connaissons est supprimée. En remplacement, le contrôle centralisé de toutes les interactions et de tous les comportements humains est proposé dans le cadre du « mécanisme social ».

Technocracy, le mouvement technocratique du grand-père d’Elon Musk

La carte Technate de l’Amérique du Nord

Tout un « mécanisme social » soumis à des technocrates s’appelle un Technate. Un Technate est conçu pour fonctionner « à l’échelle continentale », c’est-à-dire sur chaque continent. La carte Technate de l’Amérique du Nord comprend le Groenland, le Canada, les États-Unis, le Mexique, certaines parties de l’Amérique centrale, le nord de l’Amérique du Sud, les îles des Caraïbes et l’est de l’océan Pacifique.

Il n’y a pas de gouvernements nationaux dans la technocratie. Les États-nations sont abolis dans chaque Technate continental.

Guidés par les préceptes supposés de l’efficacité, les technocrates jugent essentiel le contrôle centralisé de toutes les ressources :

La technocratie constate que la production et la distribution d’une abondance de richesses physiques à l’échelle continentale pour l’usage de tous les citoyens continentaux ne peuvent être accomplies que par un contrôle technologique continental, une gouvernance de la fonction, un Technate.

Chaque fonction, ou « séquence fonctionnelle », est classée comme une séquence industrielle, une séquence de service ou une séquence spéciale. Par exemple, la « Séquence fonctionnelle du transport » et la « Séquence fonctionnelle de la technologie spatiale » sont toutes deux des séquences industrielles. Les séquences fonctionnelles « Santé publique » et « Éducation » font partie des séquences de services. Les « séquences spéciales » sont celles liées à la sécurité et à la défense (forces armées), au développement scientifique et technologique (recherche continentale), à la gouvernance de la population (relations sociales) et aux relations du Technate avec d’autres Technates ou États-nations (relations étrangères).

L’administration d’un Technate entier – chaque continent – est subdivisée en « divisions régionales », chacune définie en fonction de ses marqueurs de limite de longitude et de latitude et désignée par un numéro de référence de grille correspondant. Le « contrôle de zone » est une séquence administrative plutôt que fonctionnelle. Le cours d’étude de la technocratie précise ce que cela signifie :

Un contrôle régional est l’organe de coordination des différentes séquences fonctionnelles et unités sociales opérant dans une zone géographique d’une ou de plusieurs divisions régionales. Il opère directement sous le contrôle continental.
L’ensemble du système est supervisé par le « Contrôle Continental » (représenté par le Conseil Continental ci-dessus) et finalement par le « Directeur Continental » :

Le directeur continental, comme son nom l’indique, est le directeur général de l’ensemble du mécanisme social. Dans son état-major immédiat se trouvent les directeurs des forces armées, des relations extérieures, de la recherche continentale et des relations sociales et du contrôle de zone. [. . .] Le Directeur Continental est choisi parmi les membres du Contrôle Continental par le Contrôle Continental. En raison du fait que ce contrôle n’est composé que d’une centaine de membres, qui se connaissent tous bien, il n’y a personne de mieux placé qu’eux pour faire ce choix.

Pour être clair : chaque continent entier – un Technate – est contrôlé par un organisme autoproclamé qui choisit son grand dirigeant – le Directeur Continental – dans ses propres rangs. Cet organisme autoproclamé contrôle tout dans le Technate.

Ces premiers technocrates étaient censés essayer de concevoir un système sans classes qui fournirait une « vie d’abondance » à tous. Les mots de Musk font souvent écho aux significations spécifiques définies par Technocracy Inc. Quand, par exemple, Musk a parlé d’une « ère d’abondance », il faisait référence à la technocratie.

Les technocrates des années 1930 considéraient tous les crimes comme un simple produit de l’inégalité inhérente au système de prix capitaliste. Parce que les technocrates considéraient « l’animal humain » comme un simple automate comportemental, ils ont choisi d’ignorer ou de ne même pas reconnaître – et encore moins de prendre en compte – d’autres motivations possibles du crime en plus de l’inégalité économique.

La compréhension apparemment lamentable des sciences humaines par les technocrates les a amenés à imaginer un Technate qui permettrait à une sorte d’ordre spontané d’émerger – « priorité naturelle spontanée », disaient-ils. Ils ont rejeté le principe selon lequel « tous les hommes sont créés égaux » – en grande partie, semble-t-il, parce qu’ils ne le comprenaient pas. Dans leur esprit, il n’avait « aucun fondement dans les faits biologiques ».

En analysant le comportement des troupeaux de vaches et de poulets, les technocrates ont identifié un ordre hiérarchique – à partir duquel ils ont dérivé ce qu’on appelle les « droits de bec » – comme explication pour justifier le mécanisme social totalitaire et hiérarchique qu’ils préconisaient pour les humains :

Certains individus dominent, et les autres suivent des ordres. Ces dominants n’ont pas besoin d’être, et ne sont souvent pas, de grande taille [se référant au bétail et à la volaille domestique], mais ils dominent tout aussi efficacement que s’ils l’étaient. [. . .] La plus grande stabilité dans une organisation sociale serait obtenue lorsque les individus seraient placés aussi près que possible des autres individus, conformément au « droit de chasse » ou à la relation de priorité qu’ils assumeraient naturellement. [. . .] Il ne doit y avoir, dans la mesure du possible, aucune inversion du « droit de coup de bec » naturel parmi les hommes.

Quelles que soient les intentions des technocrates qui ont été les premiers à concevoir la technocratie, l’attrait de ce système pour les oligarques est évident. La technocratie construit un « mécanisme social », contrôlé par ceux qui revendiquent des « droits de bec », spécifiquement conçu pour faciliter la forme ultime de totalitarisme.

Comme mentionné ci-dessus, les citoyens du Technate sont décrits comme des « animaux humains » et sont considérés comme des machines programmables. Le fonctionnement scientifique du mécanisme social – la technocratie – permet au « service » (le travail) de « l’animal humain » d’agir comme le « moteur humain » pour le fonctionnement efficace des diverses séquences fonctionnelles.

Les technocrates ont catégoriquement rejeté des concepts tels que « l’esprit », la « conscience » et la « volonté » humains. Ces constructions, disaient-ils, appartenaient au « passé ignorant et barbare » de l’humanité. Pour eux, un être humain n’était rien d’autre qu’une « machine organique » qui produit une certaine variété de « mouvements et de bruits », semblables, selon les technocrates, à un chien ou à un véhicule.

Comme expliqué dans le cours d’étude de la technocratie, le Technate maximiserait son « efficacité » en faisant de l’ingénierie sociale – en contrôlant le comportement – de « l’animal humain » :

Pratiquement tout le contrôle social s’effectue par le mécanisme du réflexe conditionné. Le conducteur d’une automobile, par exemple, voit un feu rouge devant lui et lance immédiatement l’embrayage et le frein, puis s’arrête. [. . .] S’ils sont pris assez jeunes, les êtres humains peuvent être conditionnés à ne presque rien faire sous le soleil. Ils peuvent être conditionnés à ne pas utiliser certains langages, à ne pas manger certains aliments certains jours, à ne pas travailler certains jours, à ne pas s’accoupler en l’absence de certaines paroles cérémonielles prononcées sur eux, à ne pas entrer par effraction dans une épicerie pour se procurer de la nourriture même s’ils n’ont pas mangé depuis des jours.

Cette oppression terrifiante était liée à un nouveau système monétaire conçu pour s’attaquer aux problèmes que les technocrates voyaient avec le « système des prix » capitaliste. Tout comme les partisans de Socred, les technocrates considéraient l’inégalité de la richesse et de la distribution des ressources comme un problème majeur.

Le « système de prix » capitaliste était considéré comme « gaspilleur » et donc inacceptablement « inefficace », en grande partie parce que la « monnaie » utilisée pour mesurer les prix était générée par les prêts bancaires (dette). Les technocrates ont qualifié la monnaie fiduciaire de « certificat de dette généralisé ».

Les technocrates ont donc déterminé que le « système des prix » capitaliste conduisait inévitablement à la fois à l’inégalité de classe et à la consommation ostentatoire, car les détenteurs de la dette accumulaient plus de richesses que quiconque. La consommation ostentatoire, à son tour, a conduit à l’allocation inefficace des ressources dans la production inutile, les dépenses et les projets de vanité. Ils ont donc proposé un nouveau système monétaire basé sur le coût de production de l’énergie.

Les « certificats énergétiques » correspondants refléteraient mieux le travail productif effectué, par opposition au crédit inutile (dette) consommé, car « l’énergie est mesurable en unités de travail – ergs, joules ou pieds-livres ». Ainsi, les certificats d’énergie pourraient être distribués équitablement à travers le Technate, en fonction de l’énergie nécessaire pour remplir la fonction.

Les technocrates ont reconnu que certaines fonctions nécessitent plus d’énergie que d’autres. La construction d’un nouveau chemin de fer nécessiterait plus d’énergie qu’un seul « animal humain » travaillant à la construction de ce chemin de fer. La séquence de distribution gérerait l’attribution « équitable » des certificats énergétiques qui en résulterait :

L’énergie peut être allouée en fonction des usages auxquels elle est destinée. Le montant nécessaire pour les nouvelles installations, y compris les routes, les maisons, les hôpitaux, les écoles, etc., et pour le transport et les communications locaux sera déduit du total comme une sorte de frais généraux, et non imputable aux particuliers. Une fois que toutes ces déductions auront été effectuées, […] le reste sera consacré à la production de biens et de services destinés à être consommés par le grand public adulte. [. . .] Ainsi, s’il y avait des moyens de produire des biens et des services […] chaque personne se verrait accorder un revenu […]

En d’autres termes : « S’il » reste des moyens, après que ceux qui ont suffisamment de « droits de chasse » aient pris les ressources dont ils ont besoin pour leur fonction – « une sorte de frais généraux » – le « reste » serait attribué « équitablement » aux « animaux humains » et considéré comme suffisant pour qu’ils remplissent leur fonction.

Chaque certificat énergétique délivré ne serait pas échangeable et ne pourrait être utilisé que pour l’achat de ressources, de biens et de services fournis par le Contrôle continental au sein du Technate.

La séquence de distribution enregistrerait les détails de chaque groupe ou individu à qui les certificats énergétiques ont été attribués et surveillerait ensuite la façon dont ces certificats énergétiques ont été utilisés.

Le degré de contrôle centralisé inhérent à la technocratie dépasse presque l’imagination :

Une seule organisation gère et fait fonctionner l’ensemble du mécanisme social. Cette même organisation non seulement produit, mais distribue tous les biens et services. C’est pourquoi il existe un système uniforme de tenue des registres pour l’ensemble de l’opération sociale, et tous les registres de la production et de la distribution sont confiés à un siège central. La totalisation des informations [contenues dans les certificats énergétiques] fournit un enregistrement complet de la distribution ou du taux public de consommation par produit, par sexe, par division régionale, par profession et par groupe d’âge.

En 1933, les auteurs de Technocracy Study Course écrivaient :

La technologie a introduit une nouvelle méthodologie dans la création de richesse physique. [. . .] Le revenu physique à l’intérieur d’une zone continentale sous contrôle technologique serait l’énergie nette disponible en ergs, convertie en formes d’utilisation et en services au-delà de l’exploitation et de l’entretien de l’équipement physique et des structures de la zone. [. . .] Cette méthode de production de richesse physique et de mesure de son fonctionnement exclut la possibilité de créer une quelconque dette.

L’usure, c’est-à-dire l’émission de presque toute la monnaie fiduciaire sous forme de dette remboursable avec intérêt, est sans aucun doute un instrument clé avec lequel les oligarques d’aujourd’hui amassent des richesses, qu’ils convertissent ensuite en pouvoir sociopolitique. Il est utile de noter que le mot « richesse » signifie « prospérité dans l’abondance de possessions ou de richesses ». « Richesse » implique « une abondance de moyens ». L’étymologie du mot « moyens » le définit comme « les ressources dont on dispose pour accomplir un objet ».

La technocratie place toutes les ressources sous la direction et le contrôle de quelques privilégiés, qui sont ensuite libres d’atteindre n’importe quel objectif qu’ils désirent – sur tout un continent – en rationnant toutes les ressources à qui ils veulent, quand ils le souhaitent, comme bon leur semble. Dans une technocratie, les « quelques privilégiés » qui ont des « droits de chasse » au-dessus de tout le monde n’ont pas besoin de richesse monétaire.

Dire que la technocratie est radicale serait un euphémisme. Nous pensons en termes de « ismes » politiques, mais des mots comme « communisme », « fascisme » ou « féodalisme » sont loin de décrire l’étendue de la tyrannie radicale intrinsèque à la technocratie.

En 1965, Technocracy Inc. a publié un échange écrit entre son fondateur, Howard Scott, et le professeur adjoint d’économie J. Kaye Faulkner. La conversation a ensuite été rééditée sous le titre The History and Purpose of Technocracy.

Scott écrivit à Faulkner :

La technocratie a toujours soutenu que la philosophie politique marxiste et l’économie marxiste n’ont jamais été suffisamment radicales ou révolutionnaires pour résoudre les problèmes posés par l’impact de la technologie dans une société nationale de grande taille d’aujourd’hui. [. ..] Nous avons toujours soutenu que le communisme marxiste, en ce qui concerne ce continent, est si à droite qu’il est bourgeois. Il est bon de s’en souvenir ici. La progression technologique des 30 minutes suivantes invalide toute la sagesse sociale de l’histoire précédente. [. . .] La technologie n’a pas d’ancêtres dans l’histoire sociale de l’homme. Elle crée le sien.

Comme l’indiquent les paroles de Scott, les technocrates ont prévu que les progrès rapides de la technologie présenteraient inévitablement à la fois d’immenses opportunités et des risques. Dans le but d’atténuer les risques, la solution proposée par les technocrates était d’adopter la technologie et de la mettre au service d’un gouvernement plus « efficace », c’est-à-dire d’un Technate.

Cette notion d’une « singularité » technologique menaçant de dépasser la capacité d’adaptation de l’humanité inspirera plus tard la philosophie politique, peut-être encore plus radicale, des néoréactionnaires accélérationnistes. Il existe de nombreux points communs entre les deux théories sociopolitiques.

La technocratie, à l’époque comme aujourd’hui, est littéralement inhumaine. Elle élève le développement technologique au-dessus de la moralité. Comme Taylor l’a clairement indiqué, « le système doit passer en premier ».

Des gens comme Elon Musk et Jeff Bezos veulent installer une technocratie et y vivre – ou du moins nous y faire vivre. Pourquoi? Espèrent-ils que nous vivrons tous « des vies d’abondance » sous la technocratie ? Ou se considèrent-ils comme des membres élitistes du contrôle continental, ayant les mains libres pour concevoir socialement le reste d’entre nous, qu’ils considèrent comme un troupeau d’« animaux humains » ?

Qu’en pensez-vous ?

Pierre-Alain Depauw

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