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La Cristiada des Cristeros

 

Il s’en est fallu de peu pour qu’un long-métrage produit aux Etats-Unis n’ai pas été visible en France : c’est que le catholicisme y est à l’honneur, à travers l’épopée extraordinaire des cristeros. Seule ombre au tableau, le film laisse entendre que c’est pour « la liberté » en général ( ?) que luttaient ces héros, tandis qu’ils mouraient, en vérité, pour la liberté du catholicisme, et surtout pour le Christ-Roi. Mais voici un film qui mérite l’encouragement.

 

« Entre ciel et terre, entre lumière et obscurité, entre foi et péché, seul mon cœur repose, seuls Dieu et mon cœur reposent… » Ces mots s’inscrivent sur l’écran au tout début du film sur un fond de ciel avant que, lentement, la caméra descende du ciel à la terre, découvrant aux yeux du spectateur la place animée d’un village mexicain où la vie semble suivre calmement son cours. 

Par cette ellipse cinématographique, le cinéaste Dean Wright – qui réalise ici son premier long-métrage après avoir signé la réalisation des effets visuels des deux trilogies cinématographiques à succès Le Seigneur des Anneaux (2001-2003) et Le Monde de Narnia (2005-2010) – choisit de placer tout son film sous le regard de Dieu et pour sa plus grande gloire. L’historien Jean Meyer écrit, à propos de l’histoire des cristeros, qu’il s’agit d’une « grande aventure mystique, sainte et noble ». Auteur de cinq ouvrages sur ce même sujet, son avis peut être considéré comme sérieux. C’est pourquoi, poser la question de savoir si les qualificatifs qu’il emploie peuvent s’appliquer, peu ou prou, au film de Dean Wright apparaît comme une manière intéressante d’aborder son analyse.

 

Un film à gros budget pour un public très large

La production n’a pas lésiné sur les moyens réunissant un plateau de comédiens renommés : Andy Garcia (Les Incorruptibles de Brian de Palma en 1987, Le Parrain 3 de Francis Ford Coppola en 1990, Dans l’ombre de Manhattan de Sidney Lumet en 1997, Ocean’s Twelves de Steven Soderbergh en 2001), très charismatique dans le rôle du général Enrique Gorostieta, Peter O’Toole (Lawrence d’Arabie de David Lean en 1962, Lord Jim de Richard Brooks en 1965) très émouvant dans son avant-dernier rôle, celui du prêtre martyr, saint Cristobal Magallanes (Peter O’Toole décède le 14 décembre 2013, trois ans après le tournage et une année après la sortie du film au Mexique au Chili et aux États-Unis), mais aussi l’actrice américaine d’origine mexicaine, Eva Longoria, magnifique dans le rôle de l’épouse du général Gorostieta et Ruben Blades, chanteur, homme politique et comédien panaméen (Ennemis rapprochés de Alan J. Pakula en 1997, Cartel de Ridley Scott en 2013), qui est tout à fait impressionnant dans son interprétation du président Calles. Ce beau plateau est complété par une bande originale signée James Horner, compositeur hollywoodien par excellence puisqu’on lui doit en particulier les musiques des films Titanic (1997), Avatar (2009) de James Cameron (1997) et Apocalypto (2006) de Mel Gibson. On le voit, les moyens sont bien au rendez-vous. Fort heureusement, l’importance du budget mis en oeuvre n’occulte pas la volonté du cinéaste de traiter avec l’application, le sérieux et la hauteur de vue qui s’imposent un sujet aussi grave. C’est d’ailleurs au bout du compte un des choix intelligents du cinéaste et de ses producteurs d’avoir conçu cette enveloppe très hollywoodienne qui permet précisément d’atteindre le public le plus large possible pour faire connaître cet épisode édifiant de l’histoire du Mexique et de l’Église catholique dans ce pays. Cette forme hollywoodienne n’est pas pour autant grossière, bien au contraire. Pas une once de vulgarité, pas une seule image déshonnête. Si l’écriture cinématographique est résolument simple, la réalisation est belle et dynamique, se déroulant le plus souvent dans des paysages naturels magnifiques, alternant les séquences difficiles ou empreintes d’une certaine violence avec celles plus calmes et reposantes, permettant ainsi au spectateur de se ressaisir et contribuant adroitement à mettre en valeur les nombreux aspects de cette grande tragédie. Un choix de production et de mise en scène qui s’est avéré tout à fait judicieux puisque le film a connu un immense succès populaire dès sa sortie en salles en 2012, non seulement au Mexique mais également aux États-Unis, et qu’il permet de faire connaître cette épopée tragique, édifiante et très majoritairement méconnue. En France, le film a d’abord peiné à trouver un distributeur courageux (Saje distribution) puis, pour des raisons que nous qualifierons pudiquement de « mystérieuses », il s’est heurté aux réseaux d’exploitation des salles qui ont accepté après beaucoup d’hésitations la programmation du film, mais dans un nombre très réduit de salles (61 salles alors qu’un film grand public bénéficie souvent jusqu’à 600 copies). Malgré ce lourd handicap et grâce à une mobilisation du public, le film est maintenu en deuxième semaine avec dix salles de plus et passe le cap pour une troisième semaine dans 85 salles !

 

Des références historiques

Comment résumer en 2 heures et 20 minutes les trois années apocalyptiques que connaît le Mexique entre 1926 et 1929 ? Le film ne parvient pas, et c’est bien normal, à tout dire et tout restituer avec une exactitude strictement historique. Ainsi, les historiens et les puristes noteront, ici où là, des erreurs, des inexactitudes, voire des ajouts fictionnels. Citons en premier le martyre de Cristobal Magallanes : dans la réalité, il n’a pas été fusillé seul sur le parvis de son église et revêtu de ses vêtements sacerdotaux, mais en compagnie de plusieurs autres prêtres, dont le père Agustin Caloca qu’il a réconforté avant son exécution en lui disant : « Reste tranquille, mon fils, seulement un moment et puis le Ciel », puis, se tournant vers la troupe, il s’est exclamé : « Je meurs innocent et je demande à Dieu que mon sang serve pour l’union de mes frères mexicains ». De même, le général Enrique Gorostieta, figure considérable de la Cristiada, est présenté comme un agnostique qui se convertit juste avant de mourir au combat, alors qu’il était simplement un catholique non pratiquant mais farouche défenseur de la liberté, étant précisé que le contraire l’aurait empêché de faire une première carrière brillante dans l’armée régulière. Il y a encore le père Vega qui seconde le général Enrique Gorostieta : il a bien ordonné de mettre le feu à un train pris en embuscade, tuant ainsi accidentellement 51 voyageurs innocents dont la présence dans le train lui avait été cachée ; en revanche, il n’est pas mort après avoir confessé le général Gorostieta ; il est tué au combat le 19 avril 1929, un mois et demi avant le général Gorostieta qui meurt héroïquement le 2 juin 1929 (« Gorostieta est tombé le premier en chargeant au cri de “Viva Cristo Rey” qui scellait pour l’éternité son baptême de sang. Il venait d’embrasser la croix pectorale qui ne le quittait pas, avant de précipiter sa monture sur les mitrailleuses fédérales, furieusement, heureux de finir en simple soldat… »)

Mentionnons enfin bienheureux José Sanchez Del Rio : il n’est pas établi qu’il ait connu le père Cristobal Magallanes, ni qu’il ait assisté à son exécution ; ses faits d’armes sont fidèlement retranscrits mais n’ont pas été réalisés sous les ordres du général Enrique Gorostieta mais sous ceux du général Prudencio Mendoza qui l’avait enrôlé. Ainsi, le transfert de paternité décrit dans le film entre le général et José, s’il est d’un intérêt dramatique certain, reste une pure fiction ; le rôle des évêques et leur attitude sont effleurés puisque, dans la réalité, sur les 38 évêques mexicains en charge d’âmes au moment des événements, un seul a résisté frontalement aux lois Calles. Certains autres aspects sont très justement illustrés, comme le rôle très important joué par les femmes au risque de leur vie, pour assurer l’intendance (approvisionnement en vivres mais aussi en armes et munitions) des cristeros.

On a estimé que le nombre de ces femmes engagées dans cette guerre s’est élevé à 25 000. En sus de ces inexactitudes historiques et de ces ajouts du scénariste, on remarquera que beaucoup d’autres grandes figures sont oubliées comme celles de Manuel Bonilla, mort martyr le jour du vendredi saint à 15 heures et dont le corps, lorsqu’on l’exhuma 15 ans après, avait échappé aux lois communes de la décomposition ; Luis Segura Vilchis, brillant ingénieur des mines âgé de 21 ans ; le père jésuite Humbert Pro et son frère Miguel, tous les trois exécutés après une tentative d’assassinat du général Obregon – le véritable mentor du président Calles ; José de Leon Toral qui réussira à assassiner le général Obregon et qui passera 7 mois entre les mains de ses tortionnaires avant d’être exécuté le 9 février 1929, à l’âge de 29 ans. En effet, des 25 martyrs canonisés par le pape Jean-Paul II et des 13 autres béatifiés par le pape Benoît XVI, seuls trois sont évoqués dans le film : le père Cristobal Magallanes, le jeune José Sanchez Del Rio, tous deux déjà cités, et José Anacleto González Flores, l’un des chefs influents de la « Ligue pour la Défense de la Liberté Religieuse ». A contrario, il convient de souligner que les actes de violences qui sont montrés dans le film ne sont rien en comparaison de la réalité. Les spectateurs qui en douteraient se reporteront utilement aux ouvrages de Jean Meyer et Hugues Keraly. Pour autant, faut-il considérer que Cristeros pèche par manque de rigueur ou de détails historiques ? Bien au contraire, le scénariste a très adroitement construit une histoire qui, tout en entremêlant le destin de quelques personnages marquants de cette épopée, parvient à évoquer de très nombreux aspects de cette révolte populaire et chrétienne, et parvient précisément à retranscrire avec vérité l’ambiance, le climat, plus encore l’esprit et finalement la réalité de ce qu’ont vécu les Mexicains.

 

Un film catholique

Ces approximations historiques et ces oublis volontaires deviennent comme des enluminures qui permettent de donner au film tout son souffle épique et spirituel sans trahir pour autant l’esprit de la vérité historique. C’est bien l’essentiel auquel il fallait parvenir en moins de deux heures et demie, en donnant au spectateur, en même temps que de très belles émotions, quelques grands sujets de réflexions et de méditations. Parmi ceux-ci, il faut citer en premier lieu le martyre qui est présenté sous deux angles différents, celui de l’adulte au travers de la figure du père Cristobal Magallanes, et celui de l’enfant au travers de ce que l’on peut sans hésiter nommer la montée au Golgotha du jeune José Sanchez Del Rio.

Pour reprendre les mots choisis par Jean Meyer pour qualifier cette épopée mexicaine, comment ne pas voir une dimension mystique et une dimension de sainteté dans ces destins tragiques profondément bouleversants ? Comment ne pas voir de la noblesse dans ces personnages principaux mais aussi dans presque tous ceux qui les entourent : le père Vega qui s’est transformé en général de l’armée cristeros et dont l’attitude est également à elle seule un grand sujet (le prêtre doit-il prendre les armes ou rester pacifique, comme le père Cristobal Magallanes ?), le général Gorostieta dont la lente évolution vers la conversion et la rédemption sous-tend tout le film, avec l’image lumineuse du petit José Sanchez, les femmes qui risquent leur vie, et jusqu’aux humbles combattants cristeros qui constituaient le gros des troupes et qui mourraient, anonymes, au cri de « Viva Cristo Rey » ?

 

Un contenu pédagogique

Tous ces destins ont une valeur d’exemple pour le spectateur, mettant à la portée de tous, jeunes et moins jeunes, ce que mourir pour ses convictions ou pour sa foi veut dire, et faisant réfléchir sur notre propre courage et ce à quoi nous sommes réellement prêts ! En dépit des apparences, liées à l’importance de la production et à certains aspects spectaculaires de la mise en scène, loin d’être grossièrement manichéen, le film montre la diversité des réactions des catholiques eux-mêmes face à la montée en force des manifestations pacifiques, puis armées et guerrières, organisées dans tout le pays contre les lois Calles. Tous ces personnages qui émergent progressivement au cours du récit nous montrent la difficulté de faire des choix et de vivre selon ce à quoi et ou en qui l’on croit en des moments particulièrement difficiles et radicalement tragiques. Le film expose avec un didactisme très catéchétique les différents comportements humains auxquels l’homme peut être confronté dans des circonstances aussi dramatiques et radicales : ainsi, outre les figures déjà évoquées, il faut noter celle de l’épouse du général Gorostieta, catholique pratiquante, mais si peu désireuse de voir son mari se lancer dans une telle aventure, ou celle du parrain de José qui, bien que catholique pratiquant sans faille, ne parviendra pas à l’héroïcité du martyre, malgré l’exemple donné par son filleul. On peut voir là une superbe allégorie du reniement de saint Pierre qui, avec d’autres détails parsemés tout au long du film, contribue aussi à la dimension mystique du long-métrage. Ces exemples qui nous sont donnés à contempler ne peuvent que toucher les âmes chrétiennes, mais également toute autre personne intellectuellement honnête, emprunte d’humanité, d’une capacité à la compassion et sensible à l’esprit de sacrifice. Difficile donc, voire impossible, de sortir totalement indemne de la projection de Cristeros et de ne voir dans ce spectacle qu’un western teinté de religion. Cristeros ne peut qu’être conseillé pour la fierté qu’il redonne et conforte d’être catholique et de le demeurer, à contre-courant de l’esprit du temps et du monde, et aussi pour le courage qu’il transmet à nouveau de s’opposer à tout pouvoir contraire qui chercherait à imposer des lois anti-naturelles et antichrétiennes. Le parallèle avec ce que nous vivons en France et plus largement en Europe n’est pas très difficile à faire.

 

Un film « ignatien »

Américain pour la forme, mais universel et donc catholique pour le fond, Cristeros est un film « clivant », c’est-à-dire un film par rapport auquel on ne peut se déterminer que d’une façon nettement tranchée. Dans sa radicalité, le film est donc « ignatien » : le spectateur se trouve soit du côté de ceux qui crient « Viva Cristo Rey », soit du côté de ceux qui vocifèrent « Viva el Demonio ».

C’est ainsi qu’une certaine presse, au mieux intellectuellement rigide et au pire intellectuellement malhonnête, a eu pour ce film dont l’écriture cinématographique reste simple puisque destinée à un très large public, mais d’une vraie beauté et d’une rare intensité émotionnelle et religieuse, des mots qui situent très bien où se trouve ce clivage : « L’Américain Dean Wright gâche ce sujet en le noyant dans un banal film d’aventures, ponctué de scènes édifiantes, d’un dolorisme presque kitsch » (Télérama), ou, ce qui en dit long sur le niveau des connaissances en matière de doctrine catholique du journaliste du quotidien La Croix, « forçant le trait sur la brutalité des soldats de l’armée fédérale, ce film oublie l’interdit évangélique de toute forme de violence, y compris pour défendre le Christ. De ce fait, ce Cristeros tient davantage du western que du film d’inspiration chrétienne », ou encore, ce qui prouve que le film frappe là où cela peut faire mal «… la lourdeur de la direction artistique et la prévisibilité des enjeux dramatiques rendent souvent indigeste ce lointain descendant du Chouans ! de Philippe de Broca » (Journal Première) Enfin, le journal Le Monde donne le coup de grâce : « Une curiosité, diffusée en France par un éditeur vidéo spécialisé dans la catéchèse catholique. Cette guerre civile est aujourd’hui la raison d’être d’un pseudo western d’une extrême platitude. » Tous ceux qui ont vu cette « curiosité », « ce pseudo-western d’une extrême platitude » et qui, dans leur très grande majorité, l’ont apprécié au point d’applaudir dans les salles obscures, répondent tout simplement en criant « d’une seule et même voix » : « Viva Cristo Rey ! »

Bruno de Pazzis

(Cet article est également publié dans la revue Fideliter)

http://www.clovis-diffusion.com/PBSCCatalog.asp?ItmID=12345573

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