L’Histoire pour connaître le passé et comprendre le présent.
La première partie de notre étude a précisé les circonstances de l’apparition de la principale et plus durable dissidence anticoncordataire : la « Petite Eglise » deux-sévrienne : celle-ci s’est constituée sur une fidélité sans faille aux glorieux ancêtres et aux prêtres qui, dans les années 1793-1815, avaient refusé toute compromission avec la Révolution et le régime bonapartiste.
Leur combat s’était spécialement cristallisé sur le refus du Concordat signé en 1801 et maintenu par la Restauration ; mais leur fidélité, précisions-nous, s’était radicalisée et pérennisée pour des questions de personnes et de circonstances.
Efforts vains pour trouver des prêtres
Comment évolua la situation pour ces « dissidents » des Deux-Sèvres, alors que la poignée de prêtres qui soutenait leur combat s’amenuisait et allait bientôt disparaître ? Forts des consignes de Mgr de Thémines, l’évêque de Blois exilé qui avait explicitement soutenu leur résistance, ils se considérèrent, à l’instar des fidèles de S. Hilaire à l’époque de l’arianisme triomphant, comme les seuls catholiques fidèles. Le clergé officiel les condamna avec vigueur ; dès les années 1820, individuellement ou en groupe, beaucoup de ces dissidents rentrèrent dans le rang, mais il subsista des noyaux d’irréductibles, spécialement dans le secteur de Courlay et Cirières. Il faut dire que le plus souvent, les autorités civiles, peu soucieuses d’entretenir des troubles publics, les laissèrent tranquilles. Le roi Louis XVIII (1814-1824) ne cachait pas sa bienveillance envers les anticoncordataires, en qui il reconnaissait les plus fidèles légitimistes… Et même après la chute des Bourbons, le pouvoir préféra jouer la carte de la tolérance…
Le problème crucial pour ces anticoncordataires fut dès lors le manque de prêtres. Le tout dernier dans ce secteur fut l’abbé Ozouf, établi aux Aubiers après avoir rayonné dans toute la région, qui s’éteignit en 1847, âgé de 86 ans ; il est d’ailleurs établi que ce prêtre, d’origine normande, avait des travers peu édifiants et que son combat anticoncordataire était peut-être surtout pour lui un moyen de garder des fidèles – preuve que ceux-ci n’étaient pas forcément très regardants. Et de fait, c’est à cette période que se placent des épisodes décisifs : leurs tentatives pour trouver des prêtres susceptibles de maintenir la pratique sacramentelle. En effet, on ne voyait pas comment survivre sans les prêtres et les sacrements délivrés par ceux-ci ; à partir des années 1830, les rares prêtres restants s’épuisèrent à visiter les groupes anticoncordataires ; plus tard, quelques fidèles très zélés furent capables de courir jusqu’à Toulouse pour qu’un prêtre de leurs idées bénît leur mariage…Mais on s’acheminait vers un catholicisme sans prêtres, ce qui semblait paradoxal voire impossible. Néanmoins, au moins à Courlay, les anticoncordataires maintenaient leurs effectifs, galvanisés par les remontrances et les vexations du clergé concordataire. Ils entretinrent même, durant tout le XIXe siècle, une petite école tenue par des quasi-religieuses acquises à la cause.
A deux reprises alors, le groupe de Courlay récupéra un desservant, hors de tout cadre canonique bien évidemment. D’abord, en 1835, un certain abbé Maisonneuve, étranger à la région, proposa ses services et fut accueilli avec enthousiasme, mais allait se révéler déficient dans sa conduite et susciter des oppositions et des divisions chez ses ouailles de fortune. Pour assainir l’affaire, il fallut, en 1837, l’intervention de la seule autorité extérieure à leurs idées qui eût de l’autorité sur les Courlitais dissidents : le marquis de la Rochejaquelein, neveu du généralissime de 1793. Depuis son château de Clisson (à Boismé, à deux pas de Courlay), celui-ci manifestait son estime pour les dissidents, pour qui il intercédait lorsque l’administration leur cherchait noise. Le marquis enquêta et put facilement établir que le passé du sieur Maisonneuve était fort trouble : ordonné douteusement dans le cadre de l’Église constitutionnelle (un comble, pour un desservant de fidèles contre-révolutionnaires !), il avait dans la suite vécu pendant des années comme un simple laïque. C’était donc vraiment par forfaiture qu’il s’était introduit à Courlay ; déconsidéré, ce prêtre interlope dut se retirer (il finit, cinq ans plus tard, par se soumettre à l’Église concordataire).
Cet épisode malheureux ne servit pas de leçon car quinze ans plus tard, une nouvelle tentative eut lieu, analogue et même pire. En effet, apparaît dans cette histoire en 1853, un abbé Beerier, quinquagénaire, originaire de Vendée, dont le parcours avait été chaotique : difficilement ordonné, de moralité très douteuse, il avait suscité des scandales dans les diocèses de Luçon, de Châlons et d’Angoulême où il exerça successivement. Finalement, rentré dans sa région natale et cherchant à survivre, il proposa ses services aux dissidents : éconduit par les dames responsables des groupes de St-Martin-des-Tilleuls (en Vendée) et des Aubiers, qui connaissaient sa triste réputation, il eut plus de chance à Courlay, où sans doute le repli sur soi était grand… Il y arriva en août 1853, accueilli dans l’enthousiasme : ce fut alors une procession ininterrompue de familles dissidentes auprès de lui ; en quelques jours, l’abbé baptisa solennellement près de 400 enfants et bénit des dizaines de couples… Mais au bout de deux semaines, dénoncé par le curé officiel du lieu et menacé de poursuites, il s’empressa de déguerpir, mais tenta encore sa chance deux mois plus tard. De nouveau, ce fut le marquis de la Rochejaquelein qui permit de confondre ce prêtre, manipulateur et criminel avéré (il finit, après d’autres aventures, par être condamné à plusieurs années de prison ferme). Beaucoup de dissidents de Courlay continuèrent longtemps à le croire injustement persécuté. Ajoutons une évidence qui à elle seule aurait dû interdire aux dissidents de recourir à lui : l’abbé Bemier, vu son âge, n’avait pu être ordonné que par un évêque concordataire !
Conséquence : le total repli sur soi
Ces tentatives malencontreuses de recruter un prêtre allaient amener la dissidence de l’Ouest à renoncer totalement au ministère sacerdotal. Et cela d’autant plus que le jeune et zélé Mgr Pie, évêque de Poitiers (de 1849 à 1880), décida de les stigmatiser lourdement. Les fortes convictions monarchistes de Mgr Pie l’avaient au départ incliné à la bienveillance envers ces contrerévolutionnaires en marge de son diocèse, mais le résultat à peu près nul de ses avances, joint à l’affaire Bernier qui avait fait grand bruit, le poussa à publier à leur adresse, en 1853, une lettre pastorale d’une sévérité extrême, qui les assimilait aux hérétiques et même aux païens… Ce n’était sans doute pas le langage le plus propre à les faire revenir en masse au bercail.
Quoiqu’il en soit, les membres les plus influents de la dissidence courlitaise, définitivement échaudés, décidèrent, la mort dans l’âme, de se passer de prêtres. Ils mirent en application les consignes de Mgr de Thémines et de leurs derniers bons prêtres : « Tout croyant est un soldat » ; « Comme le bon larron, vous confesserez vous-mêmes vos fautes au Christ, directement. » Et puis, ils prirent les moyens pour rester fidèles, rééditant sans cesse le Catéchisme et l’Eucologe (=missel) du diocèse de La Rochelle d’Ancien Régime, se réunissant pour célébrer la messe et les vêpres sans prêtre, sous la direction d’un des leurs – d’abord Philippe Texier, neveu du dernier curé « fidèle » de Courlay… Après avoir pris conseil d’un des derniers prêtres anticoncordataires du Vendômois, Philippe Texier accepta et assuma ce rôle, imposant une fidélité sans faille à la discipline ancienne, et un refus intransigeant de tout contact avec le clergé et la religion concordataire, voire, s’il était possible, avec les catholiques concordataires.
C’est alors que se mit en place durablement un groupe religieux qui, pour survivre, se souda dans l’opposition à toute influence de l’extérieur, se constituant en citadelle assiégée. Il est facile alors, et la presse à grand tirage ne s’est pas privée de le faire, d’insister sur les caractéristiques les plus surprenantes des fidèles de la Petite Eglise. Contentons-nous de mentionner les plus voyantes : la célébration du culte avec tout le « décorum », auquel ne manque que le célébrant ; les cérémonies en grande pompe des premières communions (mais communions seulement spirituelles, bien évidemment) ; les chapelles fermées à ceux qui ne sont pas acquis à la cause (seule exception : pour les enterrements) ; le respect rigoureux des fêtes et des interdits alimentaires d’Ancien Régime, ainsi que des règles vestimentaires les plus strictes ; ou encore, l’opposition systématique aux pratiques sociales et politiques des catholiques concordataires : c’est ainsi que, dans le Courlaisis, durant presque tout le XXe siècle, les dissidents, et eux seuls ou presque, mettaient leurs enfants à l’école publique et votaient à gauche… Se focaliser sur ces aspects est un peu injuste, car encore une fois, pour eux la religion héritée de leurs glorieux ancêtres était un bloc, et paraître un tant soit peu se conformer aux usages des catholiques officiels, c’était saper l’esprit de leur fidélité et, à terme, menacer leur survie. Et puis, on doit remarquer aussi qu’il y avait aussi chez eux des côtés irréprochables, tels que leur scrupuleuse honnêteté en affaires, qui entre autres leur interdisait, 150 ans après, d’acquérir tout bien confisqué au clergé ou à la noblesse à l’époque révolutionnaire…
Toutes ces caractéristiques allaient constituer une chrétienté marginale, campant farouchement sur ces positions, et qui allait paradoxalement perdurer même après que le concordat napoléonien honni eut été aboli en 1905. Mais n’allons pas trop vite. Car il est grand temps de revenir sur le fond de la querelle : qu’en était-il de ce combat anticoncordataire, soutenu par une infime minorité et qui semblait, les années passant, de plus en plus dépourvu de sens ? Les positions des dissidents n’étaient-elles qu’une fidélité sans fondement solide ? Dans les Deux-Sèvres, la plupart d’entre eux étaient des paysans ou des artisans dépourvus d’instruction, aveuglément fidèles aux positions de leurs « bons prêtres » antirévolutionnaires et anticoncordataires. Quelques rares dirigeants sortaient quand même du lot, et il allait se trouver une occasion pour eux, rompant avec le superbe isolement dans lequel ils se retranchaient, de chercher à faire entendre leur voix en haut lieu en défendant leurs positions doctrinales. Cette occasion, ce fut le premier Concile du Vatican. Mais pour évoquer cette nouvelle page de leur histoire, il conviendra, dans la suite de cette étude, de se tourner vers l’autre grand pôle de la Petite Église : celui de Lyon, car c’est à Lyon que furent prises les premières initiatives en ce sens.
(à suivre)
Père Damien-Marie (Fraternité de la Transfiguration – Mérigny)
Source : La Simandre,
Fraternité de la Transfiguration,
Le Bois 36220 MÉRIGNY,
02 54 37 40 04
Renseignements : https://transfiguration.over-blog.com/
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