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Le désordre mondial

Source : Entretien publié par le magazine Rébellion

Quelle est l’origine historique de ce « désordre mondial » que votre dernier livre analyse en détail ?

La question du désordre mondial doit effectivement être posée dans ces termes. L’histoire nous renseigne mieux que quoi que ce soit et que quiconque sur l’origine des événements géopolitiques actuels. Le tournant politique qui annonce les événements que nous connaissons se trouve au XVIIème siècle et plus particulièrement dans le mouvement de bascule politique initié par les Révolutions que nous qualifierions aujourd’hui de « colorées ». En France, les mécontentements populaires avaient eux-mêmes été créés, dans une très large mesure, par la libéralisation des prix du grain initiée par les banquiers-commerçants présents au sein du gouvernement royal. La fabrication, largement volontaire, de la paupérisation populaire ajoutée à des mécontentements structurels et conjoncturels inhérents à tout type de société ont été le terreau sur lequel se sont développées les émeutes bientôt transformées en Révolution.

Ces mouvements de masse ont par ailleurs été largement manipulés, encadrés et armés par des personnes répondant à une feuille de route, précise, qui avait pour objectif de renverser l’ordre politique en vigueur fondé sur l’organisation de la Société en trois Ordres. De ces trois Ordres, chacun sait que seuls les deux premiers, à savoir la Noblesse et le Clergé, occupaient alors le pouvoir. Même s’il existait une porosité entre les Ordres de la Noblesse et du Clergé – dont les fonctions étaient souvent occupées par les enfants d’une même famille – il n’en restait pas moins que ces deux Ordres obéissaient à une hiérarchie distincte. Les deux Ordres fonctionnaient en conséquence, l’un vis-à-vis de l’autre, comme des contre-pouvoirs effectifs. C’est précisément en raison de l’existence de ce contrepouvoir que la bourgeoisie commerçante a pu se développer puis prospérer jusqu’à acquérir dans la Société une place quantitative – sinon prééminente (qu’elle détient actuellement) – de plus en plus importante.
C’est sur cette bourgeoisie commerçante en plein essor que les banquiers-commerçants, c’est-à-dire les changeurs et orfèvres du Moyen-Âge, se sont appuyés pour initier leurs grandes manœuvres politiques.

Car il faut se souvenir que les banquiers changeurs détenaient, de longue date, sur l’institution royale, un pouvoir très important en raison du fait qu’ils fournissaient du crédit au Roi et aux différents grands seigneurs ; crédits nécessaires à l’armement et à l’entretien des armées, à la tenue et au maintien des différentes obligations politiques et sociales du Roi et de la noblesse en général. Seul le Clergé échappait alors, dans une très large mesure, au pouvoir des banquiers changeurs. Il faut se souvenir que l’Église du Moyen-Âge a historiquement, durant très longtemps, joué un rôle de modération sur le pouvoir des financiers. C’est précisément pour cette raison que la caste des banquiers-commerçants a, dès le XVIIIème siècle, estimé que l’Ordre clérical était son véritable ennemi. Les financiers n’ont eu de cesse, depuis le XVIIIème siècle, de développer toute une panoplie d’armes civiles conventionnelles (en finançant le développement, sur tous les fronts – économique et sociétaux – de théories réellement anti-cléricales) et non-conventionnelles (infiltration…) pour abattre, sur la durée, le Clergé. La Révolution Française a été, au niveau politique, le point de départ de ces manœuvres, de type militaire, visant à la disparition du clergé dans un contexte où le pouvoir temporel (pouvoir Royal et noblesse), très affaibli par ses incessants besoins financiers, était déjà tombé aux mains des banquiers-changeurs.

D’un point de vue technique, l’Ordre politique d’Ancien Régime était techniquement fondé sur deux groupes : un pouvoir temporel (la Noblesse, c’est-à-dire l’aristocratie organisée autour d’un Roi considéré comme le premier d’entre ses pairs) et un pouvoir spirituel (le Clergé). Ces deux ensembles se faisaient face et s’équilibraient. Juridiquement, le lien entre ces deux Ordres reposait sur la prééminence du spirituel sur le temporel, traduit par le fil conducteur de la suprématie de l’Ordre naturel, bientôt traduit en « droit naturel ».

Ici se trouve la source de la volonté, développée par les banquiers-commerçants, de disparition de tout « ordre naturel ». Dans leur quête du pouvoir, les orfèvres-changeurs devaient abattre tous les fondamentaux sur lesquels reposaient le pouvoir ancien. Au fil du temps a donc émergé, sur la discrète direction des banquiers-commerçants, un concept juridique nouveau, celui de « droit positif », dont la vocation était de s’opposer au « droit naturel ». Cette notion nouvelle de « droit positif » a été la porte ouverte à l’avènement d’un ordre juridique nouveau, dérogatoire au droit commun qu’était alors le droit civil, appelé « droit commercial ». De fil en aiguille, sur le continent européen et en France en particulier (à partir de 1807, date de l’avènement, sous Napoléon, du Code de Commerce), le droit commercial est passé du statut dérogatoire, qu’il avait au XIXème siècle, au statut de droit commun qu’il prend actuellement. Ainsi, historiquement, le positivisme a été le moyen, utilisé par les banquiers-commerçants, pour obtenir le remplacement du droit civil par le droit commercial dans sa fonction de droit commun. Rappelons que qui dit « droit commun », dit règle de gestion et de régulation de la Société dans son intégralité.

Nous sommes aujourd’hui, en France, en Europe, et dans le monde, au point culminant de la domination, artificielle et encore relativement officieuse, de la caste des banquiers-commerçants, qui sont les héritiers directs des orfèvres changeurs du Moyen-Âge. Cette domination doit donc nécessairement se traduire par l’avènement politique de cette caste, ce qui sera réalisé par l’instauration d’un gouvernement mondial, de type autoritaire car dépourvu de tout contre-pouvoir politique et social effectif. La constitution de ce gouvernement repose sur deux outils, l’avènement d’une monnaie mondiale efficiente contrôlée par les banquiers-commerçants, et la constitution de relais de pouvoir locaux formalisés sur le modèle de l’Union Européenne. Le contrôle du commerce maritime mondial a été la porte d’entrée à la prétendue impérieuse nécessité de doter le monde d’une monnaie mondiale unifiée… et dûment contrôlée.

Comment les banques furent le moteur d’un passage d’une économie « réelle » à une finance totalement virtuelle ?

La virtualisation de la finance internationale a été le résultat, prévisible, de Bretton Woods. Le dollar alors imposé en tant que monnaie mondiale, ne pouvait techniquement, tout comme l’étalon or jusqu’alors utilisé, pas suivre le développement structurel, permanent et de nature exponentielle, des échanges économiques mondiaux tel que voulu par la doxa du libre-échange, en vigueur depuis le XVIIIème siècle. Rappelons-nous que le « libre-échange » est la version modernisée de la « liberté du commerce » imposée, en occident, par les Révolutions de la fin du XVIIIème siècle, lesquelles ont été initiées, c’est-à-dire dirigées et commanditées, par la caste des banquiers-commerçants.

Dans leur quête désespérée pour conserver leur propre monnaie, le dollar US, en tant que monnaie mondiale, les américains ont dû avoir recours, en plus de la mainmise sur les réserves financières de leurs vassaux occidentaux, à des subterfuges afin de créer, artificiellement, des actifs financiers. L’impérieuse nécessité de l’adossement de la monnaie à des richesses a donné naissance au vaste mouvement de dérégulation financière, née aux États-Unis d’Amérique dans les années 1970. Ce que nous appelons aujourd’hui « financiarisation de l’économie » est le résultat de la dérégulation financière qui a permis la naissance d’actifs financiers fictifs c’est-à-dire grosso modo la transformation – sur le modèle de l’alchimie – d’actifs toxiques, qui sont en réalité des dettes, en richesses.

Il faut bien comprendre les mécanismes intangibles de la monnaie : une monnaie ne peut fonctionner qu’adossée à une « économie ». S’agissant de monnaie mondiale, c’est là que le bât blesse. Car les contraintes économiques d’une monnaie locale, adossée à une économie locale, sont incompatibles avec les contraintes économiques d’une monnaie mondiale, qui doit être adossée à une économie mondiale. Une économie locale prospère repose sur une balance commerciale bénéficiaire, c’est-à-dire sur le fait que les exportations doivent être supérieurs aux importations. Or, pour être utile, une monnaie mondiale doit être émise en quantité suffisante pour pouvoir répondre à la totalité des échanges économiques mondiaux ; ce qui, techniquement, se traduit par le fait qu’une monnaie mondiale repose sur une économie mondiale. Or, pour pouvoir circuler en quantité suffisante pour répondre aux besoins mondiaux, le dollar US en tant que monnaie mondiale exigeait que les importations américaines soit supérieures aux exportations, ce qui a eu pour effet mécanique d’affaiblir l’économie (américaine) en déséquilibrant durablement et irrémédiablement sa balance commerciale.

Dès lors, le cercle vicieux se met en place : une économie faible ne peut pas justifier l’émission importante de monnaie sans faire perdre à celle-ci la confiance de ses utilisateurs. On a vu que l’émission importante de dollar avait en effet été adossé à la création d’actifs financiers fictifs qui ont eu pour effet de déstabiliser le fonctionnement monétaire et financier au niveau mondial par la circulation dans de très grandes quantité d’actifs toxiques hébergés par les banques et par tous les organismes financiers ; cette circulation d’actifs toxiques a définitivement, emporté, c’est-à-dire mis un terme à la confiance des utilisateurs du dollar en tant que monnaie mondiale, rendant dès lors nécessaire son remplacement.

Tel est précisément le principe actuellement dénoncé par le président Trump, qui exige, de façon de plus en plus impérieuse, l’abaissement par la Fed des taux directeurs américains. Cette exigence est justifiée par le fait qu’avec des taux trop élevés, les exportations américaines diminuent de façon mécanique. Trump défend, ce faisant, le retour à une conception purement locale du dollar américain. Ajoutons que ce type de position de Donald Trump est non seulement compatible mais surtout parfaitement alignée avec les visées de l’oligarchie mondialiste qui œuvre à l’avènement des DTS (panier de monnaies) comme monnaie mondiale ; les DTS étant la résurrection actualisée du Bancor défendu par Keynes en 1944.

A la mi-2019, nous en sommes là des évolutions financières mondiales. Ce stade de développement monétaire sera – et est d’ores et déjà – utilisé par les banquiers commerçants pour faire avancer leur agenda de monnaie mondiale, elle-même rendant « indispensable » l’avènement du futur gouvernement mondial en charge de réglementer l’économie et les populations. Les déboires financiers mondiaux vont permettre, par la décrédibilisation du dollar en tant que monnaie mondiale, de mettre en place une monnaie mondiale viable, qui prend aujourd’hui la forme des DTS (droits de tirage spéciaux) dans le même temps qu’il va faire disparaître l’empire américain de façon à laisser la place à un futur gouvernement mondial. [Mais que restera-t-il des USA, NdSF] C’est dans le contexte nouveau des DTS monnaie mondiale qu’il faut comprendre la récente réhabilitation, par la BRI, du statut de l’or dans les bilans des banques (des banques privées et, par voie de conséquence, des banques centrales). Depuis le 29 mars 2019, l’or n’est désormais plus considéré comme étant un « actif à risque » pour les banques qui peuvent dès lors l’acheter et le revendre sans autre restriction comptable.

A l’inverse, c’est dans ce même contexte de l’avènement d’une nouvelle monnaie mondiale (DTS) qu’il faut comprendre la récente levée de l’accord de 1999 visant à coordonner les ventes d’or faites par les banques centrales de la zone euro. Pour les banques centrales européennes, il n’est plus nécessaire de vendre l’or détenu, mieux vaut le garder bien au chaud car il est redevenu un « actif sûr » permettant une valorisation de la monnaie qui y est adossée, dans l’objectif de la détermination du pourcentage de DTS détenus par les différentes monnaies. Ces mesures relèvent toutes d’un plan préétabli visant à imposer les DTS comme future véritable monnaie mondiale.

J’ajoute, pour finir, que la part, aujourd’hui, prépondérante du dollar US dans l’évaluation du panier de monnaie que représente les DTS sera très probablement diminuée, voire même sérieusement diminuée, dans les années qui viennent. C’est à cette aune qu’il faut apprécier le réel enjeu de la guerre commerciale que se livrent actuellement les USA et la Chine.

Les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale sont des phénomènes centraux de la domination des groupes financiers ?
Effectivement, la domination des banquiers-commerçants se compose de deux facettes économiques, d’une part le contrôle des monnaies et d’autre part le contrôle des multinationales, rendu possible justement par le contrôle des monnaies (qui permet l’affectation des richesses).

Contrairement à ce que la doxa veut faire accroire au public non averti, l’évasion fiscale, l’optimisation fiscale et l’existence des paradis fiscaux ne sont absolument pas des accidents de l’histoire économique et monétaire. Pas plus qu’ils ne sont des phénomènes accessoires.

Tout au contraires, les paradis fiscaux sont la pierre angulaire de la domination politique des banquiers-commerçants. Car les paradis fiscaux, dont le profil a récemment évolué du concept de « corsaire » à celui de « pirate », sont le moyen privilégié utilisé par les plus grands détenteurs de capitaux pour affaiblir, à la fois structurellement et conceptuellement, les États entendus au sens politique initial du terme. Les Paradis fiscaux sont un double danger pour les États traditionnels :

. d’une part ils servent à siphonner l’argent public, discréditant et décrédibilisant par la même occasion la fonction étatique ;
. d’autre part, par leur apparente autonomie politique et leur réelle dépendance aux institutions financières qu’ils hébergent, les paradis fiscaux constituent des abus de droit public. Ces structures ont l’apparence des États mais ils ne répondent à aucun des critères qui qualifient le concept politique d’état. Qui dit « abus » dit également discrédit porté sur le droit ; un tel discrédit étant tout à fait nécessaire à l’établissement d’un Ordre politique nouveau.
Hier sous la domination politique des États avec un statut comparable à celui des « corsaires », les Paradis fiscaux ont, depuis la disparition des comptes numérotés, bifurqué vers une indépendance de plus en plus marquée vis-à-vis des autorités politiques et une accentuation corrélative de leur dépendance vis-à-vis des institutions financières gestionnaires des capitaux hébergés ; les « paradis terrestres » ont définitivement pris le statut politique de « pirates ». Cette évolution est en réalité une « révolution » juridique dans la mesure où un pas de plus a été franchi dans l’objectif de décrédibilisation des États, qui ont désormais définitivement perdu tout moyen de souveraineté monétaire et financière.

Parallèlement, le processus dit d’optimisation fiscale a été une étape essentielle du processus de perte de souveraineté financière des États. Initié aux USA au début du XXème siècle à la faveur de l’organisation fédérale de l’État (qui a permis la mise en concurrence fiscale des États fédérés), le processus d’optimisation fiscale s’est développé au niveau mondial à la faveur de l’imposition mondiale de la doxa du « libre-échange ». Techniquement, et sous couvert de régulation (des prix de transfert), l’OCDE a été l’une des principale cheville ouvrière – avec les institutions de l’Union Européenne et d’autres organismes (tels que les « fat four ») – permettant la mise en œuvre effective de l’optimisation fiscale au niveau international. L’optimisation fiscale a permis le transfert légal effectif, des États vers les paradis fiscaux, de sommes dans des proportions tout à fait colossales ; ces montants financiers échappant dès lors définitivement à toute souveraineté étatique. Pour dire les choses autrement, l’optimisation fiscale a généré des flux de capitaux vers les paradis fiscaux dans des proportions que les seules transactions occultes et trafics illégaux n’auraient jamais permis, renforçant d’autant le pouvoir de ces « paradis terrestres », véritables pirates politiques.

Quel est le rôle des banques centrales dans ce système ? Quelle est l’enjeu des « guerres des monnaies » que nous voyons se mettre en place avec la chute du dollar ?
Comme je l’ai souvent expliqué dans mes articles, livres et conférences, le concept de banque centrale n’est pas anodin. Il est né de la volonté des banquiers-commerçants de faire échapper la souveraineté monétaire au contrôle politique. Ces banques centrales ont été initiées par des banquiers qui susurraient à l’oreille de personnages politiques dans l’optique de centraliser la gestion des monnaies.

Le rôle et la fonction des banques centrales a toujours été, en plus de la centralisation monétaire (au niveau de l’émission des monnaies mais aussi à celui de la réglementation), la préservation des capitaux acquis, ce qui, techniquement, se traduit par l’objectif de lutte contre l’inflation. Les banques centrales, chapeautées par la BRI et accompagnées par le FMI et la Banque Mondiale – organismes issus des accords de Bretton Woods – sont en quelques sortes « les gardiens du temple monétaire et financier mondial ».

Quant à la « guerre des monnaies », ses enjeux sont, rien de moins que, l’établissement du futur gouvernement mondial. Au-delà de l’apparente lutte entre États et groupement d’États (UE) pour la prééminence de leur propre monnaie dans le panier de monnaies constitué par les DTS, le véritable enjeu monétaire mondiale se situe dans les instances qui contrôleront ces DTS. L’enjeu essentiel des DTS ne réside pas seulement dans la détermination de ses pourcentages mais aussi et surtout dans le fait qu’ils reposeront sur des matières premières limitées (et donc contrôlées) et que leur circulation sera elle-même sous complet contrôle (cryptomonnaie utilisant vraisemblablement le modèle technique de la blockchain).

C’est la raison pour laquelle il est important, pour les banquiers à la manœuvre, que la future monnaie mondiale :

. soit émise dans des proportions limitées, permettant seule le contrôle total ; d’où les velléités de retour à une certaine forme d’étalon-or des monnaies ;
. circule de façon totalement contrôlée, ce qui est aujourd’hui permis par les systèmes modernes de transmission de données et, en plus particulièrement, par le principe de la blockchain.

La réalisation d’une monnaie mondiale viable officiellement et totalement contrôlée par les principaux détenteurs de capitaux, lesquels contrôlent – par employés interposés – tant la BRI que le FMI, est une condition sine qua non de l’avènement d’un gouvernement mondial contrôlé par les mêmes banquiers-commerçants.

Les banques ont désormais la possibilité de ponctionner directement les comptes de leurs clients pour se renflouer si besoin. Dans le même temps, le pouvoir économique affirme sa volonté de supprimer l’argent « liquide ». Comment est-t-il possible de laisser une telle emprise aux banques ?
La question de l’emprise sociale acquise par les banques est intimement liée au renversement du pouvoir réalisé par les Révolutions du XVIIIème siècle, qui ont imposé un ordre social et politique nouveau gravitant autour des concepts de :

. séparation des pouvoirs ;
. régimes parlementaires de type représentatifs ;
. partis politiques.

Depuis l’avènement politique de ces trois fondamentaux, les hommes politiques sont devenus les porte-paroles officieux des principaux détenteurs de capitaux dans le même temps qu’était acté le découplage institutionnel entre pouvoir et responsabilité. Les véritables donneurs d’ordre, les créanciers qui financent les partis politiques, restant toujours dans l’ombre, ils ne peuvent structurellement pas être appelé à répondre politiquement de leurs actions, c’est-à-dire des ordres qu’ils donnent et qui sont officiellement mis en œuvre par des « hommes de pailles » appelés « hommes politiques ».

Par ailleurs, le concept de « parlement » moderne, soi-disant à l’initiative des lois, est également une double supercherie. D’une part, bien qu’abondamment claironnée comme la condition de la démocratie, il n’existe pas de réelle séparation des pouvoirs alors que les pouvoirs législatif et exécutif sont détenus par des personnalités issues du ou des parti(s) politique(s) ayant gagné les élections (appelé « parti de pouvoir »). D’autre part, l’avènement d’un organisme politique essentiel (c’est-à-dire politiquement structurant) dont la seule mission est de fabriquer du droit est le gage majeur, essentiel et imparable, d’un futur problème d’excès de lois et autres réglementations.

Et que dire du « parlement » européen qui porte le nom de parlement mais qui ne dispose officiellement pas de l’initiative des lois !

Enfin, le pouvoir politique ne se conçoit que dans la durée ; or, le temps long, est officiellement et structurellement dénié aux partis politiques qui doivent sans cesse se faire concurrence pour « gagner » le cocotier des élections.

Toute cette organisation politique des États, directement issue du siècle des Lumières et mise en œuvre, en occident, à la faveur des Révolutions du XVIIIème siècle, s’analyse en une véritable imposture institutionnelle et politique. Il s’agit en réalité, à la mode anglaise, d’habiller d’honorabilité, la violente prise de pouvoir politique par les principaux financiers. Conformément à l’adage populaire, « l’habit ne fait pas le moine ». L’apparence de contrepouvoir, abondamment claironnée, qui prend la forme du principe de « séparation des pouvoirs » et le régime parlementaire représentatifs sont des fumisteries qui cachent la réalité de l’exclusivité du pouvoir.

En réalité, le principe de séparation des pouvoirs tel que mis en œuvre par les institutions issues du XVIIIème siècle est la pure et simple négation du concept de « pouvoir politique ». Le pouvoir que les principaux financiers ont pris sur les États est, par ailleurs, de type autoritaire car il est réellement dépourvu de tout contrepouvoir effectif. Ce phénomène est dû à l’anonymat dont ont su s’entourer les banquiers-commerçants à la manœuvre.

Les cryptomonnaies comme le Bitcoin sont-elles des alternatives au système financier ?
Pour répondre à cette question il faut revenir aux fondamentaux de la monnaie et plus particulièrement à la raison de son apparition sur Terre il y a fort longtemps. Avant même d’être matérialisée, la monnaie a toujours été un concept comptable, une unité de compte servant à mesurer la valeur des biens échangés de façon à faciliter les échanges, c’est-à-dire les flux de biens et services sur un territoire déterminé. Initialement, la monnaie n’est pas une réserve de valeur au sens où elle n’a pas, en soi, de valeur propre ; elle est un simple instrument de mesure de la valeur des biens et services. Pour être utile, le concept de monnaie doit donc être accepté par tous ses utilisateurs, il devient dès lors une institution publique de nature politique.

Peu à peu, la monnaie a pris l’habitude de s’incarner dans un bien matériel, bien variable d’une région à l’autre, d’une culture à l’autre. Coquillages, bétails, simple bâton gradué ou métaux rares… En occident ainsi qu’en orient, la monnaie s’est de plus en plus souvent incarné dans l’or ou l’argent, laissant à son émetteur la possibilité de modifier le poids et le contenu précis du métal ou de l’alliage utilisé lors de la réalisation des pièces ; ce principe a donné lieu à l’expression « battre monnaie » ainsi qu’au droit de seigneuriage qui donne à l’émetteur de la monnaie un avantage financier qui consiste en la détermination de la valeur initiale de la monnaie émise (laquelle pouvait différer de la valeur résultant du poids du métal précieux utilisé). Peu à peu, le concept monétaire a fini par être assimilé au vecteur matériel utilisé pour sa circulation, en l’occurrence l’or ou l’argent. Dans le même temps, au cours du Moyen-Âge, les orfèvres ont pris le monopole sur le commerce des métaux précieux et, faisant commerce desdits métaux, sont devenus des fournisseurs de crédits, c’est-à-dire des banquiers au sens moderne du terme (les fameux « banquiers-commerçants »).

C’est ainsi que de glissements sémantiques en habitudes commerciales, les orfèvres changeurs du Moyen-Âge sont devenus, à la faveur de la lutte politique entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel (cf. le conflit entre guelfes et gibelins), les fournisseurs monopolistes de la monnaie conçue comme ayant une valeur intrinsèque. Loin du concept politique initial, la monnaie est devenue un bien matériel accaparé par une caste particulière de commerçants. Or, accaparée, la monnaie devient inapte à remplir le rôle pour lequel elle avait été créée et qui était de faciliter les échanges. La monnaie appropriée par les banquiers ne rend de services qu’à ceux qui la contrôle, c’est-à-dire les banquiers commerçants qui décident dès lors de l’affectation des ressources monétaires et donc de ceux qui pourront ou non, et à quelles conditions, bénéficier de la ressource monétaire.

Pour répondre à la question posée, il convient d’analyser le concept de « Bitcoin » et de « cryptomonnaie » à l’aune de ces brèves explications.

Premièrement, les « bitcoins » et autres cryptomonnaies sont conçues comme étant dès l’origine des réserves de valeur. Ce premier problème induit le fait – sans même parler de la réalité plus ou moins probante de la valeur de la cryptomonnaie en question – que cette monnaie pourra faire l’objet de spéculation. Or, la spéculation permet l’appropriation de la monnaie, ce qui est, par essence, un empêchement rédhibitoire au rôle de facilitation des échanges qui est celui d’une monnaie.

Deuxièmement, certains types de cryptomonnaies (dont les Bitcoins), sans parler des possibilités multiples de piratages dont elles peuvent faire l’objet au moment de la circulation des données, requièrent de vastes ressources énergétiques. Ceux qui contrôlent l’énergie nécessaire à la circulation des Bitcoins pourront donc, d’une façon ou d’une autre, contrôler cette monnaie. Ici encore, on se heurte à la question de l’indépendance politique problématique de telles monnaies.

Troisièmement, on a vu qu’une monnaie au sens initial est, par essence, une institution politique car elle nécessite son acceptation par tous ses usagers, ce qui est la condition essentielle permettant la facilitation des échanges économiques. S’agissant de cryptomonnaies, rien n’impose a priori aux individus d’accepter une cryptomonnaie plutôt qu’une autre. Les usagers vont rapidement se heurter à la multitude des offres disponibles, générant une complexité qui s’oppose au rôle de facilitation des échanges que doit remplir une monnaie saine. Seules les cryptomonnaies dites d’État, c’est-à-dire générées par les États, pourraient remplir le rôle politique d’une monnaie, à condition que cette cryptomonnaie ne soit pas sous l’emprise d’intérêts particuliers et qu’elle soit effectivement soumise à un véritable contrôle politique, ce qui ne pourrait s’entendre que d’État émetteur, eux-mêmes de véritables entités politiques. On a vu que tel n’était pas le cas des États occidentaux, ainsi d’ailleurs que de la plupart des États du monde.
Il résulte de l’analyse ci-dessus que les cryptomonnaies en générale et les Bitcoins en particulier ne répondent à aucune des conditions d’existence d’une monnaie saine.

La déliquescence du secteur bancaire mondial est-elle pour vous le signe d’une prochaine crise financière d’importance ?
Ce que vous appelez la « déliquescence du secteur bancaire mondial », dont j’ai explicité les tenants et les aboutissants lors des questions précédentes, est le signe évident d’une future et très proche vaste spoliation des particuliers et des PME. Elle n’est nullement le signe d’une disparition du système financier mais au contraire le signe d’un resserrement du contrôle de ce secteur par quelques organismes financiers. Le secteur financier va se concentrer dans le même temps que l’argent disponible pour les particuliers et les petites entreprises va se raréfier. Concrètement, seuls les plus gros acteurs financiers survivront à la « crise » en cours. Ces acteurs, qui auront pris soin de rematérialiser la monnaie en l’adossant à des biens matériels tangibles accaparés (or, pétrole…), profiteront de la crise pour imposer une dématérialisation totale de la circulation monétaire, resserrant au passage leur contrôle sur la vie des particuliers et des PME.

La « crise » sera une aubaine pour réduire encore les contrepouvoirs politiques à la domination des banquiers commerçants…

Quel est votre définition de l’ « État Profond » qui est derrière le phénomène de globalisation ?
Ce que certains géopolitologues (tels Peter Scott Dale) appellent « État profond » est in fine la caste des banquiers commerçants qui a pris le contrôle politique en occident à l’occasion des Révolutions du XVIIIème siècle ; Révolutions que nous pourrions aujourd’hui qualifier de premières « Révolutions colorées » du monde.
Cette caste d’arrivistes a pris le soin de cacher sa domination par des subterfuges la mettant à l’abri de toute responsabilité publique, ce qui lui a procuré un contrôle politique total en toute impunité. C’est cette caste poursuit inlassablement, depuis trois cents ans, le basculement du monde dans un système politique centralisé entre ses propres mains.

Les banquiers-commerçants ont utilisé différentes armes pour asseoir leur domination politique, parmi lesquelles : le contrôle des monnaies, le libre-échange (qui est l’avènement juridique de la loi du plus fort économique), l’anonymat… et, bien sûr, un système d’institutions politiques à leur mesure (comme détaillé plus haut). Leur plus grand ennemi actuel est l’État, aussi poursuivent-ils inlassablement la disparition des États politiques pour imposer des États fantômes voués à disparaître à court ou moyen termes. Leurs outils sont de nature économique, juridique (droit anglo-saxon), ainsi que militaire (armées officielles, pactes militaires tel que l’OTAN) et paramilitaires (djihadistes et autres terroristes).

Dans votre livre, vous expliquez les concurrences au sein de l’oligarchie mondialiste. L’opposition entre la City et l’impérialisme américain est-elle, pour vous, un tournant historique ?
Davantage qu’un véritable « tournant historique », la récente opposition entre la City et les intérêts impérialistes américains représente une étape de plus dans la réalisation de la prise de contrôle mondiale absolue par la caste des banquiers commerçants. Nous assistons au déroulement d’un plan savamment conçu consistant à créer un problème avant de le résoudre dans le sens, bien compris, des intérêts spécifiques à cette caste. En l’occurrence, il ne faut pas oublier que les grands banquiers internationaux sont précisément à l’origine du développement des impérialismes britannique puis américain. Ils sont aussi, plus récemment, à l’origine du développement de la Chine sur le même modèle impérialiste. Ils ont également été à l’origine de l’empire napoléonien et de sa disparition, comme ils sont à l’origine de la disparition de tous les empires géo-centrés qu’ils avaient créés.

D’un point de vue méthodologique, le même schéma se retrouve au niveau du problème réglementaire. Alors que l’OMC impose le libre-échange mondial en œuvrant activement à la disparition des barrières réglementaires, c’est-à-dire aux réglementations étatiques protectrices des consommateurs de bien et des usagers de services. Les banquiers-commerçants financent dans le même temps des organisations non gouvernementales chargées de militer et d’œuvrer à l’élaboration d’une réglementation mondiale pour protéger le climat des dérèglements imposés par l’OMC. Cette méthode, très efficace, consistant à maîtriser les deux pans de la dialectique, permet à la caste de banquiers commerçants de générer artificiellement une demande mondiale de réglementation internationale ; demande à laquelle il ne pourra être correctement répondu que par la création d’un gouvernement mondial puisque les États auront, entre-temps, été neutralisés par les règles de l’OMC.

Dans l’hypothèse d’un développement ayant ses origines dans la finance, les empires géo-centrés ne doivent jamais oublier que leur développement sera immédiatement suivi de leur disparition car telle est la volonté des maîtres financiers. Les banquiers-commerçants ont, de tous temps, créé sous leur contrôle exclusif, des Frankenstein politiques de plus en plus gros (ville, État, puis Empire) avant de les détruire de façon à se rapprocher de leur objectif ultime du Frankenstein mondial (gouvernement mondial).

Si l’impérialisme géo-centré – dont l’impérialisme américain – est évidemment en soi un problème, l’impérialisme financier nomade est un problème encore beaucoup plus important auquel va, bientôt, devoir faire face l’humanité toute entière.

Quelle est le rôle de l’Union Européenne dans cette guerre interne au système ?
Formalisées sous contrôle américain, les institutions de l’Union Européenne trouvent en réalité leur origine dès la première partie du XXème siècle dans la domination déjà mondiale des grandes institutions bancaires. Cette « union économique européenne » avait d’ailleurs été initiée par un juriste nazi, Walter Hallstein, qui fut également, ultérieurement désigné comme le premier Président de la Commission européenne.

Il ne faut donc pas confondre la domination américaine sur l’Europe, qui a concrètement permis le développement du projet d’institutions européennes, et l’impérialisme américain lui-même, bien que les deux soient étroitement imbriqués lors de la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957. L’actuel divorce entre les banques de la City et l’empire américain rend nécessaire cette précision, superflue en 1957.

En effet, le « Brexit » qui n’en fini pas de ne pas se produire, a été initié par certains grands acteurs financiers de la City of London dans l’objectif du changement de monnaie mondiale et du rabaissement du statut international à la fois du dollar US et de l’empire US lui-même. L’enjeu politique du « Brexit » est le suivant : les institutions financières de la City doivent s’affranchir du carcan réglementaire européen, dans le contexte où les institutions elles-mêmes restent largement sous domination de l’empire américain, afin de piloter librement le passage aux DTS, en tant que future monnaie mondiale. L’idéal, pour les banquiers de la City aurait sans doute été que le gouvernement britannique reste inclus dans les institutions européennes pendant que les financiers s’en affranchissaient. Toutefois, l’interpénétration historique entre financiers et gouvernement britannique ne permet pas la réalisation d’un tel scénario.

Pour les banquiers de la City tenants du globalisme, l’essentiel est que l’extraction de la Grande-Bretagne du carcan européen ne puisse servir ni de prétexte ni de modèle à d’autres États ; les institutions européennes doivent, à tout prix, persister tandis que la monnaie mondiale, intégrant l’euro et la livre comme deux de ses cinq grandes composantes, sera modifiée.

Un pas plus loin, le Brexit devra également servir de détonateur permettant de renforcer l’intégration des anciens pays européens afin, concrètement, d’acheminer lesdites institutions vers un fédéralisme intégral – lequel suppose la disparition, par démantèlement, des États unitaires comme la France.

Vous donnez un véritable programme de renouveau national dans votre livre. Comment revenir à une société plus juste et harmonieuse ?
Le retour à une société plus juste et harmonieuse n’est conceptuellement pas difficile, ce qui est difficile est :

. de positionner clairement la problématique et
. de générer un contrepouvoir politique à la domination exclusive des banquiers commerçants !

Une fois la question posée dans les bons termes, la solution paraît évidente. Elle se compose de deux versants ; de la même façon que le problème a été élaboré par la caste des banquiers commerçants selon deux facettes.

Un versant institutionnel : aucun retour à une société harmonieuse ne pourra se faire sans avoir revu, de fond en comble, l’organisation politique de la société.
Un versant technique qui est la disparition des piliers de la domination financière que sont :

. la captation du contrôle monétaire par des organismes privés,
. l’organisation juridique de l’anonymat des véritables décideurs politiques,
. la suprématie du droit commercial – devenu, artificiellement, un véritable Ordre politique – sur le droit civil, qui représente l’Ordre politique naturel.

Nous avons donc à faire à une solution beaucoup plus politique que juridique ou économique. Car historiquement, le droit et l’économie ne sont que des outils permettant l’élaboration d’une ligne de conduite politique.

La politique, qui consiste en la régulation des forces sociales en présence sur un territoire déterminé, doit reprendre la maîtrise des outils juridiques et économiques. Si la force sociale est captée par des intérêts privés, comme c’est actuellement le cas, le phénomène politique n’existe pas… pas plus que n’existe la possibilité d’une civilisation. Phénomène politique et civilisation sont intimement liés ; ils sont tous deux axés autour de la délimitation d’un intérêt général commun, de biens communs et de la limitation des appétits individuels ou émanant d’une caste particulière c’est-à-dire sur la détermination politique de contrepouvoirs.

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

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