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Obedientes obedientibus : quelques brèves notes sur deux articles du Pr. Daniele TRABUCCO, par Mgr Carlo Maria Viganò, archevêque.

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« Je me permettrais de ne pas être d’accord avec le fait que la sainteté ne dépendrait pas des conditions historiques. »

L’obéissance servile est celle qui suit la loi par crainte, sans la grâce intérieure, et donc « elle n’est d’aucune utilité »  si elle n’est pas accompagnée d’amour ;  en effet, sans lui, elle rend coupable celui qui la pratique,  parce qu’il lui manque la fin ultime qui est Dieu. [Saint Augustin, De spiritu et littera]

Le commentaire du Prof. Daniele Trabucco sur les faits relatifs au Père Leonardo Maria Pompei, publié dans La Nuova Bussola Quotidiana le 9 septembre dernier (ici), a suscité quelques objections, parmi lesquelles l’une en particulier a provoqué une nouvelle intervention de Trabucco lui-même sur Chiesa e Postconcilio (ici).

Je précise que j’ai la plus haute estime pour l’illustre Professeur, dont j’ai toujours apprécié la pensée authentiquement catholique et la rigueur intellectuelle. Cependant, je crois que ses deux derniers articles déforment sérieusement le concept d’obéissance à l’autorité, induisant les lecteurs en erreur.

La thèse de la première intervention de Trabucco est que la sainteté – d’hier comme d’aujourd’hui – s’exprime aussi dans la fidélité et l’humble obéissance à l’Autorité légitime, parce qu’en obéissant à des ordres injustes, l’âme s’exerce dans l’abnégation d’elle-même et sublime ainsi l’obéissance en vertu héroïque.

L’objection des lecteurs met en évidence le contexte historique et ecclésial différent dans lequel l’obéissance héroïque de saints tels que Padre Pio ou Don Bosco face à des vexations réelles des Supérieurs légitimes les a fait grandir en sainteté. Et que les cas d’aujourd’hui, comme celui du Père Leonardo Maria Pompei, ne sont pas comparables aux premiers.

Voici comment Trabucco résume l’objection de ses lecteurs :

Aujourd’hui, l’Église est plongée dans une crise sans précédent, le néo-modernisme a pénétré au cœur même de la vie ecclésiale, etc., il ne serait donc pas légitime de comparer la situation actuelle du Père Pompei avec l’attitude de figures telles que saint Pio de Pietrelcina, le Père Dolindo Ruotolo, saint Jean Bosco et beaucoup d’autres saints, qui obéirent en souffrant. À cette époque, dit-on, le contexte était différent :il n’y avait pas une telle dissolution doctrinale, pas une telle confusion universelle, pas une telle apostasie silencieuse.

La réponse à l’objection, qui constitue la seconde intervention de Trabucco, part de l’hypothèse qu’il n’est pas possible de « contextualiser » la fidélité et l’obéissance des Saints du passé. Trabucco écrit :

La sainteté, en effet, n’est jamais le produit de conditions historiques, elle n’est pas le résultat d’un équilibre contingent, mais elle s’enracine dans l’immuabilité de la grâce et dans l’immuable constitution divine de l’Église.

Je me permettrais de ne pas être d’accord avec le fait que la sainteté ne dépendrait pas des conditions historiques. Au contraire, j’affirme que la Providence suscite pour chaque époque les Saints dont les charismes sont les plus utiles dans tel contexte particulier. Saint Jean Bosco n’est pas devenu un saint en étant un ermite mais un éducateur, dans l’Italie des Savoie, anticléricale et maçonnique, qui voulait évincer l’Église de la société.

Il y a cependant un malentendu qui doit être éclairci : ce n’est pas la sainteté qui doit être « contextualisée », mais la modalité par laquelle la vertu de la vraie Obéissance (et de toutes les vertus en général) est explicitée dans deux contextes différents et même antithétiques. Pour que le raisonnement du professeur Trabucco soit valable, il aurait fallu que tant Padre Pio que le Père Pompei se soient trouvés à obéir à des Supérieurs légitimes, c’est-à-dire à ceux qui exercent leur Autorité conformément à la Loi de Dieu, à la Vérité révélée, au Magistère immuable de l’Église. Tant que l’Autorité reste dans le sillon qui lui a été assigné par Notre-Seigneur, elle est légitime et conforme à l’Autorité suprême du Christ, Chef du Corps Mystique. Mais ce n’est pas le cas, non pas parce que Padre Pio et le Père Leonardo Maria ont agi différemment, mais parce que l’obéissance exigée de Padre Pio par un Supérieur autoritaire est d’ordre disciplinaire, tandis que celle exigée du Père Leonardo Maria par un Supérieur doctrinalement déviant est d’ordre doctrinal.

L’Autorité a été voulue par Notre Seigneur pour gouverner l’Église selon ses propres fins, et non pour la démolir et en disperser les membres. La vertu d’Obéissance est liée à la Justice :: elle doit être exercée selon une hiérarchie très précise, qui commence en Dieu, Législateur suprême et Autorité absolue, et qui s’articule ensuite dans l’obéissance à Ses vicaires temporels et spirituels, qui à leur tour sont tenus dobéir à leurs Supérieurs, et certainement en premier lieu au Christ Roi et Pontife. Saint Thomas d’Aquin nous explique que la vertu d’obéissance jaillit de la Charité et de la volonté de se conformer à l’ordre divin. L’obéissance est la vertu morale qui rend la volonté prête à exécuter les préceptes des Supérieurs (II-II, 104, 2, ad 3) ; l’obéissance à Dieu est absolue, tandis que l’obéissance aux autorités humaines est subordonnée et conditionnée à la soumission de lautorité humaine (et de lordre donné) à lautorité de Dieu (II-II, 104, 4). Le fondement de l’obéissance est en effet l’autorité du Supérieur, reçue directement ou indirectement de Dieu : c’est donc à Dieu qu’on obéit, en la personne du Supérieur légitime, puisque tout pouvoir vient de Lui (Rm 13, 2).

Dans l’ordre parfait qui tourne autour du Verbe Incarné, l’obéissance au Père est le moteur même de la Rédemption opérée par le Fils. Cette obéissance se répercute spontanément à l’intérieur du corps social et ecclésial, nous reconnaissant tous – gouvernants et gouvernés –soumis à la Seigneurie universelle du Christ, et donc nécessairement obéissants envers Lui. Dans cet ordre, la désobéissance est l’un des péchés les plus graves, car elle sape l’ordre christocentrique du cosmos ; et ce n’est pas un hasard si les vrais désobéissants finissent par renier d’abord la Seigneurie du Christ, afin de pouvoir affirmer orgueilleusement la leur. Satan est le rebelle, le désobéissant par excellence, et celui qui nous pousse avec mille tromperies à désobéir à Dieu.

Le professeur Trabucco estime, en prenant l’exemple du procès de Nuremberg contre les crimes de guerre nazis, que les subalternes ne peuvent pas être punis pour avoir exécuté des ordres reçus de supérieurs militaires. Au-delà du fait que tant les Supérieurs que les subordonnés ont la responsabilité morale de leurs actes – les premiers pour les ordres donnés, les seconds pour l’obéissance à ces ordres – il me semble que même les juges de Nuremberg ont déclaré coupables et condamné les officiers nazis, n’acceptant pas leur défense d’« avoir seulement obéi aux ordres ».

La désobéissance des Supérieurs au Christ, dont ils usurpent l’autorité, rompt la cohérence de la chaîne hiérarchique, car elle oblige les sujets à désobéir aux Supérieurs pour ne pas offenser Dieu. L’obéissance qui est esquissée dans les paroles du Prof. Trabucco semble faire abstraction de cette cohérence nécessaire de l’Autorité par rapport à l’obéissance qu’elle exige à son tour, arrivant au paradoxe d’indiquer qu’il est moralement préférable de désobéir à Dieu par obéissance servile aux Supérieurs désobéissants, à l’obéissance vertueuse à Dieu en désobéissant à Ses vicaires indignes. Et à ceux qui objectent que ce n’est pas au sujet de juger le Supérieur, je réponds que cela est vrai aussi du Supérieur à l’égard de Dieu, dont il s’affranchit pour pouvoir commander sans aucune limite.

Nous ne pouvons pas oublier que la décision de résister aux faux pasteurs est beaucoup plus douloureuse et problématique pour un prêtre que pour un laïc, même si ce n’est que pour une question de dépendance économique vis-à-vis du Supérieur. Mais précisément parce que c’est presque une violence pour un curé de devoir désobéir à son Évêque ou au Pape, l’Évêque et le Pape devraient considérer leur responsabilité morale lorsqu’ils abusent de leur autorité pour faire accomplir à leurs sujets des actions contraires à la volonté de Dieu, ce qu’ils ne feraient pas s’ils n’étaient pas menacés de sanctions canoniques.

La Hiérarchie conciliaire et synodale a délibérément brisé la cohérence de l’Obéissance bimillénaire de l’Église Catholique Romaine. Elle s’est soustraite à l’Autorité de Dieu et de l’Église au moment où, altérant la Foi, elle s’est « synodalisée » (c’est-à-dire démocratisée), faisant résider dans le « peuple de Dieu » la souveraineté arrachée au Christ. La synodalité est la quintessence de la désobéissance, tout comme la « réinterprétation synodale et œcuménique » de la Papauté, que le Christ a voulue monarchique, est sous la bannière de la rébellion et du schisme. C’est donc cette Hiérarchie qui désobéit au Christ, tout en continuant à revendiquer son autorité pour être obéie par le Clergé et les fidèles. La sainte désobéissance des sujets ne sape pas l’ordre voulu par Dieu, mais le rétablit courageusement, montrant les traîtres et les usurpateurs pour ce qu’ils sont. De plus, face à un plan subversif de la Hiérarchie qui, depuis plus de soixante ans, a été la principale cause de la crise dans l’Église Catholique, la prudence et la suspicion légitime de mauvaise foi à l’égard de Supérieurs qui continuent à promouvoir Vatican II et ses réformes sont non seulement louables, mais nécessaires. Le fait que les fidèles et les clercs prétendent avoir à faire à des évêques normaux, alors qu’il est évident qu’ils sont les cinquièmes colonnes de l’ennemi, constituent une coopération dans le mal que ces derniers font ou laissent faire.

Padre Pio ou Don Bosco avaient des Supérieurs qui à leur tour se reconnaissaient comme sujets de Dieu, et en craignaient le Jugement grâce à la formation morale et spirituelle reçue. S’ils avaient eu pour Supérieurs certains personnages qui infestent aujourd’hui les Diocèses et la Curie Romaine, ils auraient compris que leur obéir n’aurait pas constitué une immolation méritoire de la volonté, mais une vile complicité dans la démolition de l’Église et dans la désobéissance à Dieu.

Comment Padre Pio et Don Bosco, ou Don Dolindo Ruotolo et les milliers de saints prêtres qui, au cours des siècles, ont avalé tant de morceaux amers de leurs Supérieurs, dans le Clergé séculier et régulier, méritant le Paradis et souvent la conversion elle-même de leurs bourreaux mitrés ? Que seraient-ils venus répondre à l’évêque de Don Pompei ? Comment jugeraient-ils les erreurs de Vatican II et les horreurs du Novus Ordo ? Et encore : face à l’évidence que les Supérieurs de l’église conciliaire-synodale veulent détruire l’Église Catholique, la Papauté, la Messe et le Sacerdoce, comment auraient-ils jugé – en tant que Confesseurs de la Foi – le comportement de ceux qui, pour ne pas subir de représailles illégitimes, restent silencieux face à la propagation de l’hérésie et de l’immoralité ? Je doute que Don Bosco aurait accepté de célébrer le rite montinien, ou admis des concubins à la Communion, béni des couples sodomites, encouragé la transition de genre, profané la Très Sainte Eucharistie en la distribuant dans la main. Cela signifie-t-il qu’aujourd’hui Don Bosco et Padre Pio ne pourraient pas être saints parce qu’ils n’obéissaient pas à leurs Supérieurs ? Non : cela signifie qu’aujourd’hui ils se sanctifieraient eux-mêmes comme Confesseurs de la Foi en exerçant l’Obéissance selon sa hiérarchie interne. Cela signifie qu’ils obéiraient à Dieu plutôt quaux hommes qui Lui désobéissent. Voilà.

Cependant, Trabucco répond :

C’est précisément là que réside le problème : l’obéissance qu’ils ont incarnée n’est pas réductible à un fait historique, puisqu’elle appartient à la substance de la sainteté, parce qu’elle reconnaît dans l’institution visible le sacrement de l’action invisible de Dieu. []

C’est vrai : l’Obéissance appartient à la substance de la sainteté. Mais si la sainteté est le but de tout homme et en particulier de tout baptisé, comment l’obéissance pourrait-elle être un obstacle à la sainteté, puisqu’elle reconnaît la primauté à Dieu et, de façon subordonnée, à ceux qui Le représentent ? Ou peut-être devrions-nous croire que, par le simple fait qu’ils se réclament d’être nos Supérieurs, ils peuvent rendre légitimes des ordres que la raison, la Foi droite et le Magistère pérenne de l’Église nous indiquent comme irrecevables ? Peut-être devrions-nous considérer leur autorité comme légitime, lorsque Papes, Cardinaux, Évêques et clercs adhèrent à un autre Évangile (Ga 1, 6-7), à une autre religion, à un autre credo, à une autre papauté, à un autre sacerdoce, à une autre messe, en prétendant appartenir à une autre église, qu’ils appellent conciliaire et synodale. L’autorité de l’Évêque n’est pas remise en question en raison de ses manières bourrues ou de ses décisions discutables : ici est remise en question l’obéissance à une autorité usurpée dont se sont emparés des subversifs hérétiques et corrompus, afin de pouvoir démolir plus efficacement l’Église de l’intérieur.

Notre désobéissance aujourd’hui est la seule forme moralement respectueuse de résistance au scandale sans précédent d’une Hiérarchie qui prétend pouvoir falsifier l’enseignement de Notre Seigneur, et en même temps en revendique l’Autorité. Deus non irridetur, on ne se moque pas de Dieu (Ga 6, 7). Obéir à ces pasteurs, c’est devenir leurs complices, et être en communion avec eux exclut d’être en communion avec l’Église Catholique Apostolique Romaine : ils se réclament eux-mêmes de la « nouvelle Église » par rapport à l’Église « préconciliaire ».

Si nous conservons la vision transcendante de l’Obéissance, en nous souvenant que l’Incarnation a été possible par l’obéissance du Fils au Père, l’obéissance de la Très Sainte Vierge Marie au Seigneur et l’obéissance de saint Joseph à l’Ange, nous serons capables de discerner avec une conscience droite. Au contraire, je crois que les Derniers Temps nous donneront des exemples héroïques de sainte Obéissance à Dieu et à l’Église, tandis que sa Hiérarchie se distinguera – comme au temps de la Passion – par la trahison de la Loi et des Prophètes et par sa complicité avec le pouvoir politique.

Permettez-moi d’ajouter une dernière réflexion. Lorsque l’Écriture Sainte parle de faux bergers, de faux maîtres ou de faux prophètes,[1] elle utilise cette expression à dessein, pour mettre en évidence la tromperie de ceux qui se présentent pour ce qu’ils ne sont pas. Dans le Nouveau Testament, cet avertissement est encore plus explicite[2], comme dans la deuxième Épître de saint Pierre :

Il y aura parmi vous de faux docteurs, qui introduiront des hérésies de perdition, et, reniant le Seigneur qui les a rachetés, attireront sur eux-mêmes une ruine rapide. […] Par cupidité, ils vous exploiteront avec des paroles fausses (2 P 2, 1-3).

Si donc nous avons été avertis qu’il se lèvera de faux christ et de faux prophètes (Mt 24, 24), comment pourrait-on exiger qu’à ceux-là soit due notre obéissance, alors que c’est l’Écriture Sainte elle-même qui nous met en garde contre eux, en les désignant comme des imposteurs et des menteurs ? Si obéir à ces faux maîtres serait toujours un devoir et n’entraînerait aucune conséquence, pourquoi aurions-nous été avertis par les Évangélistes, par Saint Paul, par Saint Pierre, par Saint Jude Thaddée de ne pas les écouter, commettant en fait un acte de désobéissance ?

C’est précisément pour cette raison que la véritable Obéissance est le principal instrument par lequel l’assistance divine promise à l’Église Catholique s’exprime également dans la désobéissance vertueuse aux faux pasteurs et aux mercenaires, parce que, comme nous le rappelle à juste titre le professeur Trabucco, elle ne dépend pas des circonstances politiques ou ecclésiales, mais de la vérité éternelle que l’Église conserve, même aux heures les plus sombres. Non pas parce que ceux qui sont fidèles prétendent être meilleurs (ce qui semble plutôt être une conviction des Modernistes). Mais parce que, précisément en raison du fait que l’Église ne nous appartient pas mais elle appartient au Christ Seigneur, nous sommes tous obligés d’empêcher ses ennemis d’agir sans être dérangés et impunis, mettant en péril le salut éternel de tant d’âmes. Et c’est ce que le Seigneur attend de nous et non pas un quiétisme confortable déguisé en humilité ou en fatalisme.

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

17 septembre MMXXV, Impressionis Stigmatum S. Francisci

© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò

 

[1] Cf. par exemple Jr 23, 1-4 ; Jr 50:6 ; Ézéchiel 34:1-10 ; Is 56, 11 ; Zacharie 11:15-17.

[2] Cf. Mt 7, 15 ; Mt 24, 11 et 24 ; Jn 10, 12-13 ; Actes 20:29-30 ; 2 P 2, 1-3 ; 1Jn 4:1 ; Jude 1:12-13.

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