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Renaissance d’un jeu traditionnel picard

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Nous habitons depuis 20 ans à Ecault près de Boulogne- sur-mer dans un ancien relai postal qui faisait café, épicerie, mercerie et même bal du samedi soir. Cette maison date de 1878. Y est attenant un porche avec un garage qui recevait les diligences ; un petit édifice adjacent permettait d’installer les chevaux.

Un jour il nous fut expliqué que le tout à l’égout allait être installé dans la rue. La disposition des lieux est telle qu’il fallait passer par le garage pour faire le raccordement. Les employés de la Compagnie des Eaux firent une tranchée sur le sol cimenté. Ils furent arrêtés par un obstacle qu’ils n’arrivaient pas à franchir ni avec la pioche ni avec une scie circulaire. Ils en firent donc le tour. Qu’en était-il ? Il fallut enlever le ciment pour découvrir une plaque en marbre rouge de Marquise. Elle mesurait quatre mètres carrés environ. Particularités : elle comportait neuf dépressions excavées disposées symétriquement. Selon la tradition du coin, il s’agissait d’un ancien jeu de quille désaffecté depuis des lustres. En revanche un voisin nous fit cadeau des quilles qui elles-mêmes étaient rongées par les vers et bénéficièrent l’une après l’autre d’un long séjour dans un liquide vermifuge. Elles furent disposées sur un portoir en bois.

Il s’agit de quilles en bois ventrues renforcées par des lignes cloutées disposées tout autour afin qu’elles n’éclatent pas. Le principe est de les faire rouler les unes contre les autres à partir de la quille centrale et en avant, nettement plus pansue que les autres. Les derniers tenants de ce jeu spécifiquement boulonnais étaient à Longfossé près de Desvres où effectivement les clubs se réunissaient non pour jouer mais pour boire un coup et faire leurs calculs de points. Le tenancier fort jovial au demeurant nous expliqua que ce jeu se pratiquait traditionnellement après la messe du dimanche matin. Mais que hélas, il était en train de faire faillite faute de clients.

Chaque club déterminait à sa manière la règle en se basant par exemple simplement sur le nombre de quilles renversées après la succession de lancers que chaque joueur ou équipe de joueurs (deux ou quatre) devait effectuer. Mais c’était un délassement très difficile nécessitant une force extraordinaire. La boule en bois dans le cas présent devait être en charme car, parait-il, cet arbre est très dur. Ces boules normalement pèsent de huit à douze kilos et sont peintes de couleurs différentes suivant les équipes. Actuellement le hêtre est de rigueur car beaucoup moins cher.

Or apparemment ce jeu a repris une popularité extraordinaire. Tous les villages autour de Desvres ont leur quillier. Il a fallu même en construire tellement l’intérêt s’est réveillé. Les concours les plus récents ont rassemblé plusieurs centaines de joueurs d’une quinzaine de villages. Il en existe réservé aux femmes et même des challenges inter-écoles sont organisés régulièrement. Il existe dans la région des fabricants de quilles, sorte d’ébénistes spécialisés. Ils en fabriquent même des modèles plus petits à disposer en extérieur.

Tous ces tournois sont organisés dans la joie. C’est un vrai bonheur de voir que des jeunes au lieu de se faire façonner le ciboulot par la télévision formatée « politiquement correct » retrouvent une vie sociale faite de contacts humains.

Mon quillier ne revivra plus. Pour lancer les quilles, il faut prendre un élan suffisant. Devant la maison il existait jadis un chemin vicinal d’où se lançaient les joueurs. Il passe maintenant une route à grande circulation sur laquelle il est dangereux de s’engager : j’y ai perdu un genou. Je me console en sachant que plus aucun club ne se sert d’une quille plus grosse que les autres. Elle est pour moi un peu comme la rose du Petit Prince.

Ah oui ! Une dernière chose. Quelqu’un a-t-il une idée sur la manière de boucher les trous de cette plaque de marbre rouge faits par la pioche et la scie circulaire de la Compagnie des Eaux ?

                                                                             Jean-Pierre Dickès

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