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Vers la fin des cafés ? (Modeste Schwartz)

Modeste Schwartz, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et linguiste, est actuellement traducteur et auteur notamment du livre Schwab, le magicien de Davos paru aux éditions Culture & Racines. Nous vous proposons de lire la réflexion qu’il vient de poster sur les réseaux sociaux.

« Non, je ne suis pas fier d’être un complotiste. C’est trop simple. Il suffit d’un QI un peu au-dessus de 100, et d’une familiarité sommaire avec l’histoire humaine, laquelle, depuis l’époque des plus vieilles structures étatiques dont on ait gardé souvenir, consiste en une série pratiquement lassante de complots, discrets ou non (les plus récents le sont assez peu) couronnés ou non de succès.
Ce qu’il y a, en revanche, d’un peu bête dans ce type de mentalité contemporaine qu’on taxe généralement de « complotisme » est d’une autre nature : c’est la tendance à oublier qu’à une époque de coexistence pacifiée comme la nôtre, les pires violences faites à la masse se font, le plus souvent, avec son assentiment – certes peu éclairé, mais réel. Qu’on bourre les urnes (de plus en plus, au demeurant), qu’on manipule les sondages, c’est une chose. Mais depuis l’artilleur-prodige Napoléon, il est devenu fort rare que ces élites politiques, qui mentent et manipulent, soient sorties de nulle part. Qu’on le veuille ou non, elles sont – d’une manière ou d’une autre – représentatives.

L’histoire des cafés illustre bien mon propos. J’ai personnellement grandi dans le mythe du café familial, revendu par ma grand-mère une décennie avant ma naissance ; j’en ai, plus tard, ouvert un dans un autre pays, qui a eu pas mal de succès tout au long de sa trop brève existence. J’ai fréquenté les cafés de Paris, de Belgrade, de Minsk, de Budapest, de Tbilissi, de Chișinău, de Stockholm, de Madrid, de Erevan, d’Odessa, de Bucarest et de Sarajevo.
Mais surtout, j’ai aussi vécu dans des zones tribales qui ignorent presque totalement cette institution, et qui m’ont fait comprendre à quel point elle ne fait qu’un avec ce que l’Europe a appelé « société civile ». Dans le monde tribal, on passe son temps en cérémonies d’hospitalité. Les pauvres du village dorment et travaillent à l’étroit, pour pouvoir réserver une pièce d’apparat à cet épuisant rituel social : recevoir. Il n’y a pas de café au village, parce que chaque maison en est un. Ce n’est donc pas (loin de là !) qu’on n’aimerait pas le café, le vin en terre chrétienne, le thé, la conversation, la cigarette et « le flirt » (dans le cadre, certes, de la préparation de mariages arrangés). Ce qu’on ne supporte pas, c’est la publicité : aucune maison n’a vocation à devenir cette auberge espagnole où tout un chacun peut entrer sans être invité, à la seule condition d’être décemment habillé et d’avoir de quoi payer sa consommation (dans le monde tribal, on la paie de toute façon – et assez cher – en renvoyant les invitations). Apparu en même temps que la démocratie parlementaire, le café est le lieu de l’anonymité potentielle : l’endroit où l’on peut choisir de parler ou d’écouter en silence, de (se) présenter ou non (activités que l’exercice de l’hospitalité traditionnelle rend, en revanche, obligatoires).
Comme tel – et j’en ai personnellement fait l’expérience – le café est un lieu structuralement libéral. Le mien n’était pas ouvert depuis trois mois que j’étais déjà la coqueluche de la gauche libérale du Bassin des Carpates, dont les quotidiens, imprimés à Budapest avec subventions de Georges Soros, chantaient sincèrement mes louanges.
En 2020, on a versé beaucoup de larmes de crocodile sur l’euthanasie de cette institution, dans le cadre de la dékoulakisation à prétexte grippal décidée par Davos. Pour ma part, j’ai surtout vu, à longueur de newsfeed, tous mes anciens habitués, admirateurs et enthousiastes, soutenir frénétiquement sa mise à mort, à grand coups de #stayathome impérieux. Je parle de gens appartenant presque tous à des tranches d’âge pour lesquelles la dangerosité de la fameuse grippe est officiellement nulle.
Alors bien sûr, mes anciens collègues qu’on retrouve pendus derrière leur comptoir me font de la peine. Mais c’est un chagrin dénué de surprise : voilà ce qui arrive quand on met son bonheur entre les mains de monsieur tout le monde.

C’est-à-dire du citoyen : cet être qui n’est votre cousin ni par le sang, ni par le mariage, auquel ne vous lie aucun serment, pas même l’entretien en commun d’un fossé d’irrigation. Votre café n’étant la maison de personne, personne ne se sacrifiera pour la sauver : pas même quand ce sacrifice se résume à la « mise en danger » (au demeurant hautement hypothétique) d’une vieille tante centenaire à laquelle on ne rendait de toute façon plus guère visite ; ou simplement à courir le risque d’être perçu, par d’autres crétins du même nid, comme un « irresponsable » insuffisamment zélé dans la croisade des « vies sauvées » à force de masturbation devant Netflix.

Tout cela vous semble futile ? Vous avez bien raison.
Futile, comme l’institution du café, comme la société civile et la démocratie. Dans l’histoire de l’humanité, tout cela aura été une passade : un amour passionné le temps d’un soir, dont on a honte le lendemain, et qu’on a déjà oublié le surlendemain.
Futile, comme les appels – aujourd’hui ressassés par divers philanthropes à lunettes, censément anti-davosiens (mais ne seraient-ils pas plutôt sous-davosiens ?) – à « recréer du lien ». Quels liens, au juste ? Ceux qui débouchaient – dans le meilleur des cas – sur la coexistence érotico-passagère du « jeune diplômé » et de la « femme émancipée » et, trois ans plus tard, à leur divorce ? Mourir pour Tinder ? Vraiment ?
Futile, comme ces terrasses de la liberté, où des individus en état d’atomisation sociale (laquelle ne date absolument pas de mars 2020, puisqu’elle est la conséquence de décennies, voire de siècles de démolition méthodique de la famille, du clan, de la tribu) reconquièrent héroïquement le droit à une passagère proximité anatomique – qu’eux-mêmes n’ont, en général, jamais souhaité pérenniser à l’époque où elle était encore licite.
Quand les gouvernements davosiens, bêtes féroces acculées, vont « durcir le ton » (comprendre : quand la dictature deviendra ouvertement meurtrière), combien de ces citoyens-convives seront disposés à affronter le risque de se faire effectivement tuer (et pas par une grippe) pour sauver le café ? Presque aucun, naturellement.
Dans le monde tribal, au contraire, quand quelqu’un, entre égaux (mais c’est un monde très égalitaire), projette un assassinat, le plus simple est généralement d’exterminer toute la famille – pour se soustraire à la vendetta, sinon inévitable, et interminable. Du coup, en général, on assassine, finalement, assez peu. C’est la différence entre humain libre et humain domestiqué.
Vos maîtres ont laissé fonctionner vos cafés le temps qu’ils ont jugé nécessaire à la domestication. Une fois l’être collectif ramené à la structure mentale de Greta Thunberg, bien entendu, fin de la récréation : assez traîné dans les bars, Schwab et ses copains ont projeté pour vous des fourmilières autrement plus productives, et autrement mieux protégées du racisme, de l’homophobie et du complotisme. »

Modeste Schwartz

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