Vos, purpurati martyres, Vos candidate præmio, Confessionis, exsules, Vocate nos in patriam.
Vous, Martyrs drapés de rouge, Vous, vêtus de blanc en prix, De votre Confession, de notre exil, Rappelez-nous dans la vraie patrie.
[Rabano Mauro, Hymne Placare, Christe]
Après la célébration solennelle de la Royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ, le dernier Dimanche d’Octobre, le Premier Novembre est consacré à ceux qui ont combattu avec le Christ le bonum certamen, méritant de triompher avec Lui dans l’éclatante victoire sur le diable. Le lendemain, 2 Novembre, on rappelle une autre immense armée d’âmes saintes : celles que le feu du Purgatoire purifie, comme de l’or dans le creuset, pour les rendre dignes d’être admises à la gloire de la contemplation de la divine Majesté. Le Roi, Ses plus vaillants compagnons d’armes, Ses soldats et une multitude de Saints inconnus. Prophètes, Apôtres, Martyrs, Confesseurs, Vierges et Veuves ; Papes, Évêques et Abbés ; Rois et Souveraines. Et la Reine de cette foule immense, le Chef des Milices, la Très Sainte Vierge Marie. Et les armées angéliques : Séraphins, Chérubins, Trônes, Dominations, Vertus, Puissances, Principautés, Archanges et Anges. Des myriades d’âmes illuminées comme un firmament mystique par la lumière éblouissante du Sol Justitiæ, Notre-Seigneur Jésus-Christ, Roi et Pontife.
Tibi omnes angeli,
tibi cœli et universae potestates :
tibi cherubim et seraphim,
incessabili voce proclamant :
Sanctus, Sanctus, Sanctus,
Dominus Deus Sabaoth.
Pleni sunt cœli et terra majestatis gloriæ tuæ.
Te gloriosus Apostolorum chorus,
te Prophetarum laudabilis numerus,
te Martyrum candidatus laudat exercitus.
Il ne manque plus que nous à cette immense assemblée de saints, nous qui, dans cette vallée de larmes, pèlerinons vers la Patrie céleste que nous croyons trop souvent lointaine. Une patrie d’où nous sommes exsules, exilés, expulsés par la Justice divine en tant qu’enfants d’Adam et Eve, réadmis par la Grâce à la présence béatifique de la Très Sainte Trinité grâce à la Rédemption du Nouvel Adam et à la Co-rédemption de la Nouvelle Ève. Nous avons de nombreux compagnons de voyage avec nous, d’autres nous ont précédés, d’autres nous les rencontrerons en chemin. Nos parents, qu’ils auront quitté cette vie passagère, continueront à prier pour nous dans l’éternité et nous les retrouverons en train de nous attendre lorsque notre heure sonnera. Nos enfants, nos petits-enfants nous perdront aussi, un jour, et nous bénirons le temps où nous leur avons appris à réciter un De profundis, parce que leur prière soulagera nos souffrances purificatrices et nous rapprochera de ce locus refrigerii, lucis et pacis auquel nous aspirons tant. Nous aussi, nous prierons pour eux, du Purgatoire et du Paradis, afin qu’avec l’aide de la Grâce, ils puissent expier leurs péchés sur cette terre, par la pénitence, le jeûne, la prière ; avec la Charité, qui couvre une multitude de péchés (1 P 4, 8). La Charité : la seule Vertu qui ne disparaîtra jamais, parce qu’elle est consubstantielle au Dieu Un et Trine. Vertu dont le feu brûle d’un tel amour pour Dieu qu’il consume nos infidélités.
Ceux d’entre vous qui sont encore jeunes, et qui pensent qu’il leur reste encore beaucoup de temps avant le Jugement particulier, ne peuvent peut-être pas comprendre pourquoi chez les personnes plus âgées, cette sorte de « nostalgie » de la gloire du Ciel devient de plus en plus perceptible, ce qui nous fait presque désirer la mort pour rejoindre le Père Céleste et les saints du Ciel. Nous, les personnes âgées, ressentons ce desiderium patriæ qui nous la fait désirer plus que la lumière du soleil[1]. Un désir qui ne nous vient pas du souvenir de quelque chose que nous avons laissé – n’ayant jamais été admis au Paradis – mais de cette empreinte que nous portons imprimée dans notre nature et qui nous rappelle que nous sommes l’œuvre de la main sage du Créateur, faits à l’image et à la ressemblance de la Sainte Trinité, trinitaire nous-aussi dans nos facultés – la mémoire, l’intellect, la volonté. La mémoire du Père, l’intellect du Fils, la volonté du Paraclet.
On pourrait dire que la mémoire ancestrale du Paradis perdu s’est transmise, ainsi que les conséquences du péché originel – la mort, la maladie, la souffrance…. – de même que le fils prodigue éprouve la nostalgie de la maison du Père, dont il a dilapidé l’héritage. Cet appel poignant nous rappelle d’où nous venons, mais il nous montre surtout la Patrie à laquelle nous sommes destinés. Le pèlerinage du peuple élu dans le désert vers la Terre Promise est une figure du pèlerinage de l’Église vers le retour dans la gloire de son Chef, mais aussi une image du pèlerinage de chacun de nous vers la Nouvelle Jérusalem.
Nous avons été créés pour la gloire. Nous avons été voulus et donc aimés pour participer à la gloire de Dieu Créateur, Rédempteur et Sanctificateur. Nous sommes de lignée royale, fils et héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ. Et c’est ici que commence notre héritage, chers frères. Cela commence par l’échelle de la croix que nous voyons représentée dans une image médiévale, dans laquelle le Sauveur grimpe les barres d’une échelle qui mène à la croix. Notre héritage éternel commence avec l’acceptation volontaire de la croix que la Providence nous a destinée, et qui est la seule que nous puissions porter, la seule sur laquelle nous pouvons monter sereinement, sur laquelle nous pouvons ouvrir nos bras en toute confiance. La scala crucis est aussi scala paradisi, parce qu’à la suite du Rédempteur cette voie royale conduit tout droit à la présence de la Majesté divine. Une image évocatrice de saint Jean Climaque nous montre les âmes qui montent au Ciel, avec les Anges qui les accompagnent dans leur ascension et les diables qui tentent de les tirer vers le bas.
Les Saints – ceux que nous vénérons sur nos autels, dont nous encensons les reliques, sur les restes desquels nous célébrons le Saint Sacrifice de la Messe et qui intercèdent pour nous dans le Ciel – ne sont pas l’exception dans une norme de médiocrité. Il n’est pas normal de ne pas être saint. Il y a eu des moments où la sainteté ne faisait qu’un avec le fait d’être Chrétien, parce que, dans la fureur de la persécution, des hommes et des femmes, jeunes et vieux, étaient appelés chaque jour à affronter le Martyre. Beaucoup le subirent comme catéchumènes, avant même d’être admis au Baptême. Nous portons leurs noms précisément pour que leur exemple nous pousse à les imiter sur le même chemin de sainteté. Nous professons la même Foi apostolique, nous célébrons les mêmes Mystères et nous continuons à avoir les mêmes ennemis : le monde, la chair, le diable. Un Catholique qui ne veut pas être saint, qui ne désire pas le Paradis, qui n’aspire pas à Dieu – sicut cervus ad fontes aquarum – et qui ne ressent pas cette « nostalgie » du Vrai et du Bien, n’a rien compris de notre sainte Religion, ni du miracle de la Charité infinie qui a poussé la Deuxième Personne de la Très Sainte Trinité à s’incarner et à souffrir pour nous, sans autre motivation que l’amour divin pour nous et la gloire de la Trinité elle-même. Parce qu’être saint est un devoir de chacun de nous, dans l’obéissance au précepte : Soyez saints comme Dieu est saint (Lv 19, 2 ; 1 P 1, 16) ; mais si seulement nous nous laissons conquérir par Notre-Seigneur, la sainteté n’est plus une obligation, mais la réponse nécessaire, spontanée et reconnaissante à l’appel du Roi, sous les bannières Duquel c’est un honneur de militer.
Les Saints sont ceux qui ont acclamé et continuent d’acclamer : Regnare Christum volumus ! contre le cri blasphématoire de la foule déchainée. Ce sont ceux qui font régner leur Seigneur tout d’abord dans leur propre âme, en faisant une digne demeure de la Très Sainte Trinité par la vie de Grâce et l’union avec Dieu. Ce sont ceux qui, dans l’humilité, se laissent guider par la main sage du Seigneur, dociles comme une plume entre ses doigts, afin qu’il soit clair que l’œuvre qui en découle est entièrement divine. Quoniam tu solus Sanctus.
Cependant, nous, exilés, nous avons une lueur de Paradis sur cette terre. Une lueur de la gloire de la Majesté divine qui anticipe ce qui nous attend et qui rend les Grâces surnaturelles disponibles pour affronter le voyage vers la destination finale. Nous trouvons ce coin de Paradis dans nos églises, dans nos Tabernacles, autour desquels tous les Anges se rassemblent en adoration. Nous le trouvons dans la Sainte Messe, lorsque le prêtre fait descendre du Ciel le Roi des Rois, en répétant le Sacrifice de la Croix sans effusion de sang. Et dans ce Paradis sur la terre, borné par les colonnes et les voûtes d’une église comme par les poutres d’une grange, nous pouvons nous communiquer au Corps et au Sang du Christ, présent en Corps, Sang, Âme et Divinité, tel qu’Il est assis sur le Trône de l’Agneau dans la gloire du Ciel.
Te per orbem terrarum
sancta confitetur Ecclesia,
Patrem immensæ maiestatis ;
venerandum tuum verum et unicum Filium ;
Sanctum quoque Paraclitum Spiritum.
Peut-être est-ce précisément de la sacralité de la Messe, de la solennité des gestes mystérieux, de la profondeur des textes liturgiques, du torrent impétueux des Grâces que le Saint Sacrifice déverse sur nous, que nous vient cette « nostalgie » du Ciel, de la présence de nos proches, de la lumière de la Vérité suprême, de la chaleur de la Charité parfaite, de la gloire de Dieu et de Ses Saints. Tu rex gloriæ, Christe. sanctis tuis in æternum, quia pius es. Ainsi soit-il.
+ Carlo Maria Viganò, Archevêque
1er novembre MMXXV, In festo Omnium Sanctorum
© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò
[1] Patria me major quam lucis sidera deerat. Ovide, Tristia, I, 3.
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