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La « Petite Eglise » anticoncordataire : une nébuleuse religieuse

Nos deux premiers articles se sont focalisés sur le groupe anticoncordataire de la Vendée militaire, essentiellement dans le Bressuirtais aujourd’hui, le seul qui existe encore de façon bien constituée. Ce groupe, centré sur le bourg de Courlay, reste, et de loin, celui qui a maintenu, dans le temps long, les effectifs les plus conséquents. Nous avions mis en lumière le fait qu’après quelques déconvenues, les « dissidents » (comme on les appelle communément) avaient pris leur parti de s’organiser sans prêtres et en opposition stricte à l’encontre du clergé officiel – cela, pour rester ancrés dans la fidélité à leur combat contre le Concordat honni.

Nous achevions notre propos en disant que le premier concile du Vatican, réuni en 1870, allait être l’occasion pour eux de chercher à faire reconnaître leurs droits. Mais nous laissions entendre que pour mieux comprendre les enjeux, il fallait aussi évoquer l’ensemble des groupes « dissidents », et spécialement celui de Lyon, autre point fort de la résistance anticoncordataire.

Tour d’horizon sur l’expansion de la résistance anticoncordataire

C’est que cette résistance, à l’époque de l’Empire et encore pendant une bonne partie du XIXe siècle, s’étendait à tout l’espace concerné par le refus du Concordat : il s’en trouvait des groupes en de nombreuses régions de France, et également dans l’est de la Belgique. On peine à donner des chiffres, car les sources sont disparates et incomplètes. Rappelons les estimations des auteurs sérieux : de 80.000 à 200.000 fidèles anticoncordataires vers 1815 ; dans la suite, la plupart de ces groupes, dépourvus d’encadrement clérical, s’amenuisent irrémédiablement tout en cultivant la discrétion, ce qui les rend difficiles à repérer. La mémoire locale conserve le souvenir de leurs lieux de culte ou de pèlerinage, de leurs places réservées dans les cimetières, ou de quelques faits saillants les concernant. Plus fâcheux encore : on peine également à repérer les raisons pour lesquelles ces groupes se maintinrent dans tel secteur plutôt que dans tel autre. Le fait est qu’une certaine disparité caractérise ce petit monde, même si, au départ, tous ont en commun leur hostilité à la Révolution et leur attachement à la dynastie des Bourbons. Et la personnalité des protagonistes, clercs ou laïques, eut une importance certaine dans la mise en place et le maintien des groupes dissidents. Sociologues et historiens ont tâché de détailler les motivations. Détaillons un peu tout cela.

– Il y eut d’abord ceux qui cultivaient avant tout le souvenir du combat contrerévolutionnaire, la fidélité à leurs prêtres et à leurs ancêtres, vaillants défenseurs de la foi aux heures les plus sombres de la persécution jacobine. Ceux-là s’inscrivent dans la continuité de la lutte contre les autorités civiles, avec les grands refus fondateurs de leur résistance : refus de la Constitution civile du clergé de 1790, et rems de la conscription (service militaire) décrétée en septembre 1792. La soumission au Concordat de 1801, pour eux, ne fut qu’un nouvel épisode de la lutte, un avatar des différents serments inadmissibles imposés dans la décennie précédente. Les plus notables à relever dans ce courant sont les dissidents du Centre-Ouest (Nord Deux-Sèvres, Vendée, Maine-et-Loire), essentiellement des ruraux. Ce sont les seuls dont nous ayons vraiment parlé jusqu’à présent.

– L’autre grand groupe de résistants au Concordat se situe dans une région lyonnaise élargie : à Lyon même, entre autres chez les artisans du quartier de la Croix-Rousse, et puis dans les villes de Roanne et de Montbrison, et encore dans les campagnes des départements de la Loire, du Rhône et de la Saône-et- Loire (Charolais). Tous ces secteurs ne furent guère (à part le bref épisode de l’insurrection fédéraliste à Lyon en 1793) des régions de grand soulèvements contrerévolutionnaires… Le contexte est tout autre que dans le grand Ouest : à la tête de ces groupes du Lyonnais, il y avait des laïques instruits, qui se réclamaient d’une tradition habituée à ferrailler avec les autorités tant civiles que religieuses. Ceux-là s’inscrivaient, au moins   en partie, dans le courant janséniste, qui dans ces régions n’était certes pas moribond en 1789. A la fin du XVIIIe siècle, les oratoriens, présents à Lyon et Montbrison, forts du soutien explicite de l’archevêque A. de
Montazet (en poste de 1758 à 1788) favorisaient ouvertement les idées jansénistes. Dans le diocèse de Lyon et au-delà, ce fort courant jansénisant, pour défendre ses options religieuses, était habitué à résister aux autorités, et voyait dans la persécution plus ou moins larvée dont il était l’objet les prémisses de la fin des temps Autant dire que, face à la Révolution et à ses suites, ce petit monde bien convaincu était paré pour résister durablement ; une partie des jansénistes du Lyonnais devinrent donc l’un des fers de lance de la résistance au Concordat, d’autant plus que sous l’Empire, fut nommé archevêque concordataire de Lyon le propre oncle de Bonaparte, Mgr (bientôt cardinal) Joseph Fesch… Les opposants lyonnais constituèrent un groupe aux motivations fortes et durables ; ils allaient même, au milieu du XIXe siècle, engager – sans suites- quelques contacts avec l’Église janséniste hollandaise (constituée de façon schismatique depuis 1724). Dépourvue de prêtres dès les années 1830, cette Petite Église lyonnaise mit en place discrètement des structures laïques et des écoles encore bien actives en plein XXe siècle. En marge de ces structures, et bientôt sans plus aucuns liens avec eux, nous ne ferons que mentionner, pour l’instant, des groupes marginaux relevant du jansénisme « convulsionnaire » (les plus extrêmes étant celui des frères Bonjour – lesquels exercèrent un ministère étrange peu avant la Révolution à Fareins, dans les Dombes), dont certains allaient perdurer jusqu’à aujourd’hui malgré leurs extravagances.

-Un autre secteur où la résistance anticoncordataire se maintint durant tout le XIXe siècle, ce fut le Val de Loire. Là sans doute des questions de personnes eurent un rôle prééminent : le dernier évêque non démissionnaire (mort en 1829, après s’être rétracté in extremis) était justement l’ancien évêque de Blois, Mgr de Thémines ; de plus, le diocèse de Blois, supprimé en 1801, avait été réuni à celui d’Orléans dont le titulaire nommé en 1802 fut Mgr Bemier, le négociateur du Concordat, et à ce titre l’évêque le plus haï des anticoncordataires… Et c’est un fait que dans ce secteur, des groupes dissidents prospérèrent : dans les villes de Vendôme et de Blois et dans leurs alentours. Il en fut de même dans les départements de la Sarthe et de la Mayenne, avec un fort groupe au Mans même. De même type apparaît la résistance anticoncordataire en Normandie, avec des points forts dans le Cotentin et à Rouen, durables malgré de vives divisions internes sur
la conduite à tenir face aux autorités romaines.

– Dans un tout autre contexte géographique, une résistance anticoncordataire se maintint fort vigoureuse dans quelques régions méridionales, souvent dans des campagnes reculées et propices à la clandestinité : diocèses de Cahors et d’Agen, région de Pamiers et de Tarbes, nord de l’Aveyron, Hautes-Alpes… En outre, à Toulouse même, quelques juristes adhérèrent au mouvement, lui apportant (comme à Lyon) leur compétence et leur autorité intellectuelles…

– Enfin, en Belgique, une dissidence originale s’établit à partir de la haute figure de Mgr Comelis Stevens, vicaire capitulaire de Namur, bête noire de la police de Fouché, qui fut l’âme de la résistance à Napoléon, exerçant avec intrépidité un ministère clandestin fort important jusqu’à la chute de l’Empire. Bien que Stevens lui-même, dès 1814, se fut rallié sans hésitation aux cadres de l’Église concordataire, le mouvement d’opposition qui se maintint après lui fut néanmoins dénommé le « stévenisme ». En Belgique, la question de la démission forcée des évêques ne se posait pas (tous les sièges étant vacants lorsque le Concordat fut imposé) ; néanmoins, le refus des « Articles organiques », frauduleusement ajoutés au Concordat par Napoléon, cristallisa une opposition fort vive du clergé et des fidèles – opposition qui perdura chez quelques-uns même après la chute de l’Aigle. Tout à l’opposé des dissidents lyonnais teintés de jansénisme et de contestation de l’autorité romaine, la dissidence belge, au moins dans ses premières années, était constitué de catholiques champions des droits du St-Siège contre les empiétements du pouvoir civil. Sans prêtre depuis 1840, un petit noyau, en Brabant (spécialement dans la ville de Haï) persista dans son rems de rentrer dans le rang, et se maintint jusqu’en plein XXe siècle, mais entre-temps, conscients de la faiblesse de leur position, les « stévenistes » avaient fini, comme d’autres, par se rapprocher des dissidents lyonnais – car ces derniers avaient la réputation d’être les « têtes pensantes » du mouvement anticoncordataire – et aussi de ceux des Deux-Sèvres.

Tentatives de rapprochement au cours du XIXe siècle

Multiforme et fort diversifié apparaissait donc le petit monde des catholiques anticoncordataires vers 1850 ! Et c’était vrai également sur le plan doctrinal : toute sorte de positions, des plus sévères aux plus accommodantes, avaient pu être tenues par les uns ou les autres. Quelques-uns restaient fidèles aux anathèmes proclamés sous l’Empire par les plus sévères des prêtres résistants (tel l’ex-dominicain Chaix, à Lyon, auteur d’un très pugnace Catéchisme sur le Concordat) ; ceux-là vouaient aux gémonies prêtres et evêques concordataires, et jusqu’au Souverain Pontife… Néanmoins, les positions doctrinales connurent à la longue un certain alignement sur celles du groupe lyonnais : d’une part, les anticoncordataires les plus virulents virent leurs effectifs fondre avec le temps ; d’autre part, dans le monde rural, qui constituait la grosse majorité des troupes dissidentes, les fidèles dépourvus de prêtres prenaient conscience de leur insuffisance en matière canonique et théologique, et ils suivirent finalement les positions de ceux qui apparaissaient comme les plus compétents : les pieux et savants laïques lyonnais évoqués plus haut.

Mais pour beaucoup de dissidents, au milieu du XIXe siècle, la rupture était une tragédie : ils avaient connu l’époque où ils trouvaient encore des prêtres selon leurs vœux, et ils aspiraient à retrouver la vie sacramentelle normale… Ils y mettaient toutefois une condition inacceptable par leurs interlocuteurs : que la hiérarchie de l’Église reconnût la justesse de leur combat. Leurs espoirs pourtant, étaient assez conforme aux derniers écrits de leur grand soutien épiscopal, Mgr de Thémines – souvent nommé dans notre étude. Peu avant de mourir en 1829, l’évêque non démissionnaire de Blois avait en effet rédigé deux opuscules à l’adresse du pape et des évêques orthodoxes (entendons : des evêques fidèles à la vraie doctrine), dans lesquels il faisait appel à un concile œcuménique pour obtenir gain de cause.

Quelques-uns, désolés de se trouver privés des sacrements, eurent l’audace ou la simplicité de s’adresser directement au pape. En 1840, deux chefs des « Enfarinés » du Rouergue furent reçus par Grégoire XVI, qui ne se montra pas particulièrement bienveillant, mais les convainquit de se soumettre : à moyen terme, l’épisode entraîna la réconciliation avec l’Église officielle des deux-tiers de ces Aveyronnais. A Courlay même, épicentre de la dissidence de l’Ouest, le forgeron François Marillaud, beau-frère du chef des dissidents Philippe Texier, écrivit à Grégoire XVI en 1842, et fit bientôt sa soumission, suivi par (seulement) quelques dizaines de ses coreligionnaires… Et au début de son épiscopat, le jeune et zélé Mgr Pie (évêque de Poitiers de 1849 à 1880), fort de ses convictions contrerévolutionnaires affichées, crut facilement venir à bout de cette importante résistance qui marquait son diocèse. Les résultats, surtout à Courlay, ne furent pas à la hauteur de ses espérances, et cela, en partie à cause de son manque de tact. L’ensemble de l’épiscopat et du clergé concernés, de fait, manifestaient une incompréhension, pour ne pas dire un mépris certain, envers ces ouailles marginales… Néanmoins, malgré les déconvenues, les dissidents – du moins, les plus instruits d’entre eux ne renonçaient pas à défendre leurs positions.

Quelques années plus tard, une occasion sérieuse allait se présenter : le concile du Vatican, prévu pour 1870. Les principaux groupes anticoncordataires, à cette époque, avaient donc oublié ou fait taire leurs différences ; leurs effectifs commençaient à s’amenuiser, et entre le Bressuirtais et le Lyonnais, des liens s’étaient créés. En 1869-1870 donc, les chefs du mouvement lyonnais, sans nul doute les plus aptes pour ce faire, rédigèrent un « Mémoire explicatif», bref mais très travaillé, pour présenter leur cause aux Pères du Concile qui allait se réunir autour du successeur de Pierre. Les Deux-Sévriens approuvèrent ce mémoire et cette démarche. Deux délégués lyonnais, Marius Duc et Jacques Berliet, soutenus par Mgr Callot, un ancien curé de Lyon devenu évêque d’Oran, apportèrent personnellement au secrétariat du concile, à Rome, en 700 exemplaires, ce mémoire, auquel ils avaient adjoint les « Réclamations respectueuses » des evêques réfugiés a Londres en 1803, charte de leur mouvement. L’initiative ne fut pas repoussée ; et même, il se trouva quelques évêques, entre autres dans l’épiscopat hongrois, pour accueillir leur requête avec un bienveillant intérêt. Lors des débats, l’archevêque de Malines Mgr Deschamps, directement concerné en raison des Stévenistes de son diocèse, invita l’assemblée à déclarer schismatiques ces contestataires, et à affirmer clairement que le pape a le pouvoir de prendre, pour le bien de la religion, des moyens extraordinaires (telle que fut la démission ordonnée à l’ensemble de l’épiscopat français). Tout au contraire, l’évêque de Luçon Mgr Colet, insista sur la loyauté des dissidents, et sur le caractère surtout politique de leur opposition, qui pourrait être levée avec quelque bienveillante formule d’accord ; plusieurs autres évêques abondèrent dans ce sens… Mais le concile, comme l’on sait, dut s’interrompre brutalement en août 1870, sans avoir statué à leur sujet.

La définition de l’infaillibilité pontificale n’aurait pas dû laisser grand espoir aux anticoncordataires, car indirectement, elle donnait raison au pape qui avait signé le Concordat au début du siècle. Pourtant, les contacts entre Rome et quelques dissidents allaient se poursuivre. Il est vrai que, d’après le témoignage de Marius Duc, Mgr Callot avait l’assurance que les Pères du Concile préparaient une lettre très accommodante à l’intention des dissidents auxquels hommage aurait été rendu… Ce qui est sûr, c’est que deux des principales figures du mouvement, Marius Duc à Lyon et Joseph Bertaud à Courlay, continuèrent à défendre leur cause avec des autorités ecclésiales, et qu’un quart de siècle, après mûres réflexions, ils acceptèrent de réintégrer l’Eglise officielle. Ce nouvel épisode méritera d’être détaillé dans un prochain article.

(à suivre)

Père Damien-Marie (Fraternité de la Transfiguration – Mérigny)

Source : La Simandre,
Fraternité de la Transfiguration,
Le Bois 36220 MÉRIGNY,
02 54 37 40 04
Renseignements : https://transfiguration.over-blog.com/

(1) Les autres articles sur la « Petite Eglise » anticoncordataire :

La « Petite Église » anticoncordataire : une nébuleuse religieuse – Première partie
La « Petite Église » anticoncordataire : une nébuleuse religieuse – Deuxième partie

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