Quarante ans après la mort d’Hergé (1907-1983), Tintin reste l’un des personnages de BD les plus populaires.

Tintin, une passion qui rassemble les générations  : en premier lieu, le succès d’Hergé est celui de Tintin. Ses aventures ont été éditées à plus de 200 millions d’exemplaires, et traduites en plus de quarante langues dont le patois, le picard et le savoyard…

A l’occasion de cet anniversaire, nombres d’entretiens vidéos, d’articles sont parus, mais un article a retenu mon attention tout particulièrement. C’est à Philippe Conrad que je dois de l’avoir découvert. Il est signé Dominique Petifaux, est paru dans l’encyclopédie Universalis. Tout y est, avec précision,  style et anecdotes intéressantes sur Hergé, sa vie, son œuvre et ses différentes interprétations.

Pour cet anniversaire, Livres en Famille a fait paraître une infolettre originale sur Hergé 

“Du général De Gaulle, qui selon André Malraux dans Les Chênes qu’on abat, déclara : « Mon seul rival international, c’est Tintin ! », au philosophe Michel Serres, qui écrivit : « J’ai plus appris en théorie de la communication dans Les Bijoux de la Castafiore que dans cent livres théoriques mortels d’ennui et stériles de résultats », les témoignages abondent sur la place exceptionnelle que l’œuvre d’Hergé a occupée dans l’imaginaire collectif de la seconde moitié du xxe siècle. Aucune autre bande dessinée au monde n’a été aussi commentée, n’a fait l’objet d’autant d’ouvrages – un phénomène éditorial seulement comparable, dans le domaine de l’histoire culturelle contemporaine, à la masse de livres sur les Beatles publiés dans les pays anglo-saxons.

Le créateur qui influença le plus la bande dessinée francophone, le Belge Georges Remi, dit Hergé, est né le 22 mai 1907 à Bruxelles. Ses premiers dessins sont publiés dès 1922, et c’est en 1924 qu’il adopte son pseudonyme, formé à partir de ses initiales inversées (R.G.). Très engagé dans le scoutisme, il publie de 1926 à 1929, dans le mensuel Le Boy-Scout belge, Les Extraordinaires Aventures de Totor, chef de patrouille des Hannetons, récit naïf, avec le texte placé sous l’image, sur les tribulations en Amérique d’un jeune chef scout qui préfigure Tintin.
En 1928, le quotidien bruxellois Le XXe Siècle demande à Hergé de créer un supplément hebdomadaire pour la jeunesse. Dans ce journal catholique, très marqué à droite (où Hergé se lie un moment avec un reporter, le futur chef fasciste Léon Degrelle), Hergé lance Le Petit Vingtième, et y dessine à partir du 10 janvier 1929 une histoire – avec, cette fois, le texte dans des bulles –, Tintin au pays des Soviets. Avec les aventures satiriques du jeune journaliste Tintin et de son chien Milou dans la Russie stalinienne, Hergé vient de créer, à son insu, la bande dessinée qui deviendra le grand classique européen du genre.
En 1930, au terme de ce premier épisode, la direction du journal demande à Hergé d’envoyer son reporter fictif au Congo belge, afin d’y exalter l’œuvre des missionnaires : c’est Tintin au Congo (1930-1931), récit souvent jugé raciste par la suite, mais que personne alors ne perçut comme tel. Après la satire du communisme, Hergé se moque dans Tintin en Amérique (1931-1932) du capitalisme, autre contre-modèle de l’extrême droite chrétienne. Puis il s’éloigne de l’esprit burlesque de ces trois épisodes initiaux dans Les Cigares du pharaon (1932-1934), marqué par l’irruption du fantastique et la création de la paire de détectives stupides, Dupond et Dupont, et surtout dans Le Lotus Bleu (1934-1935), sa première œuvre maîtresse, défense et illustration de la Chine, brutalement occupée par le Japon. Après les aventures sud-américaines de L’Oreille cassée (1935-1937) et écossaises de L’Île Noire (1937-1938), Hergé revient à une veine plus politique dans Le Sceptre d’Ottokar (1938-1939), inspiré par l’annexion de l’Autriche par Hitler (le dictateur s’appelle Müsstler, contraction de Mussolini et Hitler).
Durant l’occupation de la Belgique, c’est le grand quotidien bruxellois Le Soir qui poursuit la publication de la série. Dans Le Crabe aux pinces d’or (1940-1941), Tintin rencontre un personnage si truculent qu’il finira par être quelque peu éclipsé par lui : le capitaine Haddock, ivrogne au grand cœur. Dans l’Étoile mystérieuse (1941-1942) les « méchants » sont des juifs new-yorkais. Le diptyque constitué par Le Secret de la Licorne (1942-1943) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1943), généralement considéré comme l’un des sommets de l’œuvre, voit l’apparition du professeur Tournesol, savant génial, sourd et distrait. La libération de la Belgique interrompt jusqu’en 1946 Les Sept Boules de cristal (la première partie est publiée en 1943-1944, la seconde en 1946), mais aussi la carrière d’Hergé, à qui l’on reproche sa participation au Soir, dont certains articles étaient ouvertement pro-nazis. Pendant deux ans, les éditeurs de journaux le tiennent à l’écart, ce qui provoquera en lui un traumatisme durable et des périodes de dépression
Hergé réapparaît en 1946 dans le premier numéro du journal Tintin, lancé par les éditions du Lombard, dont le responsable, Raymond Leblanc, est un ancien résistant qui prend la défense d’Hergé, dont le retour suscite l’hostilité de certains députés. L’hebdomadaire, qui aura une édition française à partir de 1948, va publier en feuilleton tous les épisodes suivants, réalisés à partir de 1950 avec des assistants, principalement Bob De Moor et Jacques Martin qui prennent la suite de E. P. Jacobs, avec lequel Hergé avait travaillé de 1943 à 1947 (l’importance du mystérieux Jacques Van Melkebeke, qui collabora à la même époque aux scénarios d’Hergé, avant de participer à ceux de Jacobs, ne sera longtemps connue que de quelques initiés). Neuf épisodes vont ainsi se succéder dans « le journal des jeunes de 7 à 77 ans ». Le Temple du Soleil (1946-1948) se déroule chez les Incas, Tintin au pays de l’or noir (1948-1950, commencé en 1939-1940 dans Le Petit Vingtième) évoque un Proche-Orient déchiré (la première version montre notamment des soldats britanniques aux prises en Palestine avec des militants sionistes), Objectif Lune (1950-1952) et On a marché sur la Lune (1952-1953) anticipent avec réalisme l’exploration spatiale, L’Affaire Tournesol (1954-1956) est typique de la « guerre froide » (la Bordurie fasciste du Sceptre d’Ottokar est devenue un État stalinien). Après Coke en stock (1956-1958), qui rassemble beaucoup de personnages en une multiplicité d’intrigues entremêlées, Hergé donne son histoire la plus dépouillée : Tintin au Tibet (1958-1959), une de ses grandes réussites, correspond à une crise intime, due notamment à une nouvelle orientation de sa vie conjugale (les neiges de l’Himalaya représenteraient la nostalgie et les impasses de la pureté). Les Bijoux de la Castafiore (1961-1962) est une anti-aventure (Hergé joue avec le lecteur : malgré les apparences, rien ne se passe). Enfin, Vol 714 pour Sydney (1966-1967) et Tintin et les Picaros (1975-1976) sont des histoires décalées, où Hergé se moque subtilement de ses personnages. À sa mort, le 3 mars 1983 à Bruxelles, il laisse l’ébauche d’un vingt-quatrième épisode, Tintin et l’Alph-Art, qui sera publié en l’état en 1986. Outre Tintin, Hergé est l’auteur de Quick et Flupke, une série sous-estimée sur les espiègleries de deux gamins de Bruxelles, née dans Le Petit Vingtième en 1930 (l’auteur, plus libre que dans Tintin, y joue parfois avec les codes de la bande dessinée), ainsi que de Jo, Zette et Jocko, une bande mineure créée en 1936 pour l’hebdomadaire français Cœurs Vaillants.
La source graphique de Tintin se trouve dans les premiers albums de Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan : à celui qui est alors son modèle, et qu’il ira voir à Paris en 1931, Hergé emprunte la technique de la bulle, le goût d’un dessin immédiatement compréhensible, à la fois réaliste et épuré des détails inutiles – ce que l’on baptisera un demi-siècle plus tard la « ligne claire » – et même plusieurs gags. Mais il apporte, dès Les Cigares du pharaon, la cohérence narrative dont Saint-Ogan ne s’est jamais soucié, et une telle diversité de thèmes que l’on peut s’interroger sur l’unité de la série : à part la présence de Tintin et Milou, il n’y a guère de rapports entre les univers du Lotus Bleu (aventure historique), d’On a marché sur la Lune (récit de science-fiction) ou des Bijoux de la Castafiore (comédie de situation). Ces univers apparemment distincts traduisent en fait l’évolution de leur créateur, du monde encore puéril de Tintin au pays des Soviets (Hergé a alors vingt et un ans) à celui de Tintin et l’Alph-Art, où l’auteur, septuagénaire, aborde le sujet qui le passionne alors : l’art moderne.
Contrairement aux interminables séries où la succession des épisodes n’est qu’une simple accumulation, sans progression interne, la suite des albums de Tintin, parce qu’elle correspond au cheminement intellectuel et artistique de toute une vie, renvoie le lecteur à l’évolution intime d’Hergé et, au-delà, à la réalité ultime : le temps.
L’ampleur du succès de Tintin (plus de 200 millions d’albums vendus, en environ quatre-vingts langues ou dialectes) et la variété des points de vue sous lesquels l’œuvre peut être analysée (historique, idéologique, ésotérique, psychanalytique, sémiologique, esthétique, bibliophilique…) ont provoqué des études pléthorique (plus de deux cents ouvrages), complémentaires ou contradictoires. Le « reporter du Petit Vingtième » est devenu une figure emblématique du XX° siècle. Ouvert en 2009, le musée Hergé à Louvain-la-Neuve (Belgique) rend hommage au créateur de Tintin. D. Petitfaux.

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