La guerre russo-ukrainienne en cours pourrait se définir à certains égards comme une guerre fratricide. Après la chute du mur de Berlin en 1989, le grand écrivain et penseur russe, Alexandre Soljénitsyne publia un ouvrage Comment réaménager notre Russie, réflexions dans la mesure de mes forces dans lequel il exposait ses réflexions destinées à protéger l’avenir d’une telle déchirure.

Dans le premier passage intitulé Adresse aux Grands-Russiens, Soljenitsyne prend position contre le retour à l’empire en arguant que la Russie post-soviétique n’a pas « de forces à consacrer aux marches, ni forces économiques ni forces spirituelles ». Et d’en appeler à la mesure :

« Nous n’avons pas de forces à consacrer à l’Empire ! Et nous n’avons pas besoin de lui : que ce fardeau glisse donc de nos épaules ! Il use notre moelle, il nous suce et précipite notre perte. (…) Nous ne devons pas chercher à nous étendre large, mais à conserver clair notre esprit national dans le territoire qui nous restera. »

Dans le chapitre intitulé Adresse aux Ukrainiens et aux Biélorusses, l’écrivain russe rappelle les liens indéfectibles si profondément enracinés dans l’histoire qui unissent ces deux régions qu’il serait malheureux qu’ils se brisent.  Lui-même presque à moitié ukrainien tout en étant Russe, ce n’est donc pas de l’extérieur dit-il qu’il s’adresse aux uns et aux autres, « mais comme l’un des leurs » pour remémorer leur histoire commune :

« Notre peuple n’a été, du reste, séparé en trois branches que par le terrible malheur de l’invasion mongole et de la colonisation polonaise. C’est une imposture de fabrication récente qui fait remonter presque jusqu’au IXe siècle l’existence d’un peuple ukrainien distinct, parlant une langue différente du russe. Nous sommes tous issus de la précieuse ville de Kiev « d’où la terre russe tire son origine », comme le dit la Chronique* de Nestor, et d’où nous est venue la lumière du christianisme. (…) C’est le peuple de la « Rous » de Kiev qui a créé l’État de Moscovie. Englobés dans la Lituanie et la Pologne, Blancs-Russiens et Petits-Russiens restèrent conscients de leur identité russe et luttèrent pour n’être ni polonisés ni catholicisés. Le retour de ces terres dans le sein de la Russie fut senti par tout le monde, à l’époque, comme une Réunification. »

Face à « l’auto-détermination » de la nation qui est évoqué en cette fin de l’ère soviétique il en appelle à une consultation « du peuple tout entier » :

« Détacher aujourd’hui l’Ukraine, ce serait couper en deux des millions de familles et de personnes, tant la population est mélangée ; des provinces entières sont à dominante russe ; combien de gens auraient du mal à choisir entre les deux nationalités ! combien sont d’origine mêlée ! combien compte-t-on de mariages mixtes que personne ne considérait jusqu’ici comme tels ! Dans l’épaisseur de la population de base, il n’y a pas la plus petite ombre d’intolérance entre Ukrainiens et Russes.

« Frères ! Ce cruel partage ne doit pas avoir lieu ! C’est une aberration née des années de communisme. Nous avons traversé ensemble les souffrances de la période soviétique : précipités ensemble dans cette fosse, c’est ensemble que nous en sortirons. (…) La voie doit être ouverte toute grande à la culture ukrainienne et biélorusse non seulement sur le territoire de l’Ukraine et de la Russie Blanche, mais aussi, cordialement et joyeusement, sur celui de la Grande-Russie. Pas de russification forcée (mais pas non plus d’ukrainisation forcée, comme on en a connu à la fin des années vingt), un développement sans entraves de nos cultures parallèles, et la classe faite dans l’une ou l’autre langue au choix des parents. »

Il concluait cette Adresse par cette mise en garde qui sonne si juste aujourd’hui :

« Bien entendu, si le peuple ukrainien désirait effectivement se détacher de nous, nul n’aurait le droit de le retenir de force. Mais divers sont ces vastes espaces et seule la population locale peut déterminer le destin de son petit pays, le sort de sa région, — et chaque minorité nationale qui se constituerait, à cette occasion, à l’intérieur d’une unité territoriale donnée, devrait à son tour être traitée sans aucune violence. »

Un conseil qui ne fut pas suivi par les autorités ukrainiennes ce qui suscita chez lui une dénonciation de la « répression et la persécution fanatiques » par les autorités ukrainiennes de la langue russe, privée du statut de deuxième langue officielle d’Etat, déclassée en langue étrangère ou facultative, bannie des médias et du système scolaire, alors que « au-delà des 60% de la population la reconnaissent comme leur langue principale ».

 « L’erreur oppressive de l’Ukraine, déclara encore le prix Nobel, consiste précisément dans l’agrandissement à outrance sur des terres qui ne lui avaient jamais appartenu avant Lénine, à savoir les deux oblasts de Donetsk, toute la ceinture sud de la Novorossie (Melitopol-Kherson-Odessa) et la Crimée. Accepter le cadeau de Khrouchtchev (de Crimée, en 1954, ndlr) n’était pour le moins pas très consciencieux. La concession méprisante de Sébastopol, sans même mentionner les victimes russes, les documents juridiques soviétiques, n’est rien de plus qu’un vol d’État. »

Il entrevit dès ce temps-là le jeu pervers des Etats-Unis dans ce positionnement anti-russe de l’Ukraine :

« La position anti-russe de l’Ukraine est exactement ce dont les États-Unis ont besoin. Les autorités ukrainiennes sont heureuses de soutenir l’objectif américain d’affaiblissement de la Russie. »

Et il prophétisa ce qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux :

« En aucune circonstance, la Russie n’osera en aucun cas trahir indifféremment les plusieurs millions de Russes qui peuplent l’Ukraine, renoncer à notre unité avec eux. »

Des mots qui résonnent dans les premiers mots du discours de Vladimir Poutine le 21 février 2022 :

« … Je voudrais souligner une fois de plus que l’Ukraine n’est pas seulement un pays voisin pour nous. Elle fait partie intégrante de notre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel. Ce sont nos amis, nos parents, non seulement nos collègues, amis et anciens collègues, mais aussi nos parents et membres de la famille proche. Depuis l’Antiquité, les habitants des terres historiques du sud-ouest de l’ancienne Russie se disaient russes et orthodoxes. C’était comme ça avant le XVIIe siècle, lorsque des parties de ces territoires ont été réunies à l’État russe, et après … “

C’est la pensée russe intégrale sur l’Ukraine.

Trente ans d’indépendance, et un regard tourné vers l’Occident comme modèle auront-ils à donner naissance à une « identité » ukrainienne ? La guerre actuelle et l’après-guerre le diront.

Francesca de Villasmundo

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