Aux amateurs d’histoire militaire et à ceux qui veulent connaître la place et les particularités du soldat indigène dans l’armée coloniale, conseillons de ne pas perdre leur temps avec le mauvais film d’Omar Sy sur les tirailleurs mais de se plonger plutôt dans le très intéressant numéro de la Revue historique des armées consacré au soldat indigène en temps qu’auxiliaire indispensable aux empires au XIXe et XXe siècles.

Il y a beaucoup à faire pour mieux connaître les réalités coloniales, la diversité et la complexité des situations qu’elles recouvrent. Ce dossier offre un panorama des rapports aux soldats indigènes, de l’Afrique à Shangaï en passant par l’Indochine. Les armées françaises – comme d’autres armées engagées dans le processus de colonisation – levèrent des troupes autochtones dans les diverses colonies qu’elles conquièrent. Rapidement, ces troupes furent constituées en unités de l’Armée française : Zouaves, Spahis, Tirailleurs Algériens, Marocains, Tunisiens, chasseurs algériens, Goumiers, compagnies sahariennes qui dépendent de l’Armée d’Afrique. Il en va de même pour celles affiliées aux Troupes de Marine puis en 1900 aux Troupes  coloniales : tirailleurs sénégalais, bataillon somali, méharistes, spahis sénégalais et cochinchinois, tirailleurs annamites, tonkinois, Sakalaves, Malgaches, chasseurs annamites et laotiens, bataillon du Pacifique, etc. Sans compter les innombrables troupes auxiliaires et partisans qui appuient les conquêtes coloniales. Ces troupes sont évidemment une succession d’individus avec des parcours très différents. Certains sortent complètement du lot, comme le colonel Mouloud (lieutenant en 1942) sortant de l’école des officiers de Meknès ou le capitaine-aviateur Dô Hûu Vi, saint-cyrien et pionnier de l’aviation militaire, qui s’illustra lors de la Grande Guerre.

La Revue historique des armées a fait le choix de se limiter au XIXe et XXe siècles tant le sujet est immense. Sujet peu connu, la place des femmes dans les colonnes des tirailleurs sénégalais fait l’objet d’un article qui montre comment les autorités militaires coloniales ont pratiqué des accommodements avec le règlement, avec d’excellents résultats à la clé. Un autre article examine la place des soldats indigènes dans la Force publique dans les premiers temps de l’Etat indépendant du Congo (1885-1900) mis en place par Léopold II, roi des Belges. La Force noire, titre d’un livre du général Mangin, fait également l’objet d’une analyse. Partant de la composition raciale des régiments de tirailleurs durant la conquête du Soudan français, l’étude se propose d’éclairer l’émergence du Bambara en tant que “support privilégié” du discours métropolitain et colonial relatif aux “races guerrières”.

Mention spéciale pour l’article sur les tirailleurs tonkinois. Dès sa première intervention terrestre sur les côtes d’Indochine, à Tourane en 1858, la France peut s’appuyer sur des unités formées de soldats asiatiques, chrétiens locaux fuyant les persécutions, troupes tagals hispano-philippines ou Chinois recrutés à Shangaï. La prise de possession de la Cochinchine perpétue les pratiques de recrutement local, qui culminent avec la formation en 1879 du régiment de tirailleurs annamites, né de la rencontre d’une tradition militaire incarnée par le bataillon indigène de Cochinchine, et de l’apport en hommes des milices organisées dès la prise de Saigon en 1859.

Egalement méconnu, le rôle des Vietnamiens dans la police de la Concession française de Shangaï de 1907 à 1946. C’est au tournant du XXe siècle lors de la Révolte des Boxers (1899-1901) et après la Première guerre mondiale, lorsque les hommes sont mobilisés, que la police intègre systématiquement des Vietnamiens dans ses forces. Qui s’imaginerait par vailleurs que la population de la Concession française de Shangaï en 1942 comptait 13.997 Russes ?

Très intéressant aussi, cet article sur les tabors marocains. Leur emploi a été privilégié lors des combats dans les Abruzzes, en Italie, en 1943-1944. Mais les troupes coloniales, et les goumiers en particulier, vont être accusés d’avoir semé la terreur – pillages, meurtres et viols – parmi la population italienne. “Par instinct, le goumier est pillard; il ne sait pas s’installer avec aisance dans la vie d’occupation comme le font les troupes métropolitaines”, écrit le capitaine Renevier, chef de corps du 89e Goum, le 28 mai 1945. Mais l’article nous apprend que ces pratiques ont initialement été tolérées voire encouragées par le commandement français, que ce soit en Italie, en Allemagne ou encore en Algérie en 1945. Des tirailleurs maghrébins accusés de viols en Allemagne se verront proposer le choix entre l’Indochine et le tribunal militaire.

Enfin, un article hors dossier vaut également le détour. Il décrit les relations entre la Grèce et la France dans le domaine militaire. Le premier contact substantiel entre les deux nations date de 1797, lorsque les îles Ioniennes furent placées sous occupation française. Ensuite, pendant les guerres napoléoniennes, de nombreux officiers grecs vivant en France furent des officiers de la Grande Armée. Peu après, la lutte pour l’indépendance de la Grèce face à l’oppresseur ottoman offrit une occasion à la France de démontrer ses sentiments philhelléniques.

La Revue historique des armées mérite incontestablement l’attention des amateurs d’histoire militaire !

Le “soldat indigène”, Revue historique des armées, 144 pages, 15 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

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