La cité antique a connu ses prédicateurs. Par respect de leurs divinités païennes respectives, Athènes ou Rome développèrent la prédication sur l’agora ou le forum, une prédication propre à instruire la foule, à l’informer, à la sensibiliser aux besoins de la cité ou même à la divertir et à l’émouvoir. L’agora et le forum n’étaient pas seulement ces lieux de passage ou d’errance de la population urbaine ou péri-urbaine ; ils n’étaient pas seulement ces lieux d’échanges de commerce ou d’arrangements juridiques, ils étaient aussi ces espaces politiques et culturels, placés sous l’égide des dieux, que venaient animer de leur talent d’éloquence les chantres de la langue attique que l’on appellera plus tard l’atticisme[1]. Lysias et Démosthène, en Grèce, l’avocat et sénateur Cicéron, à Rome, excellèrent dans ce genre intellectuel, non sans peine ni labeur, mais pour le bonheur de la pensée politique, sociale et philosophique de leur temps. Ils enseignaient par plaisir. Par plaisir des dieux, par plaisir de l’humain.

Ce genre a perduré dans ces termes jusqu’à la chute de l’Empire romain. Mais, bien avant la chute de celui-ci, il a pris une autre couleur et une dimension autrement plus divine et religieuse avec l’avènement de NSJC, le prédicateur suprême, qui n’eut pas pour but de plaire à la pensée humaine mais de la porter vers son salut. L’enseignement du Christ, le logos divin incarné, fit de la prédication non un art oratoire, fut-il circonstancié, mais une force visant à faire ployer l’âme de son auditeur pour la conduire vers les hauteurs de l’ « Ego sum qui sum » (Exode 3,14). Sa prédication devint « évangélique ». Elle devint le sursaut de la pensée humaine pour la convertir à la béatitude éternelle ; elle devint la lumière de l’intelligence humaine pour l’affranchir de sa servitude terrestre. Notre Seigneur enseignait par amour. Par amour de Dieu, par amour de l’homme, sa créature.

Le talent oratoire combiné à la précaution du logos divin fit des prodiges sous le Bas-Empire. En dignes héritiers du Christ, un St Jean Chrysostome, le bien nommé, et un St Augustin, le converti, laissèrent des paroles et des écrits qui assurèrent à la prédication la place qu’elle devait occuper dans des sociétés grecques et latines rongées par les tumultes de la vie intellectuelle et spirituelle.  Le christianisme lui-même blessé par des désordres nombreux et des hérésies nombreuses exigeait de solides prédicateurs. Ils s’élancèrent et ils vainquirent les séditieux. Ils s’exposèrent et ils calmèrent les tumultes. C’est dans des occasions si agitées que la prédication prend de l’ampleur et qu’elle s’affirme comme un recours.

Le Moyen-Âge encore a poursuivi la prédication face aux agressions barbares et à la percée mahométane. St Jérôme, St Grégoire le grand, St François d’Assise, Pierre l’Hermite, St Bernard de Clairvaux, St Dominique, tous ces hommes libres devant Dieu tinrent l’olifant du praedicatum devant l’adversité du monde nordique ou eurasiatique, devant le manichéisme religieux et la fulgurance musulmane. Sans éradiquer le mal dans sa substance, la prédication le tient à distance, elle le muselle ; elle lui fait taire ses imprécations ou lui pardonne ses excès dès lors qu’ils sont regrettés.

Puis il y a eu la renaissance et Luther, et St Pie V et St Charles Borromée pour le faire taire. Sans y parvenir hélas ! Puis la Révolution et l’Empire et Pie VI, Pie VII pour leur résister. Puis le matérialisme athée, le libéralisme et le modernisme, et Pie IX, Léon XIII et St Pie X pour les condamner. Par la prédication, toujours la prédication ! Car la prédication ne s’embarrasse pas de fausses vertus, elle ne s’enferme pas dans une séparation incongrue du spirituel et du temporel. Elle vise les deux car le premier anime le second à l’image d’un corps qui meurt sans l’âme qui le meut.

Et aujourd’hui, où en sommes-nous de la prédication ? Notre pays ne souffre-t-il donc aucun tumulte, aucune avanie intellectuelle ou morale pour se départir de toute prédication ? De quel banc de l’hémicycle, de quelle chaire de l’université, de quel cénacle de la pensée doit-on attendre la moindre étincelle de prédication ? Pierre Manent, l’esprit le plus sympathique et le plus brillant de notre époque, ne parvient pas lui-même à convaincre, faute de prédication appropriée, un esprit aussi orphelin de foi et d’espérance catholique que celui d’un Alain Finkielkraut. Eh oui ! Incroyable ! Il faut écouter son entretien sur Répliques (France Culture), le 22 octobre 2022, à propos de son excellent essai sur « Pascal et la proposition chrétienne »[2] ! Il faut l’écouter balbutier lorsque Finkielkraut lui envie de croire et d’espérer en catholique ! Que manque-t-il donc à cet esprit aussi brillant pour louper la chance inouïe qui lui ait offerte de convertir une âme aussi inquiète devant la vieillesse et devant la mort ?

De quelle église et de quelle cathédrale doit-on espérer encore le moindre souffle de la prédication ? De quelle basilique ? Le pape lui-même, assis sur le trône de St Pierre, qui est-il désormais, ou plutôt qui n’est-il pas, pour se contenir dans le silence coupable ou la culpabilité silencieuse de la non prédication ? N’est-il pas le Vicaire du Christ, le continuateur terrestre du divin prédicateur, son Maître ? Nous savons, hélas, qu’il le nie et qu’il relègue ce titre prestigieux au rang des titres historiques tout juste bon à faire l’objet d’une note de bas de page…

En Paul VI, la papauté s’est mise à chanceler et à faire chanceler le monde ; en Jean-Paul II, la papauté s’est mise à chanter et à danser avec le monde ; en Benoît XVI, la papauté s’est mise à murmurer sur le monde ; en François, la papauté s’est mise à papoter. Tout simplement. Indignement. La papauté de François ne fait que papoter ! La papauté de François papote, comme il se doit, de tout, de rien, en tout lieu, en toute circonstance, sur le plancher des vaches et dans les airs ; elle a renoncé à son rôle. Et c’est parce qu’elle ne tient plus son rôle par la prédication que le monde déclame toutes sortes d’aberrations et proclame toutes sortes de scandales. Elle devient son complice.

Le nihilisme et sa culture de mort, l’écologisme et le totalitarisme vert, le transhumanisme et l’intelligence artificielle, sont les lieux même d’une prédication qui se tait, qui se tait sur la vie et l’intelligence de la vie.

Le temps de nouveaux prédicateurs est venu.

Gilles Colroy

[1] Eloquence de la langue de la péninsule attique dont la Cité-Etat phare est Athènes, et qui se développe dès le IVe s avant JC.

[2] « Pascal et la proposition chrétienne ». Essai, Pierre Manent. Editions Grasset, 426 p.

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