« Quitter Dieu pour aller aux pauvres, c’est trouver Dieu. »

St Vincent de Paul

Le 16 février dernier s’est achevée la IXe mission aux Philippines « Rosa Mystica », organisée par le Docteur Jean-Pierre Dickès et son association l’ACIM. Les cinquante-cinq volontaires étrangers et en tout plus de 155 personnes d’encadrement dont 19 militaires sont venus prêter main forte. Tout ce monde s’est réuni à Tacloban, comme l’an passé, pour continuer à soigner la population qui avait pu échapper au terrible typhon Yolanda. En huit jours, ils ont soigné pas moins de 3500 patients et en pratique fait plus de 6000 actes médicaux (dentisterie, électrocardiogrammes, infiltrations, sutures exérèses de kystes, lipomes etc).

C’est la première fois que nous venons de dix pays différents : en plus des Philippines et de la France, sont représentés la Malaisie, le Vietnam, Singapour, la Suisse, l’Allemagne, l’Irlande, l’Australie et les Etats-Unis. Nous avons douze médecins parmi lesquels trois pédiatres, un dermatologue, un dentiste et une ophtalmologiste. S’est ajouté les derniers jours un médecin commandant de l’armée philippine qui assurait d’ailleurs gratuitement une partie des déplacements.

Dès 7h, pendant que nous assistons à la messe, plusieurs dizaines de personnes attendent déjà devant l’astrodôme où nous avons installé un dispensaire de fortune. Les gens se rappellent qu’il y a un an, la mission était venue leur porter secours après le cataclysme. Aussi reviennent-ils volontiers car ils savent trouver là le réconfort physique et moral dont ils ont grand besoin.

Le rituel auquel sont habitués les volontaires recommence alors : les patients donnent leurs coordonnées puis entrent pour quelques vérifications générales (poids, tension, test de glycémie, etc.). Après quoi ils vont attendre dans la zone qui les concerne, pour consulter les médecins. Et pour finir, ils récupèrent quelques médicaments à la pharmacie.

Soins médicaux

Les pathologies majeures sont en lien avec la récente catastrophe, principalement parce que les gens se nourrissent très mal et n’ont pas d’argent pour aller chez le médecin. Beaucoup ont encore des syndromes de stress post-traumatique : anxiété, forts maux de tête, ou troubles du sommeil. Certains font des crises d’angoisse la nuit et revoient l’eau déferler sur la ville, détruire leur maison, noyer leurs proches.

De nombreux patients ont du diabète dû à la famine (le pancréas très peu sollicité ne fonctionne plus normalement), de l’hypertension artérielle à cause de l’anxiété, des lombalgies dues au gros travail de manutention pour tout déblayer. On trouve aussi des infections broncho-pulmonaires, des syndromes du canal carpien (surtout les lavandières et les conducteurs de tricycles), plusieurs cas de tuberculose, et parfois des cancers multiples.

Les maladies sont malheureusement plus variées que l’an passé. Certaines peuvent quand même se guérir, tandis que d’autres sont prises trop tard : ainsi, une femme qui vomit du sang a la tension tellement basse qu’elle manque de s’évanouir devant le docteur. Envoi d’urgence à l’hôpital pour prise en charge immédiate : son pronostic vital est engagé. Elle mourra deux heures plus tard. Une autre patiente de 66 ans accumule les problèmes : masse cervicale compressive, dysphagie et dyspnée depuis un an, perte de 10 kilos en peu de temps, thrombose veineuse à la jambe droite. Elle présente trop de symptômes qui laissent deviner un cancer. Seule solution : hospitalisation immédiate. Il y a aussi cette maman qui raconte à une pédiatre qu’elle a trouvé ce matin un ver de 7cm dans la bouche de sa petite fille. Une autre femme qui attend depuis quelques heures fait un malaise devant le médecin ; elle semble avoir de gros problèmes cardiaques. Aux urgences, on diagnostique une pneumonie, sans doute doublée de tuberculose.

D’autres malades souffrent de kystes ou de plaies mal soignées. Nous avons installé cinq box pour les interventions chirurgicales simples. L’hygiène est très précaire, sachant que la stérilisation des instruments ne peut se faire qu’à l’autre bout du bâtiment, dans une boîte métallique, sur le petit réchaud qui sert à faire bouillir l’eau du thé…

Notre dermatologue, un jeune américain très efficace et professionnel, tente une intervention délicate : un patient se présente avec une grosseur en bas de la joue, juste sous l’oreille. Le médecin lui fait une incision assez large, et réussit à en extirper une tumeur de 4cm de diamètre… Est-ce un cancer ? Il ne saurait le dire, mais il a au moins freiné la progression du mal.

Ces quelques exemples montrent la misère extrême qui règne encore là-bas ; les maladies se développent, sans pouvoir être soignées car les soins hospitaliers coûtent trop cher ; on survit donc comme on peut, et on meurt souvent prématurément.

Quand ils ont consulté, les patients doivent faire la queue devant la pharmacie pour y percevoir leurs médicaments. Vous n’imaginez pas le travail de fourmi industrieuse qui se répète plus de cent fois par jour : les préparatrices comptent la quantité exacte de comprimés pour chaque patient (il faut même parfois découper les comprimés en demi ou en quart), et notent les posologies en détail ; la pharmacienne en chef recompte et vérifie les ordonnances une à une ; puis deux militaires philippins font les interprètes pour expliquer aux gens comment bien prendre leurs médicaments. En huit jours, environ 12.000 médicaments auront été distribués, grâce à tous les dons qui ont permis d’en acheter autant. Merci aux nombreux bienfaiteurs !

Une question nous est posée fréquemment : Qui suit les malades après notre départ? Effectivement nous soignons et alimentons en médicaments les pauvres. Une remarquable femme médecin irlandaise est arrivée quatre mois avant la mission pour exercer bénévolement. Elle compte rester encore trois mois. De plus, nous gardons un dispensaire permanent depuis l’année dernière. De nos trois dispensaires, c’est celui qui « tourne » le plus.

Secours religieux

En parallèle des soins physiques, une équipe de la Légion de Marie s’occupe de nourrir les âmes, sous la direction de messieurs les abbés Stehlin, Marcille et Ghela.

Au milieu de l’astrodôme est installé l’autel où nous avons la messe quotidienne ; là aussi ont lieu de multiples bénédictions de scapulaires (quelques centaines chaque jour), et la récitation du chapelet avec les malades. Quelques enfants semblent habitués à prier, d’autres apprennent à s’agenouiller et joindre les mains. Les patients se joignent à l’Angelus.

Monsieur l’abbé Marcille part également à l’aventure à travers les rues, avec des scapulaires, des chapelets et de l’eau bénite. Il visite les zones les plus atteintes par le typhon, et constate l’état de désolation qui règne encore : les nouvelles constructions ne sont que des abris faits avec quelques poutres (vestiges des anciennes maisons) sur lesquelles sont fixées des tôles percées ou des planches de contreplaqué vite imbibées d’eau. L’abbé est d’abord dévisagé avec curiosité, puis accueilli comme le Messie ! Lui-même est admiratif de ce peuple qui garde une grande confiance en la Providence, malgré les dures épreuves qu’il subit. Après avoir béni les maisons, monsieur l’abbé propose un Ave Maria en commun, puis rappelle aux gens quelques notions de vie spirituelle : faire régulièrement ses prières, fuir le péché, et chercher à se mortifier par amour pour Dieu. Les habitants écoutent docilement, touchés qu’un prêtre européen vienne se pencher sur leurs souffrances ; l’abbé ne leur enlève pas la misère, mais il les aide à l’accepter avec joie pour leur salut.

Nous avons aussi la possibilité de visiter une maison d’arrêt, et d’y célébrer la messe pour les prisonniers. Trois volontaires accompagnent monsieur l’abbé Marcille, sous bonne escorte de l’armée. Un portail imposant s’ouvre pour nous livrer passage. Le directeur nous conduit dans un petit couloir entouré de grosses grilles derrière lesquelles attendent les détenus. Les femmes sont « en liberté », mais très tristes. Les hommes, en revanche, sont enfermés sous solide cadenas. Tous sont curieux de ce qui va se dérouler devant eux. L’abbé leur explique rapidement ce qu’est la messe, et leur dit qu’ils ne pourront pas communier ; le temps manque malheureusement pour faire une tournée générale de confessions.

C’est une messe bien émouvante à laquelle nous assistons, dans un cadre on ne peut plus dépouillé, avec des assistants qui n’ont sans doute pas prié depuis longtemps, mais sur qui le St-Esprit a voulu, aujourd’hui, déverser ses grâces. A la fin, à notre grand étonnement, beaucoup récitent avec nous un Ave Maria.

Bilan un an après le typhon

Pour bien comprendre le drame qui s’est abattu sur cette zone des Philippines en novembre 2013, il faut s’imaginer une tempête très violente, un vent avec des pointes de 300 km/h et une grande marée comme Saint-Malo même n’en a jamais connu. Trois vagues de dix mètres de haut ayant noyé toute la ville. Entraînée par le tourbillon du typhon, la première, gigantesque arrive de l’est, grossit à vue d’œil en taille et en puissance, avant de s’abattre avec fracas sur la côte comme un rouleau compresseur, écrasant tout sur son passage, et entraînant dans sa furie les bateaux qui mouillaient près du rivage.

La ville de Tacloban est sur la zone la plus touchée : sur 1.8 million d’habitants, les survivants nous parlent de 20.000 morts. Les dégâts sont incalculables, et les conséquences inimaginables. Au-delà du traumatisme émotionnel, il faut s’armer de courage pour déblayer les rues, enterrer les morts, soigner les blessés, construire des abris de fortune, trouver de quoi se nourrir, et survivre quand même. Les plans de la Providence dépassent souvent l’intelligence humaine, ils permettent un plus grand abandon en la Toute-Puissance de Dieu. Nous admirons ces populations qui ne se révoltent pas, mais ont plutôt soif de recevoir les secours de la religion. Au moment le plus critique, beaucoup de gens sans toit s’étaient regroupés à perte de vue autour de l’astrodôme pour avoir un peu d’eau, d’électricité, et de nourriture. Après quelques mois, il a bien fallu libérer le terrain, mais pour aller où ? Personne n’avait d’argent pour reconstruire, et les lieux d’habitation n’étaient pas encore dégagés. Les nouvelles constructions que nous avons vues cette semaine sont encore bien piteuses : des planches, des tôles, des poutres, tout cela sans dessus dessous, avec quelques vagues logements entre deux tas de détritus. L’état de panique est passé, mais pas la misère. Nous retrouvons encore plusieurs gigantesques bateaux échoués sur le rivage qui avaient été littéralement lancés sur les maisons. La vague a eu raison des énormes engins qui gisent là, témoins muets d’un drame récent. Il faudrait déployer des moyens surhumains et beaucoup d’argent, pour les extirper de là.

Des ONG sont venues au cours de l’année construire quelques villages de transition : ce sont environ 150 maisonnettes en bois de 10m2, avec trois pièces séparées par des tentures, une arrivée d’eau, mais pas d’électricité. Des familles de 5 à 8 personnes vivent dedans, ou plutôt se contentent d’y dormir. Ces mini baranguay (arrondissements) sont propres et bien faits, mais les gens sont vraiment entassés les uns sur les autres. Il ne peut s’agir que d’une solution provisoire. Seulement, le gouvernement semble ne pas beaucoup aider à la reconstruction : des zones entières sont toujours en ruine, beaucoup de personnes n’ont pas retrouvé de logement et vivent sous des tôles dans des bidonvilles, et vivent dans la crainte d’une prochaine catastrophe… Dès qu’il y a une grosse tempête, la panique envahit les esprits ; ainsi cette interprète d’un de nos médecins, qui commence à trembler et à pleurer lors d’une pluie diluvienne : elle croit revivre « Yolanda ».

Le travail est donc encore immense pour aider tous ces gens à retrouver un niveau de vie correct. Nous avons tenté, pendant huit jours, de les soigner, de les réconforter, et de les aider à accepter les desseins de la Providence, mais ils restent la plupart du temps livrés à eux-mêmes, et seuls face à leur extrême misère.

Jeanne de Vençay,

chargée de la communication de la mission

Les Philippins remercient tous les bienfaiteurs pour les nombreux dons qu’ils ont faits l’an passé. Ces dons ont permis d’envoyer très vite des médicaments, et d’organiser notre mission qui a coûté plus de 65.000 euros. Bien sûr, tous les volontaires et les patients remercient d’avance ceux qui continueront à aider régulièrement l’œuvre missionnaire de Rosa Mystica !

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Retrouvez aussi les reportages de La Porte Latine consacrés à la Mission Rosa Mystica :

http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journées des 7 et 8 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journée du 9 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journée du 10 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journée du 11 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journée du 12 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journées des 13 et 14 février 2015
http://laportelatine.org/images/puces/flechebleue.gif9ème Mission médicale Rosa Mystica – Journées des 15 et 16 février 2015

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