Pour fêter le centenaire de la canonisation de Sainte Jeanne d’Arc en date du 16 mai 1920 –

« La France, c’est le cœur d’une vierge aussi, une vierge qui dit oui à l’archange saint Michel dans les clairières de sa Lorraine natale. » 1

Dieu, qui pourrait accomplir toutes choses par lui-même, manifeste davantage sa puissance en se servant de ses créatures pour qu’elles soient les instruments de sa Providence. Il les honore en les employant en vue du gouvernement du monde. Ses anges et ses saints sont ses ministres sur la terre. Nous ne les voyons pas. Nous ne percevons pas leur présence et leur action. Et cependant, ils sont à nos côtés. La vie de sainte Jeanne d’Arc permet de bien mettre en relief le précieux concours qu’ils apportent aux hommes. Sa fugitive existence nous la montre presque constamment en présence de ses amis du Ciel car « La volonté de Dieu lui fut toujours signifiée par des intermédiaires. »2 Ici comme partout, elle nous apparaît comme un modèle de foi et de simplicité confiante. Mais plus encore, l’extraordinaire connaissance que nous recevons de ses rapports avec les anges et les saints, à travers les réponses qu’elle a laissées dans les interrogatoires et le procès qu’elle subit, nous permet de nous familiariser avec ce monde de l’au-delà et d’y entrer plus facilement. Dans ces lignes, notre désir est d’essayer de comprendre avec quelle perfection Dieu a sélectionné, parmi les myriades de ses anges et de ses saints, ceux qu’il a choisis pour accompagner Jeanne. Aussi, nous allons d’abord considérer le rôle discret mais exemplaire que tient saint Rémi dans la mission de la petite bergère de Lorraine. (1) Nous passerons ensuite au célèbre trio de ses « Voix » (2) et nous terminerons par quelques autres saints qui entrent aussi dans la constellation de ceux qui l’approchaient (3).

  1. De la mission de saint Rémy à celle de Jeanne :

«L’Eglise nota vigilamment, toujours, les signes prophétiques qui annoncèrent ou figurèrent les vertus et les destinées de ses saints : le rayon de miel, bâti par un essaim d’abeilles, dans la main d’Ambroise au berceau, gage des suavités de sa parole ; le chien que vit la mère de Dominique, avec une torche enflammée dans sa gueule, symbole de la lumière que porterait, à travers le monde, par soi-même et ses fils, le Père des prêcheurs, l’oracle du solitaire aveugle, Montanus, prédisant à Emilius et à Cilinia, déjà avancés en âge, la naissance de ce fils Rémi, qui baptisera Clovis et la France dans la cuve sacrée de Reims. »3

Et puisque voilà donc introduit saint Rémi, saisissons l’occasion pour évoquer, parmi les signes providentiels qui planent autour du berceau et de l’enfance de Jeanne, celui que nous fournit la toponymie de ce petit village de Lorraine précisément appelé « Domrémy » en l’honneur du grand archevêque de Reims. Non seulement le village porte son nom mais son église paroissiale lui est dédiée : « A l’exemple de bien d’autres paroisses, leur église est sous le patronage du grand saint, l’action évangélique de l’évêque de Reims étant sans doute venue toucher cette campagne meusienne, au temps où elle se laissait instruire de la nouvelle religion des Francs. »4 C’est donc sous le bienveillant regard de la statue de saint Rémi que, le jour même de sa naissance, fête de l’Epiphanie de l’année 1412, l’enfant sera tenue sur les fonts baptismaux de cette église.

La vision de Foi – la seule qui mérite pleinement d’être dite réaliste- appréciera à sa juste valeur ce signe qui marque la naissance et le baptême de celle dont la mission sera de conduire l’héritier des rois de France dans la ville des Sacres pour que l’huile de la Sainte Ampoule coule sur son corps et qu’il soit couronné roi de France. Ce sont ses Voix, à Domrémy, qui lui ont révélé le but de sa sainte entreprise : « Elle sauverait le pays, délivrerait Orléans et ferait sacrer le roi à Reims. »5

Jeanne a la haute intelligence théologique et politique de la signification et de l’efficacité spirituelle de cette consécration de l’héritier de Clovis : « La Pucelle a toujours été d’avis qu’il fallait aller à Reims pour consacrer le roi et donnait la raison de son avis, disant, que, une fois que le roi serait couronné et sacré, la puissance des adversaires diminuerait toujours et qu’ils ne pourraient finalement nuire ni à lui ni à son royaume. »6 Elle en a la certitude et elle n’hésite pas à exposer sans détour son but. A Robert de Baudricourt, d’abord mal disposé à son égard et entouré de ses hommes d’armes intimidants, elle assure : « Je viens afin de porter secours au dauphin. Ce n’est pas à Charles qu’appartient le royaume de France, mais à son Seigneur. Mon Seigneur veut que le dauphin devienne roi et tienne ce royaume en commande. Oui, en dépit de ses ennemis, il sera roi et c’est moi qui le conduirait au sacre ! » 7

Quand elle parle de Charles VII, avant sa consécration, elle ne lui donne que le nom de dauphin et en fournit l’explication :« Je ne l’appellerai pas roi jusqu’à ce qu’il ait été couronné et sacré à Reims. » Mais sa conviction devra encore triompher des hésitations du pauvre roi de Bourges et d’une partie notable de l’entourage du roi qui juge téméraire cette équipée dans une contrée sous tutelle bourguignonne.

Enfin, arrive le grand jour du Sacre, le dimanche 18 juillet 1429. Le rite commence. Charles a appelé Jeanne tout près de lui. Quelle prière s’élève dans l’âme de celle qui tient son étendard, tandis que l’archevêque de Reims, dépose au moyen d’une aiguille d’or une goutte de l’huile de la Sainte Ampoule sur la patène ! « Le roi, dévêtu, n’a gardé qu’une chemise et une tunique fendues là où la peau doit recevoir les onctions sacrées. Elles sont au nombre de neuf. L’archevêque avec le pouce, fait les neuf signes de croix. »8

Charles VII est roi de France ! Jeanne s’agenouille devant lui, lui baise les pieds et lui dit en pleurant : « Gentil Roy, or est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que levasse le siège d’Orléans et que vous amenasse en cette cité de Reims recevoir votre saint sacre en montrant que vous êtes vrai roy et celui auquel le royaume doit appartenir. »

L’huile que saint Rémi versa sur le front du rude mérovingien lui avait été miraculeusement apportée par une toute blanche et mystérieuse colombe. Le rôle de Jeanne, nouvelle colombe, aura été pour le sacre de Charles VII, non point de fournir le précieux liquide vieux de bientôt un millénaire, mais d’amener au successeur de saint Rémi l’infortuné successeur de Clovis pour qu’il le reçoive et soit consacré roi de France.

Saint Rémi et sainte Jeanne d’Arc se donnent la main, le premier comme étant à l’origine de de la monarchie française et la seconde comme étant son sauveur aux jours les plus sombres de son histoire. Ils sont inséparables. Jeanne nous apparaît comme étant la petite fille élue par Dieu et confiée au grand archevêque, « Dom Rémy », pour être l’instrument providentiel de la perpétuation des rois de France. L’aube de son épopée, au jour de son baptême, se trouve dans une église dédiée au baptiseur de la France et son point culminant dans son illustre cathédrale de Reims.

  1. Divines harmonies dans le choix de ceux qui seront ses « Voix » :

Si saint Rémi est présent de l’aurore au zénith de la mission sacrale de Jeanne, sa formation pour la mener à bien va être assurée par un illustre trio composé de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et, après les quatre années au cours desquelles elle reçoit leur céleste instruction, les trois visiteurs du Ciel vont demeurer auprès de Jeanne tout au long de son héroïque chevauchée. Ils seront alors son « Conseil » et lui apporteront le soutien et les consolations aux moments les plus difficiles. Très souvent, Jeanne opposera au conseil des hommes « son Conseil ». C’est ainsi qu’elle répond au Bâtard d’Orléans : « En nom Dieu, le conseil du Seigneur notre Dieu est plus sage et plus sûr que le vôtre. »9 Au soir de la chute des Tourelles où les chevaliers ayant tenu conseil estimaient qu’il ne fallait pas poursuivre les combats le lendemain, Jeanne rétorque : « Vous avez été à votre conseil et moi au mien. Et croyez que le Conseil de mon Seigneur verra son accomplissement et que le vôtre faillira. » Ce Conseil est présidé par saint Michel.

  1. Saint Michel, Protecteur de la France :

Le premier à s’être manifesté auprès de Jeanne est l’archange saint Michel qui n’est pas un inconnu dans l’histoire de France. En 709, il avait prié l’évêque d’Avranches de lui bâtir une église au sommet de ce Mont Tombe qui, dès lors, porta son nom. Cette véritable forteresse était devenue le plus grand des symboles dans la lutte contre les Godons. Sa lutte victorieuse dans « son grandiose isolement »10 durait depuis plus de trente ans. Comment ne pas comprendre l’inestimable secours apporté par l’archange aux héroïques défenseurs du Mont ? « Une épée brille dans sa main, et s’il apparaît à une créature humaine, c’est toujours pour lui manifester le secours du Seigneur. »11 Saint Michel apparaît là dans le magnifique patronage qu’il exerce sur notre pays. C’est son principal titre à être choisi en priorité pour se manifester à Jeanne.

Admirons à ce propos comment Vaucouleurs, cette capitainerie de Lorraine où est rendue publique la mission de Jeanne, si distante du Mont-Saint-Michel et de la Normandie qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de rechercher un lien entre ces deux lieux, se trouve, à l’époque où nous nous situons, pourtant glorieusement lié au Mont-Saint-Michel. Dans toute la France du Nord en effet, trois lieux et trois lieux seulement échappent à la domination anglaise : Le Mont Saint-Michel, Vaucouleurs et Tournai ! Et saint Michel doit porter d’autant plus d’attention à cette place-forte de l’Est que toute la région du Barrois où se trouve Vaucouleurs est également placée sous son spécial patronage : « Saint Michel était particulièrement connu et aimé à Domrémy même, étant fort anciennement patron du Barrois. »12

Bien que cela soit un peu plus éloigné de notre sujet, nous signalons un autre rapprochement mentionné par Régine Pernoud qui lie l’histoire du Mont Saint-Michel à celle de sainte Jeanne d’Arc : « Chose curieuse, celui qui avait, durant la plus grande partie de ce temps, assumé la défense de l’irréductible forteresse, Louis d’Estouteville, était le propre frère du prélat qui allait prendre en main la cause de Jeanne d’Arc et mener à bien sa réhabilitation. »13

Saint Michel est l’ange de « l’annonciation de Jeanne », le premier à lui apparaître, celui qui lui dévoile l’essentiel de sa mission. Il ne lui avait pas révélé tout de suite son nom. « Mais, un jour, il lui dit :’Je suis Michel, le protecteur de la France. Il y a grande pitié au royaume de France.’ Et l’archange lui exposa tous les malheurs qui s’étaient abattus sur toute l’étendue du territoire si bien que Jeanne pleurait à chaudes larmes. L’apparition la console : Dieu n’a cependant pas abandonné la patrie, il l’agrée toujours pour être la bonne et chrétienne nation, gardienne et fille aînée de la Sainte Eglise Catholique, que les horreurs du grand schisme viennent de désoler. Et si l’ange de la Victoire est descendu du ciel, c’est afin d’annoncer le salut du pays éprouvé : c’est surtout pour préparer l’être mystérieux, instrument de la délivrance. Cette révélation réjouit la jeune paysanne, elle remercie saint Michel et lui demande le nom du sauveur à venir. Alors le céleste messager, la regardant, lui dit d’une voix forte : – C’est toi, fille de Dieu !…Pars ! Va en France, il le faut. La pauvrette se met à trembler, puis de nouveau à sangloter : je suis une pauvre fille, répond-elle, je ne sais ni monter à cheval ni faire la guerre. Et l’archange répète : Pars ! Va en France, il le faut. Puis il disparaît. »14

 Ill lui demeurera présent tout au long des mois de son ardente équipée mais on le voit plus particulièrement apparaître dans les moments les plus stratégiques. C’est lui qui fait part à la bergère, à l’occasion d’une autre de ses apparitions où Jeanne « protestait en sa présence, et de sa docilité et de son impuissance »15, de l’assistance qu’elle va désormais recevoir de sainte Catherine et de sainte Marguerite : « Dieu a pourvu à ce qui te manque. Je conduirai vers toi deux Saintes. Ce sont les Vierges Catherine et Marguerite. Notre-Seigneur les a chargées de te guider, tu n’auras qu’à suivre leurs conseils. »16 Si les deux saintes vont désormais être là au quotidien de l’existence de la bergère, saint Michel gardera toujours la petite sainte sous son archangélique protection. Ainsi se rendra-t-Il visible à Jeanne lorsqu’elle sera prisonnière au Crotoy, non loin d’Abbeville : « Là enfin, Jeanne fut favorisée d’une vision de saint Michel. L’agonie, l’agonie des ultimes six mois allait commencer ; l’archange se montra pour conforter sa pupille. »17

L’attachement de Jeanne à Saint Michel se manifestera sur le bûcher lorsque le bourreau Thierrache la lia au poteau. « Tandis qu’il serrait étroitement les cordes, ‘elle implorait saint Michel : elle disait :’…Saint Michel ! Saint Michel ! ».18 Puis, de nouveau, alors que les flammes du brasier l’environnaient et mordaient déjà atrocement ses chairs, on entendit de nouveau : « Saint Michel ! Sainte Catherine ! Sainte Marguerite ! »19

Si saint Rémy apparaît surtout comme le saint historique qui veille sur le berceau de la France et dont la propre mission sacrale auprès de Clovis apparaît comme l’exemplaire de celle de Jeanne, saint Michel est présent en sa qualité de patron de la France. Il ne quitte pas celle qui a accepté de faire l’offrande de sa vie pour son pays.

  1. Sainte Catherine d’Alexandrie :

Saint Michel apprend à Jeanne que Dieu lui-même a désigné deux saintes, dont sainte Catherine, pour s’occuper plus étroitement d’elles : « Jeannette remercia et, pleine de confiance, attendit. Bientôt, aux côtés de saint Michel, elle vit dans une céleste clarté deux ravissantes figures, portant au front de riches couronnes d’or posées sur leurs beaux cheveux ondulés. Regardant la fillette avec une bonté ineffable, elles la firent approcher, se nommèrent, l’embrassèrent tendrement, tandis que l’enfant charmée de leur suave contact, leur pressait les mains et leur rendait, respectueuse et tremblante, leurs doux baisers. »20 Cette scène si tendre suffit à montrer la délicate attention de Dieu Lui-même, qui a consisté à choisir deux femmes pour être les célestes compagnes de la jeune fille. Comme on le voit, elles surent prodiguer à l’enfant cette précieuse affection qui devait tant la réconforter.

Mais, par ailleurs, « Les maîtresses étaient bien choisies pour former celle qui devait soutenir tant de luttes, car elles-mêmes avaient, pour la gloire du Christ, affronté de rudes combats et remporté d’incomparables triomphes. Désormais, elles apparaîtront à leur élève plusieurs fois par semaine, multipliant les entretiens lorsqu’elles le jugeront nécessaire. Elles l’instruiront sur tout ce qui regarde sa mission, lui prodiguant selon les circonstances, des avis, des conseils, de telle sorte que Jeanne dira volontiers en parlant d’elles ‘mon conseil’, comme elle les nommera aussi ‘mes Voix’, indiquant par là que, non seulement saint Michel et ses saintes se rendent visibles, mais qu’elle entend réellement leur parole résonner à son oreille. »21

Evoquons d’abord le choix de Sainte Catherine, patronne des jeunes filles. La belle et savante vierge d’Alexandrie fut avant Jeanne elle-même assistée de saint Michel tandis qu’elle démontrait la fausseté du paganisme à cinquante professeurs d’université. 22 avant de verser son sang pour le Christ. Vierge, Martyre, patronne des jeunes filles, privilégiée de saint Michel, voilà déjà pas moins de quatre bonnes raisons pour devenir la guide de Jeanne ! La bergère, dont la sœur cadette porte ce prénom, ne peut ignorer cette sainte dont l’église de Maxey, le village le plus voisin de Domrémy, de l’autre côté de la Meuse, possède la dédicace. On voit de nouveau comme les saints ont été choisis par Dieu parmi ceux qui étaient familiers à l’enfant.

Sur le chemin qui va de Vaucouleurs à Chinon, Jeanne se réjouit de faire halte au petit village de Fierbois où une chapelle dédiée à sainte Catherine l’attire. Elle assiste là à trois messes le même jour. « La chapelle avait été érigée selon le vœu de Charles Martel en mémoire de l’engagement décisif qui repoussa l’armée des Sarrazins et prépara sa défaite, consommée à la bataille de Poitiers. »23 « Sainte Catherine y était représenté dans un appareil quasi-guerrier. Sa robe à plis roides jouait la cuirasse, et la roue qui gisait son côté, en souvenir du supplice auquel Maximin l’avait condamnée d’abord, ressemblait assez à un harnois de bataille brisé; l’épée dont le bourreau lui-même avait tranché la tête, était large comme celle des hommes d’armes ; les chevaliers aimaient remercier une sainte ainsi faite, de leurs succès. »24 Bien que sainte Catherine ne soit pas une « vierge guerrière » à proprement parler, il est intéressant de voir que la piété des soldats, notamment à Fierbois, la vénérait comme telle.

Est-ce à cette occasion que Jeanne reçut la révélation que l‘épée qui lui était destinée gisait là enfouie et oubliée? Quoiqu’il en soit, Jeanne provoqua la surprise de Charles VII, au moment où l’on passait commande de son armure, en lui disant de ne pas se soucier de son épée car ses Voix lui avaient appris que Dieu avait « voulu choisir l’arme qu’il me destine, elle repose depuis longtemps dans la chapelle de sainte-Catherine-de-Fierbois. envoyez-la quérir, Sire, on la reconnaîtra à cinq petites croix qui sont gravées près de la garde de cette épée. Elle se trouve non loin de l’autel. » Les recherches accomplies par Colas de Montbazon aboutirent rapidement : « dès que la terre eut été creusée à peu de profondeur, on trouva l’arme rouillée, reconnaissable à ce que sa lame portait cinq croix. »25 Et la rouille tomba en un rien de temps. Certes, ce n’est pas l’épée de sainte Catherine mais c’est bien du sol de la chapelle qui lui est dédiée qu’elle a été déterrée. La sainte d’Alexandrie semble ici adouber l’enfant de Domrémy pour ses combats à venir. Ce sont également les trois visiteurs qui donnèrent aussi à Jeanne l’ordre de prendre un étendard symbolisant sa mission divine : « tout fut strictement réglé d’après les indications des célestes conseillers. »26

Remarquons encore que « Sainte Catherine est la protectrice des prisonniers, de tous ceux qui sont rançonnés ou retenus dans les fers. »27 C’est en connaissance de cause qu’elle pourra assister et soutenir Jeanne au fond de ses cachots (même si, « Parfois, sainte Catherine me répond sans que je comprenne à cause du bruit qui se fait dans la prison. » !) On la voit présente auprès de Jeanne, après son audacieuse tentative d’évasion du château de Beaulieu en Vermandois. Pour la première fois, un homme avait tenté d’abuser d’elle. Jeanne fabriqua une sorte de corde qu’elle fixa à l’un des barreaux de sa prison, voulant s’y suspendre et y glisser. Mais celui-ci céda et Jeanna tomba d’une hauteur de soixante pieds. Elle fut ramenée dans la prison par ses geôliers et souffrit alors davantage des scrupules de n’avoir pas suivi le conseil de ses saintes et de les avoir contristées que de la violente commotion physique endurée. C’est alors sainte Catherine qui lui apparaît pour la consoler et pour lui dire de se confesser, sans doute pour avoir cédé à son désarroi.

Les deux saintes sont encore là pour préparer leur petite sœur de la terre à la mort et au martyre. Pendant sa captivité, « Jeanne eut la visite fréquente, quotidienne de ses Voix. Elles la traitèrent doucement, maternellement, ne soulevant que peu à peu, devant ses regards, le voile du redoutable avenir : ‘Courage ! Tu seras délivrée, lui disaient-elles d’abord ; il faut que tu sois délivrée […] Ne te chaille pas de ton martyre ; prends tout en gré, ; tu t’enviendras enfin au royaume de paradis…Ce sera pour une grande victoire.’ »28

Les affinités entre la sainte de l’Eglise triomphante et son émule de l’Eglise militante se renforcent encore de cette autre considération que sainte Jeanne, à la suite de sainte Catherine d’Alexandrie, aura, elle aussi, à soutenir des joutes, peut-être encore plus pénibles que celles des champs de bataille, contre des dizaines de professeurs d’université.

  1. Sainte Marguerite :

La seconde sainte choisie par Dieu pour guide la bergère de Domrémy est sainte Marguerite. Autre vierge martyre, autre sainte bien connue de Jeanne, honorée dans l’église paroissiale de Domrémy où se dresse une statue en son honneur. « On l’y voit vierge dans les plis de sa robe, et si gracieusement hanchée, que le corps et le geste et le visage disent ensemble la douce sainteté et le doux attrait d’une grâce divine. »29 La piété populaire a l’habitude de l’associer d’ailleurs à sainte Catherine dans les mêmes pratiques. Ce qui ressort de la vie de sainte Marguerite, ce sont les terribles assauts qu’elle dut livrer pour protéger sa virginité. Là encore, on comprend que sa présence dut être un immense réconfort pour Jeanne qui eut immensément à souffrir de sa promiscuité avec les soldats, des injures les plus grossières dont elle fut abreuvée par certains anglais et, enfin, tandis qu’elle était en prison, des véritables violences de ses geôliers.

Lorsqu’elle sera interrogée sur ses « Voix », il lui sera demandé si sainte Marguerite ne parlait pas anglais, le questionneur s’attirera cette verte réponse : « Comment parlerait-elle anglais, puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ? »

Enfin, sainte Marguerite fut livrée aux flammes comme Jeanne le sera. Même si les flammes l’épargnèrent et qu’elle fut finalement décapitée, elle connut toute l’appréhension du terrible supplice que vécut Jeanne lorsqu’elle apprit comment elle devait périr.

A plusieurs reprises, les « Voix » disent à Jeanne que c’est Dieu Lui-même qui donne les ordres de ce qui doit être fait en ce qui la concerne. En particulier, saint Michel indique que le choix des deux saintes auxquelles Jeanne devait être confiée était le sien. Aussi, ne doit-on pas être étonné de la perfection de l’élection de sainte Catherine et de sainte Marguerite : « Ces similitudes et ces coïncidences entre elles nous font toucher du doigt le mystère profond et caché de la prédestination. Ces deux vierges martyres instruisaient Jeanne du combat et de la couronne à laquelle Dieu l’avait destinée de toute éternité. »30

3) Autres célestes visiteurs :

Sans chercher à dresser une liste exhaustive des saints et des anges qui interviennent dans la vie de la Pucelle d’Orléans, il est intéressant de mentionner quelques-uns d’entre eux.

Elle affirmera au cours de son procès la visite d’un autre prestigieux archange : saint Gabriel : « Aussi fermement que je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort pour nous racheter des peines de l’enfer, je crois que c’est saint Michel et saint Gabriel, sainte Catherine et sainte Marguerite que Notre-Seigneur m’envoie pour me conseiller et me réconforter. » 31 Elle précisera par ailleurs, le 3 mars 1431 qu’elle a vu de ses yeux les deux archanges et le 9 mai qu’elle a reçu réconfort de saint Gabriel : « Oui, croyez que c’était lui, je l’ai su par mes Voix. »32Elle dira aussi que, bien souvent saint Michel était entouré, quand il lui apparaissait d’une splendide théorie d’anges.

Plus prodigieuse encore est la scène qui nous est rapportée à l’occasion du siège de Saint-Pierre-le-Moutier. Le chevalier d’Aulon la voit isolée. Il est sérieusement blessé et peut-être démoralisé d’une attaque difficile. Il s’inquiète de la voir seule et s’approche d’elle pour le lui dire. Mais elle lui répond qu’elle n’est pas seule : « J’ai encore cinquante mille de mes gens, et je ne partirai point d’ici que la ville ne soit prise. » L’écuyer stupéfait ne voyait pourtant autour d’elle que trois ou quatre soldats. « Les cinquante mille guerriers dont Jeanne parlait étaient des anges de Dieu qui venaient remplacer les soldats fugitifs. Elevant alors la voix, la guerrière s’écria : ‘Aux fagots ! Aux claies, tout le monde, afin de jeter le pont !’ Et voici qu’aussitôt le pont fut établi au grand émerveillement des témoins de cette scène. »33

Lors de l’interrogatoire du 12 mars 1431, Jeanne affirme d’ailleurs que « Les anges viennent beaucoup au milieu des chrétiens sans qu’on les voie ; moi je les ai vus maintes fois au milieu des chrétiens. »34

Il faudrait encore mentionner saint Jean, son saint patron, qu’elle demanda au frère Pâquerel, son aumônier, de faire représenter sur une bannière avec la très Sainte Vierge Marie auprès de Notre-Seigneur Jésus-Christ en croix. Elle est aussi dévote de saint Nicolas et voulut « accomplir son pèlerinage à Saint-Nicolas-du-Port, patron des voyageurs, afin de mettre sous sa protection le grand voyage qu’elle allait commencer. » 35 La Pucelle, pendant le séjour du roi à Saint-Denis, remplie de tristesse à cause de la pusillanimité de Charles VII à continuer la reconquête de son royaume « alla prier et pleurer devant les reliques du patron de la France, et suivant un usage du temps, elle suspendit dans l’église de l’abbaye son armure ainsi qu’une épée prise à un Bourguignon. »36 Elle nous a également livré deux belles informations en nous disant que c’est « à la requête de saint Louis et de Charlemagne » que Dieu « a eu pitié de la ville d’Orléans et n’a voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du seigneur d’Orléans et sa ville »37 et « qu’elle avait eu une vision dans laquelle saint Louis et Charlemagne priaient Dieu pour le salut du roi et de cette cité (il s’agit d’Orléans). »38 Il est enfin à peu près avéré qu’elle rencontra une ou deux fois la grande sainte Colette de Corbie, réformatrice de la vie franciscaine et morte en 1447.

Il est vrai que l’on peut trouver dans la vie de beaucoup de saints des rapports fréquents avec les anges et les saints. Jeanne n’est tout de même pas une exception. Dans les annales de la sainteté, il demeure cependant exceptionnel de pouvoir suivre si précisément et avec une telle continuité la fidélité des anges et des saints à assister jour après jour leur petite protégée. Il sont là et ne l’oublient pas. Si elle ne les voit pas toujours, elle pourra attester que jamais ils ne lui manquèrent quand elle eut besoin d’eux. Si nous croyons, dans le fond, que la prévenance de Dieu pour chacun de ses enfants est aussi réelle que pour Jeanne, ce déploiement extraordinaire de soins avec lequel elle fut assistée s’explique par la mission dont elle était chargée. Il s’agissait d’opérer le salut de la France. Faut-il donc que le Bon Dieu tienne à cette patrie pour employer tant de moyens pour sa survie ! Mais est-ce encore le cas aujourd’hui, après tant et tant d’infidélités ? Nous ne devons pas désespérer et juger des intentions de Dieu d’après les mesquines conceptions de nos cœurs. A nous de nous montrer réceptifs et dociles à l’imitation de Jeanne ! N’est-elle pas attentive à ce pays pour lequel elle a donné sa vie ? N’est-elle pas la première à désirer être auprès de nous ce que les anges et les saints du Ciel ont été auprès d’elle ? Répétons les mots de saint Pie X lors de la béatification de sainte Jeanne d’Arc, le 13 décembre 1908 : « Vous direz aux Français qu’ils fassent leur trésor des testaments de saint Rémi, de Charlemagne et de saint Louis, qui se résument en ces mots si souvent répétés par l’héroïne d’Orléans : Vive le Christ qui est roi de France. A ce titre seulement, la France sera grande parmi les nations. A cette clause, Dieu la protègera et la fera libre et glorieuse. »

Père Joseph d’Avallon

1 Véronique-Jeanne Lévy.

2 Joseph Thérol : « L’Evangile de Jeanne d’Arc » NEL p.55

3 Monseigneur Touchet : « Vie de sainte Jeanne d’Arc » Lethielleux 1920, pages 1 et 2

4 Renée Grisel : « Présence de Jeanne d’Arc » NEL 1956 p.33

5 Mgr Touchet, op. cité p.21

6 Régine Pernoud : « Jeanne d’Arc » Que sais-je ? p.47

7 Chanoine Henri Debout : « Jeanne d’Arc, nouvelle vie populaire illustrée » Maison de la Bonne Presse 1907p.29 et 30

8 Grisel, op. cité p.138

9 Régine Pernoud « Vie et mort de Jeanne d’Arc » Le livre de Poche 1953, p.199

10 Régine Pernoud « Vie et mort de Jeanne d’Arc » Le livre de Poche 1953, p. 34

11 Grisel, op. cité p.42

12 Ibidem

13 Régine Pernoud op. cité p. 34

14 Henri Debout, op. cité p.15

15 Ibidem p.18

16 Ibidem

17 Mgr Touchet, op. cité p.150

18 Ibidem, p.207

19 Ibidem, p.208

20 Henri Debout, op. cité p.18

21 Henri Debout, op. cité, pages 18 et 19

22 Omer Englebert « La fleur des Saints »p.505

23 Ibidem

24 Mgr Touchet, op. cité p. 39

25 Ibidem, p.85

26 Debout, p.81

27 Grisel p.71

28 Touchet p.176

29 Grisel p.29

30 Olivier Rioult : « Histoire d’une âme » Clovis2010 p.57

31 Debout, p.283

32 Thérol, p.64

33 Debout, op. cité p.220

34 Thérol, op. cité p.41

35 Debout p.46

36 Debout p.215

37 Pernoud op. cité p.199

38 Ibidem p.201

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