Nous avons demandé à notre ami Roger Gramanitch de bien vouloir présenter aux lecteurs de Médias Presse Info ses impressions et son témoignage sur la situation vue en Russie durant un séjour de deux mois.

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Je tenterai ici de faire un compte-rendu de deux mois passés en Russie, du début octobre au début décembre.

A ceux qui pensent que l’aventure est morte de nos jours, je conseille le voyage en Russie en période de pandémie. J’ai eu la chance de séjourner dans trois villes, d’avoir des contacts avec beaucoup de monde, de vivre, rien qu’à Moscou, dans trois banlieues différentes.

Au festival Gorki de Nyjnii-Novgorod, l’ambiance était au soulagement, les restrictions sanitaires venaient d’être levées, une semaine plus tôt l’événement n’aurait pas pu se tenir. Ironie de l’Histoire, une semaine plus tard non plus !… Les restrictions étaient de retour. En effet, loin de l’image idéalisée qu’on peut s’en faire dans certains milieux français notamment, les autorités russes, tant médicales qu’étatiques, sont alignées, officiellement du moins, sur ce qui se pratique en Occident et presque partout. La différence est d’une toute autre nature, elle tient à la résistance passive de la population, qui, dans une proportion significative, ignore largement les consignes pourtant répétées du matin au soir par les médias et les haut-parleurs. Intervenant comme invité du festival dans quatre bibliothèques et un institut d’études linguistiques, j’ai pu constater, par exemple, que le port du masque était respecté de façon fort diverse, parfois porté à hauteur de genoux. Les récentes (en ce début d’octobre) élections législatives étaient un sujet bien plus abordé, dans la rue et dans l’hôtel abritant les invités du festival (écrivains, éditeurs, poètes, agents littéraires…) que la pandémie même si comme ailleurs celle-ci était sur toutes les lèvres. A Nyjnii-Novgorod pour une raison précise qui défrayait la chronique : le romancier engagé Zakhar Prilepine, dont le portrait s’étalait sur les autobus de la ville, s’était fait élire grâce à une campagne assez coûteuse sur un programme populiste avant de démissionner immédiatement pour rejoindre Moscou où il occupe le poste de vice-président de la section littéraire du théâtre d’Etat MXAT. Un certain nombre de mes collègues auteurs y voyait une manœuvre politicienne douteuse et une grosse opération publicitaire. L’excellent écrivain Daniel Orlov, venu de Cronstadt, était assez véhément à ce sujet. Quelques jours plus tôt, il avait tenu à m’expliquer la différence entre l’anticommunisme bourgeois et l’anticommunisme populaire avec un humour tonitruant.

D’une façon générale, et je le revis à Moscou durant les trois semaines suivantes, la césure était assez nette entre les classes sociales au sujet de la pandémie. Les fervents du vaccin et des mesures sanitaires se comptaient surtout dans la bourgeoisie moyenne-supérieure, tandis que le reste de la population affichait son fatalisme russe. Dans le métro, les bus, les trains de banlieue et même les supermarchés le masque était rarement porté malgré les messages incessants, les menaces d’amende, etc. Au cours de mes nombreuses allées et venues, je n’ai jamais vu la police omniprésente intervenir sur des affaires de masque. De même, le taux de vaccination, les télévisions le répétaient assez, était très bas. Visiblement, et je l’ai constaté au cours de nombreuses conversations, dans le peuple la méfiance, parfois l’ignorance aussi, était la règle.  Il y a bien sûr des raisons historiques dans un pays qui a opposé à 70 ans de communisme la politique du sourd-muet aveugle et vécu suffisamment de crises ensuite pour ne pas s’inquiéter outre-mesure de la suivante, ce qui m’a été dit en toutes lettres. Les effroyables années 1990 sont encore dans toutes les mémoires. Les classes supérieures, bien sûr, jouissant de plus de confort, sont hypochondriaques.

A Moscou toujours, l’hystérie et l’incohérence des déclarations officielles n’avaient rien à envier d’un jour à l’autre, à ce qui se pratique en Occident. Les autorités médicales offraient elles aussi le même spectacle brandissant confinement et vaccination obligatoire avant de se rétracter. Si le délire sanitaire s’est accéléré et que le pouvoir en place lui a emboîté le pas finalement, c’est pour une autre raison : l’ambiance de fin de règne.

Invité le jour de l’inauguration de sa statue sur la tombe de mon ami Edouard Limonov, grand écrivain et agitateur, j’en ai eu la confirmation de plusieurs manières. La police était présente en force au cimetière pour les raisons de “surveillance de l’extrémisme” traditionnelles et si elle n’intervint que très peu, elle tenait manifestement à ce qu’on la remarque, en cette belle journée d’automne. Et à me faire comprendre qu’ils avaient remarqué l’étranger. De même qu’ils observaient attentivement la trentaine de jeunes gens du parti “L’autre Russie”, habillés en punks, venus rendre hommage à mon vieux copain. La semaine précédente à Nyjnii-Novgorod j’avais répondu aux questions sur Limonov de deux très jeunes étudiants, qui m’avaient expliqué être membres de “L’autre Russie” et admirer l’œuvre de Limonov. Lorsque j’en ai parlé au cimetière à certains cadres du parti, plus vieux, ils m’ont assuré que les jeunes affluaient dans leurs rangs. Les policiers semblaient craindre cette radicalité bien plus que le navalnysme FaceBook.

Le député à la Douma d’Etat Sergueï Chargounov, lui aussi admirateur de Limonov, présent sur place nous assura – en nous ramenant le factotum de Limonov et moi dans sa voiture de fonction – que les organes de sécurité étaient sur les dents, puisque Vladimir Vladimirovitch n’est pas éternel, que les convoitises se déchaînent, qu’on craint tout autant des troubles qu’une possible “révolution de palais”. Ainsi, comme ailleurs, les mesures d’autoritarisme sanitaires ont une fonction politique : donner des gages aux occidentalistes et brider la population.

Dans certaines franges dites “de droite” où se mélangent nostalgiques de soviets et patriotes, les discussions et les thèses sur la grande réinitialisation sont quotidiennes. Et on a tort de sous-estimer les capacités intellectuelles de débat et de projection historique en Russie. La chaîne YouTube “Dien” ou “Le Jour” invite tous les jours des experts pour évoquer le nouveau totalitarisme cybernétique en germe. En particulier le politologue Foursov qui a élaboré toute une théorie remontant, entre autres, à la crise de 2008. On parle de “betfascisme” pour biologie, écologie, climat. On évoque l’envoyé de l’UE auprès de Loukachenko au printemps 2020, lui proposant 16 millions de dollars pour confiner comme le reste de la planète. Les troubles qui ont éclaté peu après en Biélorussie, outre la stratégie du domino autour de la Fédération Russe, seraient également liés au refus du dictateur de se plier au chantage. Et ces théories sont légion, le débat est très vif. J’ai personnellement discuté avec un vieil ingénieur dans un de mes domiciles provisoires ayant reconstitué une organisation héritière de l’URSS dans les domaines informatiques avec ses collègues, qui cherchait à organiser une grève mondiale de l’usage des moyens électroniques à une date précise pour paralyser la machine et envoyer un message à l’hyperclasse. La volonté des opposants s’affirmait par un argument que j’ai entendu plus d’une fois : un régime naissant est toujours prédateur, il faut lui arracher les dents tout de suite et les références étaient l’Empire Britannique et l’URSS. C’était notamment la thèse de Valentina Kisselova, également une invitée de la chaîne “Dien”.

Ensuite je suis parti dans l’Oural, une sombre ville industrielle où j’ai des amis, Chelyabinsk. Les protestataires contre l’ordre sanitaire avaient manifesté à l’Hôtel de ville, et les médias locaux avaient dénoncé des casseurs, justifiant la répression assez violente qui s’était abattue sur eux. Une semaine plus tard, une contre-enquête indépendante démontrait le contraire, les manifestants pacifiques avaient annoncé leur action pour qu’on l’autorise, à plusieurs reprises sans obtenir de réponse, et la police leur était rentré dedans pour manifestation non autorisée. Un scénario à la française.

Ailleurs, à Kazan, capitale du Tatarstan, souvent en conflit avec le pouvoir central, on imposait le passe pour monter dans l’autobus et autres transports. Ce qui donna lieu à des échauffourées tandis qu’on refusait à 1500 personnes de monter, et qu’on en autorisait tout de même 812. Même traitement médiatico-policier qu’ailleurs dans cette affaire.

Ce qui frappe, c’est le refus spontané d’une grande partie de la population de se laisser domestiquer néanmoins. Et le résultat est souvent de bloquer le système inapplicable.

En souhaitant que ces modestes informations récentes vous soient utiles.

Roger Gramanitch

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