Pour mieux appréhender cette crise géopolitique, territoriale, impérialiste, économique qui se joue en Ukraine mais qui est avant tout le signe d’un bouleversement de l’ordre international dominé par les Etats-Unis et l’OTAN, MPI se propose de publier diverses analyses qui privilégient un regard catholique sur les événements.

L’article d’hier analysait l’inconsistance des démocraties européennes et la faiblesse des Etats-Unis, conséquence de leur libéralisme culturel et économique.

Aujourd’hui, nous offrons à votre réflexion un éditorial du journaliste Eugenio Capozzi paru le 28 février 2022 sur le quotidien catholique de sensibilité conservatrice La Nuova Bussola Quotidiana. Capozzi se penche en analysant l’invasion de l’Ukraine sur la rupture totale de la Russie avec l’Occident qui signe « la défaite du réalisme politique occidental », « l’échec des classes politiques occidentales à comprendre les enjeux d’un monde dont l’Occident n’est plus, et ne sera peut-être jamais, le protagoniste incontesté ». Et lance un appel à « un minimum de rationalité politique (…) en Occident », « pour sortir immédiatement d’une logique d’opposition frontale au profit de la médiation. Et voici pourquoi… »

« Avec l’invasion de l’Ukraine, la Russie de Poutine a franchi une frontière qui la conduit à une rupture totale avec l’Occident, et l’oblige à être fatalement aspirée dans un axe eurasien avec la Chine dont elle a tout à perdre sur le long terme comme car elle ne pourra avoir en son sein qu’un rôle de vassal. C’est la fin d’une longue ère au cours de laquelle le pays, après la décantation consécutive à la fin de l’URSS, a tenté de trouver un équilibre entre l’entrée dans l’économie mondialisée et le maintien de son statut de puissance impériale, à plus petite échelle que dans le passé.

« Mais ce clivage politique, militaire et économique de plus en plus radical représente aussi d’énormes dégâts pour l’Occident et pour les raisons des démocraties libérales. Et c’est le résultat d’un échec retentissant de la politique américaine, mais aussi européenne, envers la Russie au cours des trente dernières années. Un échec qui repose sur l’incapacité dont font preuve les classes politiques occidentales à comprendre les enjeux d’un monde dont l’Occident n’est plus, et ne sera peut-être plus jamais, le protagoniste incontesté.

« Que faire de la Russie ? C’est la question que les Américains et leurs alliés n’ont jamais traitée de manière organique et globale depuis la fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique.

« Dans les années 1990, marquées par la croyance généralisée que le monde était devenu unipolaire et allait s’occidentaliser inéluctablement, leurs classes dirigeantes considéraient la Russie d’Eltsine comme un pays à la transition mouvementée vers une économie de marché, non plus dangereux ni un antagoniste potentiel sur le plan militaire et stratégique, bien qu’il reste la deuxième puissance nucléaire et la deuxième armée du monde.

« Dans ce contexte, l’élargissement de l’OTAN avec l’adhésion de nombreux anciens pays ‘satellites’ ou membres de l’URSS – motivés précisément par l’expérience que ces pays ont eue dans le passé de l’impérialisme russe et soviétique, et par leur volonté de se protéger contre lui à l’avenir – est apparu comme un fait naturel, peu susceptible de créer des problèmes dans les relations avec Moscou. Entre-temps, il était admis dans le système de gouvernance mondiale avec l’élargissement du G7 au G8 et avec les négociations d’entrée à l’OMC, et était attiré dans l’espace OTAN avec son implication dans le Partenariat pour la paix de l’alliance (1994) et avec la création du Conseil OTAN-Russie en 2002.

« Mais entre-temps quelque chose avait changé avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, et les Occidentaux n’ont pas saisi la signification de ce changement. Après une phase de désordre mais aussi de désintégration, la Russie entame un processus de reconsolidation du pouvoir et de centralisation étatique, et cherche à retrouver un rôle de puissance mondiale dans le sillage de sa tradition impériale séculaire. La consolidation des relations politiques et économiques avec elle aurait dû impliquer, pour les États-Unis et leurs alliés, la capacité de repenser l’ensemble du système de sécurité et d’alliances euro-occidentales, abandonnant l’idée d’un nécessaire mondialisme ‘occidento-centré’ et en tenant compte à la fois des lois de la géopolitique et de l’inévitable pluralisme entre les civilisations que Samuel Huntingon avait éloquemment illustré quelques années plus tôt.

« Face aux différents défis apportés par l’intégrisme islamique et le modèle politique et économique chinois, l’intérêt occidental aurait été de dépasser la vieille approche de l’OTAN au profit d’une ‘constellation’ d’alliances avec de multiples sujets, de la Russie à l’Indopacifique. Il s’agissait, pour l’Europe de l’Est, de garantir à la fois la sécurité des anciens États satellites et le statut de Moscou comme puissance eurasienne, en redéfinissant les zones d’influence, de convergence et d’objectifs communs.

« Mais les États-Unis – avec les administrations Clinton, Bush jr. et Obama- est allé dans la direction opposée. D’une part, ils ont ouvert les portes à l’essor de Pékin avec l’admission de la Chine à l’OMC en 2000 et la création d’un contexte mondial extrêmement favorable à celle-ci. En revanche, ils n’ont pas pris en compte les préoccupations géopolitiques russes, les considérant au contraire comme des actes hostiles en tant que tels. Au Proche-Orient, l’interventionnisme américain après le 11 septembre 2001, surtout depuis le conflit irakien, a conduit la superpuissance américaine à se heurter dans de nombreux cas aux positions de Moscou.

« Parallèlement, dans l’échiquier de l’Europe de l’Est comme dans celui du Caucase, le processus d’élargissement de l’OTAN ou le rapprochement rapide des anciens États soviétiques vers l’Ouest ont alimenté un réveil du syndrome d’encerclement chez les Russes, qui a provoqué chez eux des réactions de plus en plus décisives. Les conflits déclenchés par la Russie en Géorgie (Ossétie du Sud, Abkhazie) et en Ukraine – dans une longue séquence allant de 2004 aux derniers développements – ont été les cas les plus frappants de la réaction impérialiste de Moscou, à l’égard de laquelle l’attitude américaine et occidentale a été l’isolement imposé à ce dernier, et sa rétrogradation d’allié potentiel à quasi-ennemi : culminant avec les sanctions qui lui sont imposées depuis son annexion de la Crimée en 2014.

« Le seul dirigeant occidental qui a perçu les dangers au cours des vingt dernières années de cette dégénérescence progressive de la confiance et des relations entre l’Occident et la Russie était Donald Trump, qui a toujours soutenu, dans sa vision réaliste et bilatéraliste de la politique étrangère américaine, la nécessité d’un rapprochement entre les deux parties dans une fonction antichinoise, et en vertu d’un degré plus élevé de compatibilité possible. Mais pendant son mandat présidentiel, il lui était impossible de mener à bien cette stratégie en raison de l’opposition de la quasi-totalité de la classe dirigeante de son pays, ainsi que des appareils étatiques et militaires. Sa non-réélection, et le retour au pouvoir des démocrates avec Biden, ont alimenté la nouvelle escalade de tension avec Moscou qui a désormais abouti à l’invasion russe de l’Ukraine, ainsi que le rapprochement toujours plus étroit entre Moscou et Pékin.

« En ce moment, toute possibilité de renouer les fils du dialogue semble être minée, et l’Europe devient le théâtre d’un bras de fer qui remettra inévitablement en cause la structure du continent, avec des implications imprévisibles. Mais si un minimum de rationalité politique survit en Occident, celui-ci doit servir à sortir immédiatement d’une logique d’opposition frontale, qui fait appel à des clivages idéologiques aujourd’hui estompés, pour ouvrir à nouveau avec réalisme et prudence, sans abdiquer ses principes de liberté et de démocratie, des espaces de médiation fondés sur des garanties minimales de sécurité mutuelle entre les parties. » (Traduction de Francesca de Villasmundo).

Francesca de Villasmundo

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