Cette conférence de M. l’abbé Xavier Beauvais a été donnée d’après une étude faite par M. Armand Imatz dans “La pensée catholique”.

Les paroles de ce penseur politique ont causé en Europe un grand impact.
– Prédictions
– discours
– écrits
ont marqué l’esprit du XIXe siècle.
Il est à remarquer en effet que tous les auteurs importants de quelque bord qu’ils furent ont mentionné, discuté, jugé, ses oeuvres.
En quelques mois la popularité du marquis de Valdegamas atteignit son apogée.
Ses articles, discours, ouvrages, traduits en français, italien, allemand, firent l’objet de multiples publications.
 Ranke et Schelling les commentèrent
 Metternich les loua
 Louis Napoléon
 Fréderic Guillaume IV
 Probablement le tsar Nicolas II
les lurent et les méditèrent.
Donoso Cortés meurt moins de quatre ans après avoir pris rang dans la célébrité et l’autorité.
 Au succès, succède une longue période d’obscurité
– oublié
– méconnu
– ignoré
pendant plusieurs décennies
il est redécouvert dans l’entre deux-guerres, et, dans les années cinquante.
– L’insulte
– ou le silence
furent les armes favorites utilisées contre ce diplomate d’Estrémadure, de son vivant comme après sa mort.
Donoso était un homme brillant, admiré, un diplomate fin et efficace, un homme d’Etat sûr, habile, un orateur éloquent, un écrivain à la plume élégante et facile, un catholique dont la vie a valeur d’exemple.
La pensée européenne dominante jugea ses idées dépassées et préféra les ignorer.
Sa pensée donnait un coup mortel à la philosophie progressiste de l’histoire, pilier du communisme marxiste.
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Donoso annonce
– la venue d’un despotisme gigantesque
– le rôle de la Russie dans la révolution communiste
– la mer de sang qui submergera l’Europe pendant les 100 ans qui suivront la révolution de 1848.
Généralement on prête attention au Donoso Cortés de la dernière période : 1847-1853.
Attitude logique puisque c’est alors que sa pensée acquiert sa maturité et sa plénitude, c’est, souligne son ami Louis Veuillot,
« Le terme définitif du combat, la victoire du chrétien sur le philosophe enfin mis en possession de la véritable philosophie ».
Sans la lecture attentive des oeuvres qui suivent sa conversion on ne comprendrait rien à son attitude intellectuelle définitive, mais ceux qui s’en tiennent uniquement à elles risqueraient d’aboutir à de fausses interprétations.
Marquis de Valdegamas, Juan Donoso Cortés nait le 6 mai 1809 en pleine guerre d’indépendance dans un petit village d’Estrémadure.
Il meurt à Paris le 3 mai 1853.
Pendant les 40 années de sa vie, l’Espagne passe par une des plus grandes crises de son histoire. Elle ne subit pas moins de 23 pronunciamientos dont 22 sont libéraux progressistes.
L’Europe quant à elle, connaît une profonde évolution qui modifie sa physionomie
– politique
– économique
– et sociale.
Les études de Donoso sont rapides et brillantes.
Dès 1820, il est envoyé à Salamanque, puis à Caceres au collège réputé de Saint Pierre.
Don Pedro, son père, affirmait qu’il étudiait jour et nuit.
En 1823, il fait la connaissance de Quintano (poète et homme politique réputé pour ses opinions libérales)
Imprégné d’idées philosophiques et littéraires du XVIIIe siècle, le maître initie l’élève à Rousseau, Condorcet, Voltaire.
La formation intellectuelle du futur traditionnaliste est donc libérale et francophile.
Sa formation sera philosophique, historique, juridique.
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Dès 1824, il s’inscrit à l’université de Séville où il suit les cours de jurisprudence pendant quatre ans.
A 19 ans, tous ses diplômes aisément obtenus, il est encore trop jeune pour exercer la profession d’avocat. Il accepte donc volontiers l’invitation de la ville de Cacérès qui lui offre une chaire de littérature.
A 20 ans, il épouse Doña Teresa Carrasco, dont le frère jouera plus tard un rôle politique important sous le nom de comte de Santa Olaya
Une fille naît de leur union mais la perdent aussitôt. Dès 1835, la mère suit l’enfant. Donoso fait irruption dans la vie politique avec éclat.
Profondément rationaliste et libéral, il prend parti dans la question dynastique en faveur de la reine Marie-Christine, dont l’époux malade, Ferdinand VII, ne peut gouverner.
Dans un « Mémoire sur la monarchie » adressé au roi à la fin de 1832, il cherche à démontrer que les ennemis du trône
– ne sont pas les révolutionnaires libéraux
– mais les « fanatiques » traditionnalistes, partisans de Don Carlos.
« Une monarchie ne peut pas reposer sur les classes les plus basses de la société, écrit-il, il faut qu’elle s’appuie sur les classes intermédiaires ; Lorsque celles-ci n’existent pas, la société périt dans les bras du despotisme oriental ou dans l’abîme d’une démocratie tumultueuse ».
Libéral conservateur, modéré, entre les révolutionnaires et les traditionnalistes carlistes, Donoso aspire à une monarchie constitutionnelle qui dépende, et protège les intérêts de la classe moyenne.
Don Carlos s’appuie alors sur « la masse, la populace, la tourbe » méprisée des libéraux.
Donoso ne peut donc consolider la monarchie libérale qu’en s’appuyant sur les seuls partisans d’Isabelle ou de la succession féminine, les libéraux, c’est-à-dire, une grande partie de la bourgeoisie.
A 23 ans avec le « Mémoire sur la monarchie », il rend un grand service au libéralisme Espagnol ; en remerciement, le roi l’honore d’une distinction spéciale en le nommant officier du Ministère de Grâce et de Justice.
L’année suivante en 1834, Donoso écrit ses « Considérations sur la diplomatie »
– il croit au libéralisme
– il le défend
– et anathématise don Carlos et ses fidèles.
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Dans « La loi électorale considérée dans son fondement et sa relation avec l’esprit de nos institutions » il encense Luther le « Régénérateur, l’interprète de la raison humaine », il salue le « génie de la magnifique Révolution Française ».
Partisan de la souveraineté de l’intelligence et non du peuple, il légitimise la conduite de ceux qu’il appelle les « monarchistes « purs » de la classe moyenne ».
Les masses ne sont pas guidées par des principes, mais par des ressentiments et des intérêts matériels. La souveraineté du peuple est un bien en temps de crise, mais ensuite vient l’heure
– des « privilégiés de l’intelligence »
– des « aristocrates légitimes »
C’est l’époque du plein rationalisme, où il donne à l’Athénée de Madrid ses remarquables
« Leçons de droit politique » (1836 1837)
Donoso a déjà un nom et une position.
En 1837, Donoso est élu député par l’arrondissement de Cadix.
A l’occasion de la discussion du projet de Constitution, il rédige sa brochure
« Principes sur le projet de loi fondamentale »
une première évolution s’ébauche.
Désormais l’accent est mis sur la famille royale, dépositaire de l’intelligence sociale léguée par les siècles, et sur le caractère sacré du monarque.
A 29 ans, Donoso laisse derrière lui l’étape purement rationaliste.
– L’année 1838 est marquée par la publication presque simultanée de
– « L’Espagne depuis 1834 »
– et « La monarchie absolue en Espagne ».
Il « hésite dans la profession de ces doctrines » note Louis Veuillot.
« Il les modifie jusqu’à reconnaître
– non plus seulement le co-empire
o de la raison
o et de la foi
– mais la nécessité où est la raison, si elle ne veut pas succomber, d’invoquer le secours de la foi ».
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Toujours à la recherche d’un fondement solide pour la monarchie libérale constitutionnelle, il a néanmoins perdu la foi
– en la raison
– en la suprématie de l’intelligence
« La monarchie absolue, explique-t-il, dans « De la Monarchie absolue » n’a pas dû disparaître et n’a pas disparu, parce qu’elle est une forme de gouvernement également condamnée par la raison dans toutes les périodes de l’histoire mais parce que, appropriée à la société d’hier, elle ne l’est plus à celle d’aujourd’hui (….) la monarchie constitutionnelle a dû être, et est son héritière, non parce qu’elle est la meilleure de toutes les formes possibles, non parce qu’elle est le dernier stade de l’entendement humain, mais parce qu’elle est la forme appropriée qui convient à la société dans laquelle nous vivons et au degré de civilisation que les peuples ont atteint ».
Au nom de la raison, il avait entonné un hymne à la révolution française ; elle n’est plus pour lui que l’ultime « égarement de la raison humaine ».
Peu à peu, il s’écarte des forces libérales. Le fossé devient bientôt abîme. En 1839 et il publie ses articles sur la philosophie de l’histoire de jean-baptiste Vico, sur le christianisme, sur la question d’Orient.
Éminence grise de la politique espagnole, il rédige le manifeste que, en 1840, la reine mère Marie-Christine adresse de Paris à la nation espagnole.
La même année, il écrit
« Sur l’incompétence du gouvernement et des Cortès pour examiner et juger la conduite de sa Majesté la reine mère, en sa qualité de tutrice et curatrice de ses augustes filles ».
Il est le théoricien du parti modéré, l’homme loyal et fidèle, en qui la reine mère a toute confiance pendant son long séjour en France de 1840 à 1843.
Il est comblé d’honneur, de prestige.
Le gouvernement français lui octroie les insignes de grand officier de la légion d’honneur en 1843.
Fin 1843, il est professeur de la jeune reine Isabelle. Ministre plénipotentiaire à Paris près de la reine Mère Marie-Christine, il est décoré en 1844 de la Grande Croix d’Isabelle la catholique. Gratifié du titre de Marquis de Valdegamas, il est nommé secrétaire particulier de la reine Isabelle. Pour la quatrième fois, il est élu député aux Cortès.
Deux autres mémoires voient le jour en 1843
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– « Exposé à sa Majesté la reine Isabelle II sur la priorité à donner à l’histoire dans ses études »
– « Histoire de la régence de Marie-Christine »
Donoso ne défend plus la monarchie de la classe moyenne mais au contraire celle qui est en charge des intérêts communs, des intérêts collectifs.
Il n’y a pas d’autre forme de gouvernement possible que celle qui réunit les principes constitutifs de la nation espagnole :
– monarchique
– religieux
– démocratique
Esprit éclectique, il pense encore en libéral et prétend
– fondre ce qui est opposé
– concilier l’inconciliable
Mais déjà, il n’est plus, comme avant
– homme de son siècle
– porte-parole de la société dans laquelle il vit.
À l’inverse, il se sent hors de son temps, prêt à accepter l’incompréhension, l’hostilité, dont il sera désormais l’objet.
« Je n’ignore pas, lit-on dans l’histoire de la régence, que la génération actuelle, nourrie au sein de la révolution,
– affirme tout ce que je nie
– et nie tout ce que j’affirme.
Je sais qu’elle admet, et proclame, comme une chose hors de doute le principe de perfectibilité indéfinie de la société et de l’homme, quand je tiens pour vérifié que l’humanité est identique à elle-même dans toute la continuité des temps (….) Je sais plus encore : je sais que les idées que je me propose de combattre
– comme fausses
– comme dangereuses
– ou comme absurdes
cheminent en avant triomphant de tous les obstacles ».
 À l’exception de quelques discours mineurs comme
o « Le culte et le clergé »
o « Mariage royaux »
entre 1845 et 1847
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Donoso n’écrit rien qui mérite d’être mentionné.
 Ces deux années obscures précèdent la profonde crise de 1847 et 1848 qui aboutira à sa conversion.
 Nommé membre du conseil Royal et Gentilhomme de la chambre en exercice, il démissionne soudain de la charge de secrétaire particulier de la reine et tombe en disgrâce.
Sa conversion ne sera pas une illumination subite mais le résultat d’un lent cheminement.
« J’étais arrivé au milieu de ma vie, déclare-t-il aux comte Bois-le-comte ; la lecture des ouvrages français, qui avait suivi celle des auteurs latins, m’avait fait perdre mes convictions chrétiennes. Cependant, j’avais veillé sur moi avec sévérité : j’avais conservé des moeurs pures ».
Deux traits vont dominer sa personnalité
– un sentiment aigu de la beauté morale qui va le conduire à admirer le catholicisme
– une grande tendresse qui va le conduire à aimer le catholicisme
A Paris, il fait la connaissance d’un homme dont la vie remarquable l’impressionne. Mais l’événement décisif qui changera radicalement sa vie est
– l’agonie
– et la mort
de son frère Pedro
et non, comme on l’a dit parfois, la révolution de 1848. Il l’atteste lui-même dans une lettre du 28 juillet 1849 adressée au marquis de Raffin
« Le mystère de ma conversion est un mystère de tendresse. Je ne l’aimais pas, et Dieu a voulu que je l’aime, et je l’aime ; et parce que je l’aime, je suis converti ».
Au moment de sa conversion, au début de l’été 1847, Donoso a 38 ans, âge ou l’on a une claire conscience
– de ses choix
– de ses actes.
Le vrai virage se situe peu de temps après le
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« Discours sur les relations de l’Espagne avec les autres puissances »1
dans lequel il qualifie la Russie, les Etats-Unis et l’Angleterre de seuls véritables acteurs de la politique internationale.
Les articles sur les réformes, de Pie IX, publiés dans « El Faro » sont en effet les premières manifestations de ses convictions.
Il est désormais un catholique conséquent. Dans « Les ébauches historiques », étude plus théologique qu’historique, publiée fin 1847, on trouve déjà les éléments qui lui serviront pour écrire
« L’Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme »
Il y traite de
– la création
– la famille
– la chute
– la liberté et la grâce
– la charité
– la société
– la théorie du progrès etc…
Le pas décisif est franchi. Il le mène à une conception totale du catholicisme, dépassant la dissociation entre
– le surnaturel
– et le temporel.
Donoso ne variera plus : ses écrits acquièrent ainsi une unité et une homogénéité qu’ils n’ont pas jusqu’alors.
En dehors
 du « Discours sur la Bible »
 et d’un article sur « Les événements de Rome »
1848 est une année peu féconde.
Elle précède pourtant une irruption bruyante sur la scène européenne puisque le 4 janvier 1849, le marquis de Valdegamas prononce le célèbre
« Discours sur la dictature ».
En Espagne et surtout à l’étranger, le succès de cette remarquable pièce oratoire est immédiat. Donoso combat les opinions qu’il a défendues jusque-là et lance des affirmations qui paraissent scandaleuses aux adorateurs du progrès.
1 mars 1847
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– la révolution française de février 1848
– et celle de Rome en novembre 1848
y sont sans doute pour beaucoup.
o plus d’hésitations
o ni de subtilités ingénieuses
afin de concilier l’impossible.
Le présupposé fondamental du libéralisme
« tout par et pour la liberté » est nié.
Donoso soutient
– que la liberté est terminée
– que la lutte n’est pas entre
o la liberté
o et la dictature
mais
 entre la dictature qui vient d’en haut
 et celle d’en bas
entre la dictature
 de la révolution
 et celle de l’autorité
Il développe le saisissant et fameux parallèle des deux freins :
« Il n’y a, messieurs que deux répressions possibles
– l’une intérieure
– l’autre extérieure
– la répression religieuse
– et la répression politique
Elles sont de telle nature que
– lorsque le thermomètre religieux s’élève
– le thermomètre de la répression baisse
et que réciproquement
– lorsque le thermomètre religieux baisse
– le thermomètre politique, la répression politique, la tyrannie monte
C’est
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– une loi de l’humanité
– une loi de l’histoire. »
 Bien évidemment, il ne s’agit pas d’une simple défense de la dictature.
Personne ne choisirait de s’agenouiller devant la dictature s’il pouvait embrasser la liberté.
Mais la question n’est pas là.
Il ne s’agit pas de choisir entre la liberté et la dictature mais entre deux dictatures.
« Le fondement de toutes nos erreurs consiste à ne pas savoir quelle est la direction de la civilisation et du monde (….) le monde chemine à pas très rapides vers la constitution d’un despotisme, le plus gigantesque, le plus destructeur, que les hommes aient jamais connu ».
À mesure que la religion s’affaiblit dans les hommes, le pouvoir de l’Etat s’accroît sur eux.
« Les voies sont préparées pour un tyran, gigantesque, colossal, universel, immense : tout est prêt pour lui ».
Si l’on veut concilier l’ordre et la liberté, il n’y a pas d’autre chemin que la répression.
 ou la répression religieuse
 ou la répression politique
Seuls les peuples profondément religieux sont authentiquement libres ; plus une conscience religieuse est profonde et plus la Liberté est grande.
Donoso Cortés est parvenu à cette conviction après une réelle compréhension du dogme catholique du péché originel : la nature humaine n’est ni bonne ni perverse, mais seulement déchue.
– Le 6 novembre 1848, le marquis de Valdegamas est nommé
o ambassadeur extraordinaire
o et ministre plénipotentiaire d’Espagne à Berlin.
– En février 1849, il quitte Madrid via Paris pour prendre ses fonctions
– Il ne retournera en Espagne qu’en novembre de la même année.
Déjà célèbre, le « Discours sur la dictature » est
– traduit
– publié
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 dans « l’Univers »
 et dans plusieurs journaux berlinois.
Il fait l’objet de nombreux commentaires et critiques dans la presse européenne
Une fois à Berlin, Donoso échange une correspondance abondante avec son ami, ambassadeur de Prusse à Madrid, Le compte de Raczynski.
Deux lettres adressées au comte de Montalembert le 26 mai et le 4 juin, et une autre envoyée aux rédacteurs des journaux
– « El Païs »
– « El héraldo »
le 16 juillet 1849
méritent une attention particulière.
Le diplomate s’y explique sur son prétendu manichéisme.
« Si la victoire naturelle du mal sur le bien suffisait pour constituer le manichéisme, l’Eglise serait manichéenne, puisque l’Eglise, les livres Saints, et tous les docteurs, proclament d’une seule voix que le bien ne peut triompher du mal que par un miracle (…) Il y aurait manichéisme si j’avais donné aux ravages du mal, une existence indépendante de la volonté de Dieu. Un tel blasphème n’a jamais été dans mon coeur et n’est jamais venu sur mes lèvres (….) Je suis si éloigné de croire au triomphe irrésistible du mal, que j’ai dit expressément tout le contraire (…) Ce que j’ai dit, c’est que le mal triomphe naturellement du bien, et c’est là non seulement une proposition certaine, mais encore une proposition consacrée par la doctrine catholique. (…) Dès lors, en affirmant
– d’une part le triomphe naturel du mal sur le bien
– et d’autre part le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal
Je ne fais autre chose que réduire en une formule, qui les contient brièvement, les grands principes du catholicisme, fondé tout entier sur
– l’omnipotence divine
– et sur la fragilité humaine.
voilà toute ma doctrine :
– le triomphe naturel du mal sur le bien
– le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal.
Là se trouve la condamnation de tous les systèmes progressistes, au moyen desquels les modernes philosophes, trompeurs de profession, endorment les peuples, ces enfants qui ne sortent jamais de l’enfance ».
Donoso n’est pas
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– un fataliste
– un résigné
– un vaincu
– ni un déserteur de la lutte.
En réalité, ce qu’il a perdu, c’est la foi en la philosophie progressiste de l’histoire, en l’optimisme des systèmes qui prophétisent aux hommes des lendemains bienheureux, la société paradisiaque vers laquelle l’histoire conduirait l’humanité.
Il a perdu la foi en l’homme parce qu’il a trouvé la foi en Dieu.
« Et qu’on ne me dise pas, si la défaite est certaine, la lutte est inutile, écrit-il dans une lettre du 26 mai à Montalembert. En premier lieu la lutte peut
– atténuer
– adoucir
la catastrophe,
et en second lieu, pour nous qui nous faisons gloire d’être catholiques, la lutte est l’accomplissement d’un devoir, et non le résultat d’un calcul. Remercions Dieu de nous avoir octroyé le combat ; et ne demandons pas, en sus de cette faveur, la grâce du triomphe à celui dont l’infinie bonté réserve à ceux qui combattent généreusement pour sa cause, une récompense bien autrement grande et précieuse pour l’homme, que la victoire d’ici-bas ».
Ce qui peut sauver l’homme
– ce n’est pas une doctrine simplement humaine, c’est une doctrine divine.
Tel est le « pessimisme tragique » du marquis de Valdegamas
– A nouveau en 1850, Donoso attire sur lui l’attention de l’Espagne et de l’Europe.
Le 30 janvier, il prononce le
« Discours sur la situation générale de l’Europe ».
Bientôt traduit, ce discours est publié dans les journaux allemands, belges, français et italiens. Il sera même édité à Paris, sous forme de brochure, tirée à plus de 14000 exemplaires.
Sommet de l’éloquence donosienne, le « Discours sur l’Europe » contient une critique acerbe de l’économisme.
On y trouve également l’étrange prophétie selon laquelle la révolution se produira à Saint-Pétersbourg et non à Londres.
Donoso nie que
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– les véritables hommes d’Etat
– les fondateurs d’empires, de nations, de civilisations
– les « immortels de l’histoire »
se soient jamais appuyés sur la vérité économique.
« Tous ont fondé les nations sur la base de la vérité sociale, sur la base de la vérité religieuse (….) cela ne veut pas dire, car je prévois les objections, que, à mon avis, les gouvernements doivent négliger les questions économiques, que les peuples doivent être mal administrés, je ne suis pas assez dépourvu de raison et de coeur pour me laisser aller à une semblable extravagance. Je ne dis pas cela, mais je dis que chaque question doit être mise à son rang, et que le rang de ces questions est
– le 3ème
– ou le 4ème
– et non le 1er
voilà ce que je dis ».
Donnant la primauté aux questions économiques, le socialisme, ce rejeton de la civilisation philosophique, est situé inexorablement au premier plan.
« Contre la révolution, et le socialisme, il n’y a qu’un remède radical et souverain :
le catholicisme, seule doctrine qui en soit la contradiction absolue ».
La vraie cause du mal, grave, et profond, qui touche l’Europe
« C’est que l’idée, de l’autorité divine, et de l’autorité humaine, a disparu ».
Et pour ce mal, le remède n’est pas dans les réformes économiques, ni dans la substitution d’un gouvernement par un autre.
Le mal n’est pas dans les gouvernants mais dans les gouvernés.
Sans un esprit chrétien de charité et d’amour fraternel,
 tout système
 comme toute théorie
est condamné à l’échec.
 Il a des paroles prémonitoires sur la Russie
« Ce n’est pas mon opinion, cependant, que l’Europe n’ait rien à redouter de la Russie, je crois tout le contraire ; mais pour que la Russie accepte une guerre générale, pour que la Russie s’empare de l’Europe, il faut auparavant les trois événements que je vais dire, lesquels sont, remarquez-le messieurs. non seulement possibles, mais encore probables.
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 Il faut d’abord que la révolution, après avoir dissous la société, dissolve les armées permanentes
 en second lieu, que le socialisme en dépouillant les propriétaires, éteigne le patriotisme, parce qu’un propriétaire dépouillé, n’est pas, et ne peut pas être patriote
 En troisième lieu, il faut que se réalise la confédération puissante de tous les peuples slaves sous l’influence et le protectorat de la Russie.
Eh bien, lorsque la révolution aura détruit en Europe les armées permanentes, lorsque les révolutions socialistes auront éteint le patriotisme en Europe, lorsqu’à l’Orient de l’Europe, se sera accomplie la grande fédération des peuples slaves, lorsque dans l’Occident, il n’y aura plus que deux armées
– celle des spoliés
– et celle des spoliateurs
alors l’heure de la Russie sonnera
alors la Russie pourra se promener tranquillement l’arme au bras, en Europe alors le monde assistera au plus grand châtiment qu’ait enregistré l’histoire (….) De plus, messieurs, la Russie, placée au milieu de l’Europe
– conquise
– et prosternée
à ses pieds
absorbera par toutes ses veines, le poison que le l’Europe a bu et qui la tue, puis elle ne tardera guère à tomber, elle aussi, en putréfaction »
 Ce qui se fait se défera
Les nations qui tiennent entre leurs mains le destin de l’Europe et du monde déclineront à leur tour. Seule demeure la gloire de Dieu.
En voulant construire des systèmes
– en marge
– ou contre
l’ordre divin
les hommes déclenchent eux-mêmes les catastrophes.
 Telle est la thèse de Donoso
Elle se concrétisera en partie en Russie, soixante-dix ans plus tard avec l’avènement du communisme, qui est, aux yeux du marquis de Valdegamas, la régression de la société au gigantesque despotisme oriental, à la tyrannie absolue, le chaos maximum, la catastrophe majeure.
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« Il me semble évident, écrit-il dans sa lettre du 19 juin 1852, au Cardinal Fornari, que le communisme, de son côté, procède
– des hérésies panthéistes
– et de celles qui leur sont parentes
Lorsque tout est Dieu et que Dieu est tout, Dieu est surtout démocratie et multitude ; les individus atomes divins et rien de plus, sortent du tout qui les engendre perpétuellement pour entrer dans le tout qui perpétuellement les absorbe.
Dans ce système, ce qui n’est pas le tout n’est pas Dieu, quoique participant à la divinité, et ce qui n’est pas Dieu n’est rien, parce qu’il n’y a rien hors de Dieu qui est tout.
De là, le superbe mépris des communistes pour l’homme et leur négation insolente de la liberté humaine ; de là ces aspirations immenses à la domination universelle pour la future démagogie, qui s’étendra
– sur tous les continents
– et jusqu’aux dernières limites de la terre ;
De là ces projets d’une folie furieuse, qui prétend
– mêler
– et confondre
o toutes les familles
o toutes les classes
o tous les peuples
o toutes les races d’hommes
pour les broyer ensemble dans le grand mortier de la révolution, afin que de ce sombre et sanglant chaos sorte un jour le Dieu
– unique
– vainqueur de tout ce qui est particulier
– éternel
– sans commencement ni fin
– vainqueur de tout ce qui naît et passe
– le Dieu démagogie annoncé par les derniers prophètes, astre unique du firmament futur, qui apparaîtra porté par la tempête
o couronné d’éclairs
o et servi par les ouragans
La démagogie est le grand Tout, le vrai Dieu, Dieu armé d’un seul attribut, l’omnipotence, et affranchi
– de la bonté
– de la miséricorde
– de l’amour
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ces trois grandes faiblesses du Dieu catholique.
A ces traits que ne reconnaîtrait le Dieu d’orgueil, Lucifer ? »
 critiqué
 raillé
pour ses « visions catastrophique et apocalyptiques »,
Donoso, agacé, répond le 11 avril 1850, dans une lettre à son ami Louis Veuillot
« Je dois protester et je proteste contre ce rôle de voyant que l’on veut m’attribuer. Je n’ai pas annoncé la dernière catastrophe du monde ; j’ai dit simplement tout haut ce que le monde dit tout bas, j’ai dit : les choses vont mal ! Si elles suivent ce train, nous aboutirons à un cataclysme. L’homme pourrait se sauver ; qui en doute ? mais à condition de le vouloir ; or il me semble qu’il ne le veut pas. Eh bien, s’il ne veut pas se sauver, je crois que Dieu ne le sauvera pas malgré lui ».
A l’avance, il avait perçu de danger du clergé progressiste pour qui l’Eglise doit céder aux temps et aux circonstances :
« Je suis effrayé, confie-t-il au duc de Valmy dans une lettre du 9 juillet 1850, de la voie où s’est jetée une partie du clergé français. Sous prétexte de ne vouloir pas rendre l’Eglise solidaire d’un parti ou d’une forme de gouvernement, on prétend la jeter dans le champ des aventures. Comment ces malheureux ne voient-ils pas que ce chemin aboutit forcément à une catastrophe ? Notre Seigneur a menacé de méconnaître dans le ciel celui qui rougira de le confesser sur la terre. Comment ces prêtres dont je parle ne voient-ils pas que, en conseillant à l’Eglise de renier ses fidèles, de rougir de ses amis, ils ne font que lui conseiller de commettre ce grand péché
– de la honte pusillanime
– et de l’ingratitude ?
Cela peut être le conseil de la prudence humaine ; mais la prudence humaine est parfois bien méprisable et bien imprudente »
Le « Discours sur la situation de l’Espagne » du 30 décembre 1850, marque la rupture avec le parti modéré, dont il avait été le brillant théoricien.
Il s’agit d’une terrible diatribe contre
– l’opportunisme
– et la corruption de la classe moyenne et de ses représentants.
On y trouve également une critique mordante de la « centralisation apoplectique »
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 de la presse
 et du journalisme
aux mains des riches, de la confiscation de la liberté par les partis.
« Gouverner, ce n’est pas être servi, c’est servir, ce n’est pas jouir, cest
– ramer
– vivre
– mourir
la main sur la rame (…)
L’ordre matériel n’est rien sans l’ordre moral (…)
 C’est en vain que les philosophes s’épuisent en théorie
 C’est en vain que les socialistes s’agitent ;
o Sans l’aumône
o sans la charité
 il n’y a pas
 il ne peut y avoir de distribution équitable de la richesse.
Dieu seul pouvait résoudre ce problème, qui est le problème de l’humanité et de l’histoire ».
Il conclut :
« Je ne sais messieurs, si je serai seul ; cela est possible, mais, seul, absolument seul, ma conscience me dit que je suis très fort,
– non par ce que je suis
– mais par ce que je représente.
Je ne représente pas seulement les 2 ou 300 électeurs de mon district (….) Je ne représente pas la nation (…) Je représente quelque chose de beaucoup plus grand, je représente la tradition par laquelle les nations sont ce qu’elles sont dans la durée des siècles. Si ma voix a quelque autorité ce n’est pas, messieurs, parce qu’elle est mienne, c’est parce qu’elle est la voix de vos pères. Vos votes me sont indifférents, je ne me suis pas proposé de m’adresser à vos volontés, qui votent mais à vos consciences qui jugent.
Je ne me suis pas proposé d’incliner vos volontés vers moi, mais d’obliger vos consciences à ne pas me refuser leur estime ».
 Aucun ministre n’entreprit de réfuter ce terrible discours
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Donoso sait
– que la société est toujours précaire
– qu’une menace permanente
o de dislocation
o de désagrégation
pèse sur elle.
Il sait que les nations ne sont jamais sauvées par leurs engouements successifs pour les hommes, mais par leur fidélité à des principes.
Il sait combien la responsabilité des classes
– dominantes
– et montantes
est grande.
La bourgeoisie, « classe discuteuse » lui semble incapable de faire front à une époque de luttes sociales.
Les classes moyennes « gangrénées jusqu’à la moelle des os »
n’ont que « des cris d’admiration et des battements de main pour tous ceux qui disposent de la force »
Les classes aisées « réveillent l’envie et les instincts révolutionnaires des classes nécessiteuses » par « leur égoïsme insolent et criminel ».
Seul, le peuple dont « Le mal n’est pas aussi désespéré » lui parait porteur d’espérance.
A la reine Mère Marie-Christine, il écrit le 26 novembre 1851
« La question est de distribuer convenablement la richesse, qui est mal distribuée. Voilà, Madame, l’unique question qui agite aujourd’hui le monde. Si les gouverneurs des peuples ne résolvent pas le problème, le socialisme le résoudra en mettant à sac les nations. Ce problème ne peut plus maintenant être résolu pacifiquement que d’une seule manière. Il faut que la richesse accumulée par un égoïsme gigantesque soit distribuée en larges aumônes. »
Les « grandes aumônes » préconisées par Donoso Cortès
 ne sont pas un simple acte de charité
 mais un acte de justice.
De larges aumônes de la part du trône seront le 1er exemple :
19
« Le point de départ de la complète restauration de l’esprit du catholicisme dans la législation économique et politique »
Car « il faut tout écarter, tout changer et ne pas laisser pierre sur pierre de la révolution (….) faite en définitive par les riches et pour les riches, contre les rois et les pauvres ».
 Certains ont affirmé qu’il s’agissait là de solutions
 dérisoires devant
o l’ampleur
o la gravité
o l’urgence
de la question sociale du XIXè siècle
 utopiques
Utopiques au regard de son affirmation de la nécessité d’une profonde réforme morale, seule capable de sauver les peuples dont les moeurs sont perverties.
Mais n’est-ce point bien davantage une utopie que d’attendre
– d’une simple modification des institutions politiques
– d’une transformation des structures économiques
– ou de la victoire
o d’un parti
o ou d’une classe
l’avènement d’une communauté d’où toute contradiction aurait disparu ?
Sans doute Donoso Cortès n’est-il qu’un précurseur des doctrinaires du « catholicisme social » mais du moins a-t-il, lui, le mérite
– d’agir
– et non point seulement d’enseigner
Distribuant généreusement la plus grande partie de ses émoluments aux indigents, il prêche par l’exemple.
La véritable pauvreté ne consiste pas
– à ne rien posséder
– mais à être détaché des choses.
Sans hésitation, on peut affirmer que durant les dernières années de sa vie ses actes l’emportent sur ses écrits.
Au lendemain du « Discours sur la situation de l’Espagne » le marquis de Valdegamas manifeste une certaine lassitude à l’égard de la politique.
– déçu
20
– désenchanté
par l’inefficacité des méthodes politiques pour résoudre les véritables problèmes, il ne renonce pas pour autant à l’action.
Son objectif est désormais la société.
A partir de 1847 et jusqu’à sa mort, l’essence de ses publications est le lien entre
– l’humain
– et le supra-humain
– le naturel
– et le surnaturel
Pour Donoso Cortès, l’action que Dieu exerce par sa providence dans l’histoire temporelle, est parallèle à celle qu’il exerce par sa grâce dans le coeur de l’homme.
En dernier lieu, tout se réduit à la lutte entre
– Dieu
– et le pouvoir des ténèbres
– la grâce
– et le péché
– la vérité
– et le mensonge
– le bien
– et le mal
– la cité de Dieu
– et la cité du monde
Il a, selon la formule de Jules Chaix
« le sens (….) de l’intrinsèque liaison de l’interdépendance de tous les problèmes, ce qu’il y a, dans le catholicisme
– non de totalitaire
– mais d’universel »
C’est là sa pensée profonde qu’il révèle à son
– ami
– et disciple
Tejado, peu de temps après la publication de
« L’essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme ».
21
« J’ai entendu avant tout, dit-il, rétablir dans la société l’empire des vérités catholiques, et placer l’ordre moral sous la tutelle et la protection de l’Eglise. J’ai voulu que son esprit vivificateur et ses féconds enseignements puissent pénétrer et envelopper
– les entendements
– les coeurs
– les coutumes
– et les gouvernements des sociétés ».
On ne saurait condenser en quelques pages, la pensée donosienne telle qu’elle s’exprime entre 1847 et 1853.
Pas davantage enfermer en quelques lignes toute la richesse d’une oeuvre chargée de nuances et de suggestions que son « Essai sur le catholicisme … »
Par-dessus toute autre considération, l’idée fondamentale est qu’un monde en marge de Dieu est métaphysiquement impossible, que
« Toute grande question politique et humaine suppose, et enveloppe, une grande question théologique. »
« L’essai » est un défi
– à toutes les idées à la mode
– à toutes les théories
– à tous les systèmes optimistes élaborés depuis le début du siècle
une opposition résolue, consciente, à la mentalité dominante.
Il n’est pas l’oeuvre d’un théologien, mais d’un « combattant » qui, par devoir, se place délibérément face à la toute la pensée de son temps, sachant qu’il ne sera entendu ni même écouté.
Ainsi, alors que la foi illimitée
– en la science
– en la raison
– en l’humanité
– en l’idéal du progrès
sont les postulats que la philosophie européenne proclame, alors que la fin du Christianisme est tenue pour un fait, Donoso Cortès expose à nouveau les principes sur lesquels, depuis la Rédemption, la société a été édifiée, les doctrines que l’Eglise enseigne depuis des siècles.
Il juge les idées dominantes
Il les compare à la doctrine catholique et démontre leur radicale inefficacité pour résoudre les problèmes vitaux qui se posent à l’homme depuis toujours.
22
Donoso Cortès voit le monde partagé en deux civilisations
– celle du catholicisme
– celle du philosophisme
entre lesquelles il y a un abîme infranchissable.
Toutes deux
– se nient radicalement
– se combattent invinciblement
Il nie en bloc tous les systèmes rationalistes, lesquels reposent sur le principe que
– la raison est indépendante de Dieu
– toutes choses relèvent de sa compétence.
A l’inverse de la théorie catholique, écrit-il
« les théories rationalistes condamnent toute réforme morale de l’homme, comme inutile, et insensée »
Du libéralisme, affirmation dogmatique de l’indépendance absolue de la raison individuelle, et sociale, il dénonce
– non point la viabilité pratique
– mais les contradictions théoriques insondables
« L’école libérale ne dit jamais : j’affirme ou je nie, mais toujours, je distingue. Le suprême intérêt de cette école est que ne vienne jamais le jour
– des négations radicales
– ou des affirmations souveraines ;
et pour cela, au moyen de la discussion, elle confond toutes les notions et propage le scepticisme »
L’essence du libéralisme est de négocier, de traiter.
De même qu’il discute, et transige, sur chaque point le détail politique, il voudrait diluer la vérité métaphysique dans la discussion.
Si les libéraux se contentent de reléguer Dieu dans le ciel, comme quelque chose d’inutile
– que l’on exile
– ou que l’on met dans un coin,
les socialistes, plus conséquents, le nient simplement.
23
Aussi, Donoso Cortès méprise-t-il les libéraux, alors qu’il respecte le socialisme comme l’ennemi mortel en qui il reconnaît une grandeur diabolique.
Le libéralisme n’est qu’une solution batarde, qui n’adore sous le nom d’ordre, que le statique équilibre de pouvoirs savamment dosés :
« Si la société est saine et bien constituée, sa constitution sera assez forte pour subir impunément toutes les formes possibles de gouvernement ; si elle n’est pas capable de les porter, c’est qu’elle est mal constituée et malade.
Le mal ne peut être conçu que comme un vice organique de la société ou comme un vice de constitution de la nature humaine ; pour le faire disparaître, ce n’est donc pas la forme de gouvernement, c’est
– ou l’organisme social
– ou la constitution de l’homme qu’il faut changer ».

Autrement dit, commente Jules Chaix
– ou l’aliénation de l’homme provient d’un vice inhérent à l’organisation sociale
– ou elle résulte d’une perversion profonde originelle de sa volonté dont
o les désordres sociaux
o les contradictions économiques
o les conflits politiques
ne sont que le reflet.
Entre socialistes et catholiques, affirme Donoso Cortès, il n’y a que cette différence :
– les seconds affirment
o le mal de l’homme
o et la rédemption par Dieu
– les premiers affirment
o le mal de l’homme
o et la rédemption par l’homme.
 Pour le socialiste, le mal disparaîtra, sitôt la question sociale résolue
 Pour le catholique, il ne peut disparaître que par une intervention surnaturelle
 Pour les uns il faut faire en sorte de fonder une véritable communauté sans conflits de classe
 Pour les autres, la communauté doit se recréer en s’ordonnant à Dieu.
24
La volonté de l’homme doit être
– redressée
– orientée vers
o son principe
o et sa fin.
Comparées aux problèmes sociaux et religieux, les questions d’institutions publiques, et de gouvernement, ne sont rien.
Voilà pourquoi le débat véritable, tragique, la lutte finale, va s’engager entre
– le catholicisme
– et le socialisme athée
Les meilleurs passages de « L’essai », les plus grandioses, se perdent parfois dans de prolixes digressions théologiques. Les principales attaques sont portées contre Proudhon.
L’illusion du XIXè siècle résidait dans l’association
– du progrès de la technique
– à celui de
o la liberté
o et de la perfection morale de l’humanité
dans la création d’un concept uniforme du progrès.
Or, avec lucidité, Donoso Cortès voit l’essentiel, et le proclame. La pseudo-religion de l’Humanité absolue est le début du chemin qui conduit à la terreur inhumaine.
Il s’agit là, souligne Carl Schmidt, d’une conclusion nouvelle beaucoup plus profonde que les sentences que Maistre, continuateur du XVIIIè siècle, formule sur
– la révolution
– et la guerre
« L’Essai » est rédigé au printemps, et au début de l’été 1850.
Le 7 août le manuscrit est envoyé à Louis Veuillot. Il renferme, selon l’auteur, les principes généraux qui serviront de point de départ pour un ouvrage ultérieur plus ambitieux
« C’est une pierre d’attente ».
Aussitôt traduit en français, ce texte est soumis à révision.
25
Les observations, suggestions, et corrections faites, sont suivies au pied de la lettre.
Enfin, en mars 1851, Donoso Cortès qui vient d’être nommé ministre plénipotentiaire de l’Espagne à Paris, est en étroite relation avec l’éditeur français. Le 18 juin, peu de jours après sa parution à Madrid « L’Essai » est publié à Paris.
Les journaux en parlent avec éloge ; d’autres s’en font l’écho. Des éditions voient bientôt le jour en Allemagne et en Italie. Une traduction italienne, faite sur la traduction française paraît en 1852 à Foligno, dans les Etats romains, avec la double autorisation de l’évêque de la ville et du St Office.
Elle est enrichie de notes destinées à prévenir les fausses interprétations auxquelles certains passages, pris isolément pourraient donner lieu.
– Applaudi et loué, « L’Essai » est aussi attaqué, contesté.
Des polémiques passionnées s’engagent. Aux yeux de ses adversaires, Donoso Cortès est le plus radical des contre-révolutionnaires,
– un réactionnaire exalté
– un conservateur d’un fanatisme médiéval
– un obscurantiste
– un demi-fou
– un attardé
– un représentant de la bestialité du Moyen-âge
– dans la « Revue des deux mondes », Albert de Broglie soutient
– qu’il idolâtre le Moyen-Age
– qu’il conseille à l’Eglise une domination
 universelle
 absolue
Le 15 novembre1852, dans une lettre non publiée Donoso Cortès s’explique :
« Dans le Moyen-Age c’est uniquement la création de l’Eglise que je trouve admirable (….) Le Moyen-Age, même au milieu de la confusion de toutes choses, était dominé par le principe catholique, tandis que les sociétés modernes, même au milieu de l’ordre matériel, sont dominées par l’esprit révolutionnaire (…..) Il ne s’agit pas ici (….) de la question de savoir si la suprématie appartient au sacerdoce ou à l’empire, il s’agit seulement de savoir s’il est avantageux ou non à la société civile d’emprunter à l’Eglise les grands principes de l’ordre social, s’il lui est avantageux ou non d’être chrétienne.
De même que la soumission aux préceptes divins n’entraîne
– ni explicitement
26
– ni implicitement
sa domination dans les affaires temporelles. »
 que le pouvoir émane de Dieu
 qu’il se considère comme responsable envers lui de ses moindres actes
 et l’on pourra être certain qu’il n’excédera pas les limites qui lui sont fixées
« un pouvoir sans limite est un pouvoir essentiellement anti-chrétien, qui outrage tout à la fois la majesté de Dieu et la dignité de l’homme ».
Ainsi « la monarchie absolue est la négation de la monarchie chrétienne ».
Quand au « parlementarisme », il a détruit les corps intermédiaires, les légitimes résistances naturelles des hiérarchies sociales.
« En transportant la guerre , du champ de bataille à la tribune, et des bras aux esprits, il l’a retirée du théâtre où
– elle exhorte
– et elle fortifie
pour l’introduire là où elle affaiblit et énerve.
Dieu donna toujours l’empire aux races guerrières, condamna toujours à la servitude les peuples disputeurs ».
Donoso Cortès ne condamne pas le parlement mais le parlementarisme, la raison mais le rationalisme, la liberté mais le libéralisme,
non pas des formes
mais des doctrines, des principes.
Dans une longue lettre « Du principe générateur des plus graves erreurs de nos jours » adressée le 19 juin 1852 à S.E. le Cardinal Fornari, Donoso Cortès reprend sa thèse fondamentale :
en dernière instance, les conceptions
– morale
– sociale
– politique
– économique
et plus généralement toute manifestation de la vie humaine, dépendent du concept ultime que l’on a de Dieu.
27
Spécialiste de la pensée de Donoso Cortès, le professeur Federico Suarez précise qu’il s’agit là d’un des écrits les plus beaux pour la forme, et la précision, du langage.
« L’hérésie perturbatrice, qui, d’un côté, nie le péché originel, affirmant de l’autre, que l’homme n’a pas besoin d’une direction divine, cette hérésie conduit d’abord à affirmer la souveraineté de l’intelligence, ensuite à affirmer la souveraineté de la volonté, et enfin à affirmer la souveraineté des passions, trois souverainetés perturbatrices ».
« Le naturalisme dans lequel s’est engagée la pensée européenne est la contradiction
– radicale
– et absolue
 des croyances
 et des enseignements
défendus par l’Eglise. »
« En dernière analyse et en dernier résultat, toutes ces erreurs, dans leur variété presque infinie, se résolvent en une seule, laquelle consiste en ce qu’on a
– méconnu
– ou faussé
l’ordre hiérarchique, immuable de soi, que Dieu a mis dans les choses.
Cet ordre établit la supériorité hiérarchique de tout ce qui est surnaturel sur tout ce qui est naturel et, par conséquent, la supériorité hiérarchique
– de la foi sur la raison
– de la grâce sur le libre-arbitre
– de la providence divine sur la liberté humaine
– de l’Eglise sur l’Etat
et pour tout dire à la fois et en un seul mot
– la supériorité de Dieu sur l’homme ».
Le camp libéral formule des critiques acerbes contre « L’Essai », cela ne trouble guère Donoso Cortès. En revanche, il est très affecté par les accusations de certains milieux catholiques, comme celles de l’abbé Gaduel (vicaire général de l’évêque d’Orléans, Mgr Dupauloup), qui prétend que cet « Essai »
– contient des erreurs théologiques grossières
– et contient un ramassis de toutes les hérésies qui ont affligé l’Eglise.
28
Qu’en est-il ?
En réalité, cet « Essai » fut simplement l’occasion pour les catholiques de porter leur attaques contre
– Louis Veuillot
– et « L’univers »
Donoso Cortès, conscient de cela, refuse alors d’entrer dans la polémique.
Le 23 janvier 1853, il écrit au journal
« Il me suffit de savoir que l’on m’accuse d’être tombé dans un si grand nombre d’hérésies pour déclarer, comme je le déclare, que je condamne tout ce qu’a condamné, tout ce que condamne, tout ce que peut condamner à l’avenir, dans les autres ou dans moi, la Sainte Eglise catholique, dont j’ai le bonheur d’être le fils soumis et respectueux ».
A Turin, de savants ecclésiastiques prennent sa défense. La controverse bat son plein. Le marquis tranche enfin la question.
Publiquement, il soumet
– son livre
– ses opinions
– sa personne
au jugement de Rome.
Le 24 février, il remet « L’Essai » au Pape, accompagné d’une lettre et de tous les éléments se rapportant à la polémique.
Apaisé, il attend.
Le 23 mars, Pie IX lui répond par une lettre très affectueuse. Le 16 avril, la « Civiltà Cattolica », organe autorisé de la tradition théologique qui exerce une influence universelle sur la pensée catholique, examine avec soin les objections faites à « L’Essai » et affirme l’orthodoxie des doctrines professées par l’auteur.
– Alors qu’elle combat avec ténacité, l’immersion confusionniste de la foi et de la Révélation dans la tradition sociale et l’autorité humaine
– Alors qu’elle dénonce avec fermeté la pensée des philosophes traditionalistes saturée de
o sentimentalisme romantique
o symbolisme théosophique
o absolutisme théocratique
o légitimisme féodal
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la revue romaine reconnaît en Donoso Cortès l’héritier des manières de s’exprimer reçues de la tradition des saints Papes et des Pères de l’Eglise, et dans son oeuvre une compréhension authentiquement
– théologique
– et surnaturelle
de la réalité catholique.
« La Civiltà Cattolica» va donc souligner
– « La hauteur des pensées
– la vigueur de l’argumentation
– la vivacité pénétrante de la polémique
– la profondeur de la doctrine
– la pureté de la foi. »
« A vrai dire, nous ne pouvons qu’admirer comment un laïque formé ailleurs que dans un séminaire ou dans l’enceinte sacrée d’un cloître, possède si pleinement l’économie de la science théologique et pénètre d’une manière aussi sûre dans les mystères les plus élevés et dans les questions les plus délicates. »
L’abbé Gaduel ne confessera pourtant pas sa défaite. Pas un mot ne sera relaté sur les louanges de la « Civitta cattolica » dans ce camp libéral. La passion déchaînée par « L’Essai » résistera même à la disparition de l’auteur.
Donoso Cortès ne connaitra pas sa victoire. Il meurt à 44 ans, le 3 mai 1853 terrassé par une maladie de coeur.
Son ami Louis Veuillot rapportera ses dernières paroles
« Le dernier acte sorti de sa bouche a été un acte de foi. Il avait promis à la soeur de Bon Secours, s’il mourrait, de prier pour elle. Le voyant près de s’éteindre, elle lui dit « vous allez paraître devant Dieu, souvenez-vous de moi ». D’une voix libre et claire, il répondit : « je vous le promets ». Et presque au même instant il expira ».
Arnaud Imatz a ces belles paroles
« Tout est possible à celui qui croit, tel est le témoignage que nous lèguent les dernières années de la vie du marquis de Valdegamas. Son intransigeance courageuse offre un aspect plaisant, noble et chevaleresque. Il est toujours beau de voir un homme battu comme un rocher par les flots et les vents, rester debout, immobile, sans reculer. »
30
Cinq ans après sa mort, sa famille publia à Paris une sélection de ses « oeuvres » précédée d’une brillante introduction de Louis Veuillot.

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