
En ce jour où l’on enterre le pape François, et où les spéculations vont bon train sur qui sera le prochain élu du Conclave, conservateur ou progressiste, il est bon de rappeler qu’il n’y a pas de tendance dans l’Église, il n’y a pas de droite ni de gauche dans l’Église. Il y a ceux qui sont d’Église et ceux, qui sont peut-être infiltrés, mais qui n’en sont pas.
Avec la trahison du conciliabule Vatican II, cela fait soixante ans, au moins, qu’une idée erronée concernant l’Église s’est immiscée dans les esprits
Avec la trahison du conciliabule Vatican II, cela fait soixante ans, au moins, qu’une idée erronée concernant l’Église s’est immiscée dans les esprits. Celle-ci, pense-t-on, serait mue par un jeu de tendances contraires. Il y aurait une aile gauche et une aile droite. Il y aurait les progressistes d’un côté, les conservateurs de l’autre et tout ce beau monde, ensemble, serait d’Église et la ferait avancer.
Pourtant, rien n’est plus dévastateur pour la Sainte Église que cette ecclésiologie fausse. Comme le fit remarquer un traditionaliste de la première heure :
« Il n’y a pas de tendance dans l’Église, il n’y a pas de droite ni de gauche dans l’Église. Il y a ceux qui sont d’Église et ceux, qui sont peut-être infiltrés, mais qui n’en sont pas. Ce sont de faux témoins, ce sont de faux chrétiens. »1
En bref, on est soit dans l’Église, soit en-dehors. Cette distinction « droite/gauche » n’a en réalité de valeur que pour situer les âmes par rapport au Christ : à sa droite avec les élus, à sa gauche avec les damnés (Mt 25:33). De la même manière qu’on ne peut servir deux maîtres, l’on ne peut à la fois prêcher la Révélation et se faire le héraut de la Révolution.
Mais d’où vient cette conception erronée ?
Mais d’où vient cette conception erronée ?
Cette vue de l’esprit, qui a germé dans la tête des modernistes, leur vient essentiellement de la philosophie moderne sur laquelle ils appuient l’ensemble de leurs délires. Philosophie qui, hélas, en vint à triompher officiellement dans l’Église, malgré l’arsenal magistériel que les Papes d’avant le Concile surent déployer pour d’une part rendre justice à la Vérité et d’autre part afin de protéger agneaux et brebis2.
Selon cette philosophie, le monde, son histoire, l’humanité, tout serait mu par un antagonisme nécessaire, un entrechoc fondamental – donc voulu ! – de forces contraires duquel surgiraient des crises fécondes qui, une fois les oppositions réconciliées, dépassées, déboucheraient sur un paradigme nouveau. C’est ici la grande marche révolutionnaire du « Progrès », cette nouvelle « colonne de nuées » guidant les peuples vers l’abîme. On le comprend aisément, les « philosophes » modernes troquèrent la Providence divine contre la dialectique hégélienne.
Le Concile Vatican II ou la dialectique dans l’Église
Ainsi, peut-on dire que le Concile Vatican II est l’adoption officielle, par l’autorité même de l’Église, de cette dialectique révolutionnaire que l’on ne peut certainement pas dire procéder de l’Esprit-Saint, ainsi que nous venons de le voir. L’explication que l’on en fournira est toute contenue dans le discours de clôture du Concile par Paul VI lui-même :
« L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »
Ainsi, deux forces contraires, deux oppositions qui depuis plus de deux siècles s’affrontaient vigoureusement, donnant lieu parfois à de terribles soubresauts, se sont, grâce au Concile, rencontrées et, dépassant leurs spécificités exclusives (l’athéisme des uns, le théocentrisme des autres), surent se réconcilier, pour finalement donner naissance à ce monstrum anthropocentrique qui s’est depuis autobaptisé « église conciliaire ». Pour approfondir le sujet, nous renvoyons à l’étude de l’abbé Calderon : Prométhée.
Conservateurs contre Progressistes
Ainsi, appliquant cette dialectique à l’Église, les modernistes en sont donc venus à concevoir que son mouvement (comprendre : son évolution) relèverait de l’opposition entre deux forces en apparence opposées : la force progressiste et la force conservatrice. Dans sa célèbre encyclique Pascendi Dominici Gregis (1907) – véritable manifeste antimoderniste – le Saint Pape Pie X met en lumière cette forfaiture, fournissant aux ouailles, par le truchement de leurs évêques, les éléments de compréhension pour mieux s’en prémunir.
Ce qu’il faut bien saisir c’est que pour le modernisme (nous disons à dessein le modernisme et non les modernistes qui peuvent très bien ne pas saisir l’engrenage révolutionnaire dans lequel ils s’inscrivent, parfois sincèrement) l’affrontement entre progressisme et conservatisme est nécessaire, vital. Sans ce dernier, le modernisme, qui n’est autre que le prête-nom de la Révolution « en tiare et en chappe », s’effondre, entraînant par-là, faute de mouvement, l’arrêt de celle-ci, ce qu’évidemment les ennemis de l’Église ne veulent pas. Ainsi, selon la célèbre image du « deux pas en avant, un pas en arrière », verrons-nous toujours la partie progressiste avancer deux fois plus que ce que ne recule la partie conservatrice. Ce faisant, la Révolution progresse toujours. Dès lors, nous comprenons bien que les conservateurs n’ont d’autre utilité dans le rouage moderniste que de faire triompher les progressistes cohérents qui, eux, contrairement à leurs complices modérés inavoués, poussent les principes révolutionnaires jusqu’à leurs ultimes conséquences. Aussi, feignant de limiter la portée destructrice de la Révolution moderniste afin qu’elle soit mieux acceptée par la base, le conservatisme (ou la prétendue « aile droite » de l’Église) ne demeure rien de moins qu’un attrape-nigaud dont le rôle essentiel est de contenir les velléités traditionnalistes en fixant (ou conservant !) les hommes de bonne volonté dans leurs illusions.
L’après François
Eu égard à ce qui précède, il est fort à parier que la mort de François donne lieu à un énième et stérile affrontement entre les deux camps de la Révolution conciliaire. Tandis qu’on en voit certains se rassembler pour célébrer le Pape de l’inclusivité et du « Qui suis-je pour juger ? », d’autres expriment déjà leur espoir de voir monter sur le Trône de Pierre un Benoît XVII ou un Jean-Paul III qui viendra corriger les errements, les horreurs (!) de l’Argentin. Ainsi, ceux-là, continueront-ils de se bercer d’illusions, pourvu qu’on leur laisse la messe traditionnelle, leurs belles églises et la Cappa Magna. Refusant encore et toujours de reconnaître que François, aussi loin qu’il aura poussé l’apostasie conciliaire, n’en était guère le pionner mais qu’un simple continuateur, auquel finalement, quand on fait le bilan des dernières décennies, ses prédécesseurs n’auront laissé à détruire que la nature et ce qui restait encore intact de la Papauté. Papes conciliaires, tous sans exception, ne sont qu’autant de marches d’un même escalier révolutionnaire qui depuis plus de soixante ans détruit l’Église de l’intérieur. Lassante Révolution conciliaire…
Si certains ont encore du mal à s’en convaincre, de bon cœur nous les renvoyons vers l’ouvrage Coup d’État dans l’Église de Don Mancinella, véritable exposé de la situation dramatique dans l’Église, dans lequel l’auteur rappelle les principes du modernisme et aborde sans ambages ni passion déréglée les responsabilités de l’ensemble des Papes conciliaires (jusque François compris), livrant à la connaissance du lecteur la quasi-intégralité de leurs « fioretti » conciliaires. Après une telle lecture, c’est à se demander lequel d’entre eux en aura collectionné le plus au cours de son pontificat.
Suzi Feufollet
[1] https://www.youtube.com/watch?v=rU-QGvRjYgQ&t=663s
[1] Entre autres : « Mirari vos » de Grégoire XVI (1832), « Quanta Cura » et le Syllabus de Pie IX (1864), « Humanum Genus » de Léon XIII (1884), « Pascendi Dominici Gregis » de St Pie X (1907) ou encore « Humani generis » de Pie XII (1950).
Cet article vous a plu ? MPI est une association à but non lucratif qui offre un service de réinformation gratuit et qui ne subsiste que par la générosité de ses lecteurs. Merci de votre soutien !