Nous publions volontiers ci-dessous ce communiqué d’Alain Escada, président de Civitas.

Le texte ci-dessous examine la Marche pour la Vie à la française (car différente de la façon dont se passent des marches du même nom dans d’autres pays) pour en tirer une réflexion stratégique à usage des catholiques.

J’ai voulu rédiger et publier cette réflexion après le déroulement de la Marche pour la Vie du 21 janvier 2018, afin qu’on ne puisse pas m’accuser d’avoir eu l’intention de saboter sa réussite.

Peut-on d’abord parler de réussite ? En terme de quantité de participants, malgré une météo pluvieuse, parler de réussite n’est pas usurpé. Mais le nombre n’est pas tout, loin s’en faut. Et si, depuis de nombreuses années, cette Marche pour la Vie attire de nombreux participants, elle n’a guère pu enrayer le processus mortifère, encore moins faire entamer au législateur machine arrière.

Il est donc légitime de s’interroger : pourquoi une telle mobilisation reste-t-elle infructueuse ? Et si la raison provenait d’une erreur stratégique ?

Le combat de la jeunesse

Il est très réconfortant de constater le nombre important de jeunes gens qui participent à cette Marche pour la Vie et même s’investissent dans son organisation logistique avec fougue et enthousiasme. Mais ce potentiel précieux de générosité de la jeunesse de France est-il guidé comme il se doit ?

Une fois de plus, j’ai été effondré de voir l’ambiance festive de cette Marche pour la Vie. En direct, un tweet de la Marche pour la Vie, très symptomatique, disait : « On nous dit moyen-âgeux ? On danse !« . Le message était assorti d’une courte vidéo montrant les jeunes participants à la Marche pour la Vie se trémousser sur une chanson de Stromae. Une chanson dont les paroles sont notamment : « Alors on chante. Alors on danse. Et là tu te dis que c’est fini. Car pire que ça ce serait la mort. » Et en effet, à voir ces images, on se dit que si ces jeunes font la fête, chantent et dansent lors d’un rendez-vous contre l’avortement, c’est que ce combat est fini, perdu.

Il y avait d’ailleurs une similitude frappante avec ces images de Marine Le Pen en train de danser après l’annonce de sa défaite électorale à l’élection présidentielle.

C’est une faute grave que d’entraîner ces jeunes gens généreux à faire la fête, chanter et danser le jour où ils se rassemblent contre l’avortement qui tue chaque année plus de 220.000 enfants dans le ventre de leurs mères. Les faire agir ainsi, c’est anesthésier leur potentielle vertu de force qui pourrait les conduire à de grandes choses.

Relisez ces mots de Paul Claudel : « Ne croyez pas ceux qui vous disent que la jeunesse est faite pour s’amuser. La jeunesse n’est pas faite pour le plaisir, elle est faite pour l’héroïsme« .

Le combat des mots

Il faut d’ailleurs noter également une erreur stratégique des organisateurs de la Marche pour la Vie dans le choix des mots. Les mots ont un sens. Et il est affligeant de constater que la Marche pour la Vie s’entête à utiliser le langage de l’adversaire, cédant d’emblée du terrain. Ainsi, pas une pancarte, pas une banderole officielle de la Marche pour la Vie n’utilise le mot « avortement ». Partout, il est question d’IVG pour interruption volontaire de grossesse. Cet acronyme inventé par les partisans du droit à l’avortement cherche précisément à atténuer l’image d’un enfant mis à mort. Le mot « interruption » est absurde. L’interruption est l’action qui fait cesser momentanément la continuité de quelque chose. Si vous interrompez une lecture, c’est pour ensuite la reprendre. Dans le cas d’une grossesse, il n’y a pas interruption mais arrêt définitif et irrémédiable. L’avortement tue l’enfant dans le ventre de sa mère.

Comment faire comprendre à l’opinion publique l’horreur de l’avortement si on choisit d’utiliser les mots de l’adversaire inventés pour en atténuer la réalité ?

Le combat des idées

C’est aussi une erreur des organisateurs de la Marche pour la Vie d’utiliser les références de l’adversaire. Ainsi, parmi les pancartes et banderoles officielles de la Marche pour la Vie figurait le slogan : « Les Droits de l’homme commencent dès l’origine« . Mais les droits de l’homme sont un héritage de la révolution de 1789 qui est à l’origine même des bouleversements dont l’avortement et l’euthanasie sont des conséquences.

Ces droits de l’homme ont été rédigés par la franc-maçonnerie. Cette même franc-maçonnerie qui est l’auteur d’origine de la loi sur l’avortement. Le Dr Pierre Simon, ancien grand maître de la Grande Loge de France, déclarait dans une interview à TF1, le mercredi 7 décembre 1992, dans l’émission Droit de Savoir : «  C’est par le canal particulier de la fraternelle parlementaire, d’une part, mais d’autre part aussi par d’autres amis qui aiment bien écouter la pensée maçonnique et réfléchir avec nous, c’est par dessus les partis que l’on a pu faire passer la législation sur l’avortement. « 

Selon les mots de Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Le combat doctrinal et eschatologique

J’en termine avec une faute stratégique essentielle de la Marche pour la Vie : être portée majoritairement par des catholiques tout en faisant le silence total sur Dieu.

Les organisateurs de la Marche pour la Vie m’objecteront que c’est précisément leur choix stratégique. Mais on juge un arbre à ses fruits et cette stratégie est un échec complet. A l’inverse, en Amérique latine comme en Europe centrale, les marches pour la Vie ont un caractère explicitement catholique et utilisent des slogans condamnant fermement l’avortement. Et c’est dans ces pays-là que les résultats sont les plus importants en ce qui concerne les lois.

Saint Pie X nous enseigne à ce sujet : « Sans doute, quand il s’agira d’éclairer des hommes hostiles à nos institutions et complètement éloignés de Dieu, la prudence pourra autoriser à ne proposer la vérité que par degrés. Mais ce serait transformer une habileté légitime en une sorte de prudence charnelle que de l’ériger en règle de conduite constante et commune. » (Encyclique Jucunda Sane)

Or, l’avortement est un crime contre Dieu.

Le Docteur Xavier Dor, inlassable défenseur des enfants à naître, l’a fort bien expliqué. « Le crime contre Dieu n’est pas un acte individuel, isolé ou même répété. Dû à notre misère, il est un acte collectif, réfléchi, orchestré, tour à tour caché et exalté, déclaré moral, financé et rentable, offert à la révolution sexuelle et à la volonté de puissance de quelques-uns. Les victimes ne sont pas seulement les plus petites, mais la société toute entière, blessée dans sa chair, pervertie, emportée dans le tourbillon d’une folie suicidaire. Le crime contre Dieu n’est pas tant celui des âmes que celui des institutions. C’est un crime politique. Il est celui de la morale et de la justice livrées à la souveraineté populaire, de l’homme en assemblée qui décide du bien et du mal, de la laïcité qui substitue la déclaration des droits de l’homme au Décalogue, la loi civile à la loi morale, l’arbitraire à l’immuable. Ce crime est l’envahissement de la politique par le subjectivisme. La Cité se fait Dieu. L’intention est évidente. Elle ressemble trop au mensonge de Satan : « Vous serez comme des dieux », pour ne pas être satanique elle-même.« 

Et si certains doutent encore, relisez ces propos ô combien toujours d’actualité que le socialiste laïque Jean Jaurès écrivait dans son journal à l’issue d’un débat à la Chambre et au Sénat : « Nos adversaires ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal ? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution, l’entière pensée catholique, de réclamer pour le Dieu de la révélation chrétienne, le droit non seulement d’inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile ? Non, ils se sont dérobés, ils ont chicané sur des détails d’organisation. Ils n’ont pas affirmé nettement le principe même qui est comme l’âme de l’Eglise.« 

Ces reproches que Jean Jaurès adressait avec raison aux catholiques de son époque expliquent sans détour les défaites des catholiques de France depuis plusieurs décennies.

Puisse cette modeste réflexion stratégique que je vous livre permettre d’enfin changer les choses. Il est temps que les catholiques de France, à l’image par exemple des catholiques de Pologne, assument d’agir en catholiques, portent ouvertement témoignage de leur foi et de leur doctrine, et fassent entendre publiquement leur voix, même s’ils ne sont pas certains de pouvoir récolter là où ils auront semé.

Alain Escada, président de Civitas

 

 

 

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