Tribune libre de John Pedler, ancien diplomate, dipconsult.blogspot.fr

KERRY_LAVROV

Le Tweet du Secrétaire d’État John Kerry (CNBC 12 mai) “J’ai eu des discussions franches avec le Président Poutine & FM Lavrov sur des questions clés, dont les pourparlers sur l’Iran, l’Ukraine et la Syrie” est véritablement historique. Car il pourrait annoncer la détermination du président Obama à utiliser les 17 derniers mois de sa présidence pour ouvrir la voie à une période de coopération dans les affaires mondiales, mettant fin à la poussée résurgente des néo-conservateurs pour un monde unipolaire dominé par les États-Unis. Si – et c’est un grand si – cela se concrétise, malgré l’opposition républicaine, il y a espoir que les Etats-Unis et l’UE puissent travailler avec la Russie pour faire de l’Ukraine le trait d’Union bénin qu’elle devrait être en unissant l’ouest de l’UE et l’est de l’Europe russe, au lieu d’être la pomme de discorde actuelle.

 Répartir les fautes

Une partie des médias anglo/américains présentent la visite de Kerry dans la datcha de Poutine à Sotchi comme une défaite pour les Obama. Mais un changement positif serait une victoire pour les deux et surtout pour cette denrée rare, le bon sens. J’espère que les médias « de l’Occident » se détacheront maintenant de leur mantra fréquent qui veut que la crise de l’Ukraine est ‘entièrement de la faute de Poutine’, et prendront enfin en compte ce que de nombreux experts « Occidentaux » avancent depuis longtemps, à savoir que la responsabilité de la crise de l’Ukraine réside au sein de l’Union européenne et des États-Unis, ainsi que de la Russie. Deux publications récentes méritent une attention qu’elles n’ont pas reçues. La première est le rapport du 10 février de la Commission de la Chambre des Lords sur les Affaires étrangères, présidée par Lord Tugendhat. Il déclare que “des lacunes des affaires étrangères [et par extension de l’UE] ont conduit à une erreur d’interprétation catastrophique du climat ambiant au cours de la période précédant la crise en Ukraine. La seconde est la récente œuvre monumentale du professeur Sakwa, « Frontline Ukraine », distribuant le blâme de façon impartiale à l’Union européenne, le Président Poutine et les Etats-Unis.

 Depuis des mois maintenant, les célèbres historiens Mearsheimer, Margaret Macmillan, et Tarik Cyril Amar blâment les politiques américains et européens qui ont ignoré les intérêts vitaux de la Russie. Dès le 8 septembre dernier, trois anciens ambassadeurs américains auprès de la Russie/URSS ont signé une Lettre d’Opinion du New York Times titrant « Donner une chance à la diplomatie » – Jack F. Matlock, Thomas Pickering et James F. Collins. 

 EU, US, Russie – leurs véritables intérêts nationaux coïncident

La conférence de presse annuelle du 21 janvier du ministre des affaires étrangères russe, Sergei Lavrov, et le grave avertissement de M. Gorbachev du 29 janvier peuvent maintenant être perçus pour ce qu’ils sont – des indications selon lesquelles la Russie est prête à négocier sur l’Ukraine à condition que ses intérêts soient respectés.

La Russie a un intérêt vital pour l’Ukraine, l’UE a un intérêt très important, les États-Unis n’ont aucun intérêt politique tant que l’Ukraine reste ce trait d’union bénin. Bafouer l’intérêt national vital de la Russie pour l’Ukraine est ce qui a mené à la crise actuelle. L’appel à l’Ukraine pour qu’elle adhère à l’OTAN a été la goutte d’eau faisant déborder le vase. Et M. Poutine, avec sa hantise compréhensible et quasi obsessionnelle des États-Unis est prêt à saisir son épée dès qu’il se sent défié ; et si l’on continue à le défier, alors il la sort de son étui.

Ce n’est pas seulement le président Obama qui est sous pression pour mettre fin à la situation bloquée actuelle avec la Russie. Le président Poutine est également sous pression. L’assassinat le 27 février du leader de l’opposition russe Boris Nemtsev, qui a ouvertement décrié les politiques qui avaient apporté la guerre civile en Ukraine, a révélé momentanément la profondeur du ressentiment de la classe moyenne russe envers l’aliénation de l’« Occident » par le président Poutine. Poutine est populaire en Russie pour défendre les intérêts vitaux de la Russie, comme tout Président russe se doit de le faire, pas pour défendre une guerre civile ukrainienne qui n’est dans l’intérêt de personne – en particulier les Ukrainiens malheureux. Donc si Poutine se voit proposer une offre que la Russie « ne peut pas refuser », il est susceptible de l’accepter.

Perspectives d’accord sur le statut de l’Ukraine

L’année dernière, la scène était enfin prête pour des négociations sérieuses sur la forme d’un règlement de la situation ukrainienne. Car l’Union Européenne (La Chancelière Merkel et le Président Hollande) avaient entamé des pourparlers directs sur l’Ukraine avec la Russie (président Poutine) sans impliquer directement les Etats-Unis, mais avec la participation de tous les partis ukrainiens. Ces discussions en cours pourraient seraient maintenant beaucoup plus susceptibles de donner lieu à des négociations visant à mettre fin à la guerre civile et à déterminer le statut futur de l’Ukraine.

 Il y a également une prise de conscience croissante que ni l’« Occident », ni la Russie ne peuvent se permettre de se faire plus d’ennemis qu’ils n’en ont déjà. Ils ont tous deux besoin de partenaires : l’Iran, la Syrie et ISIS. Et de bonnes relations UE/Russie détermineront en grande partie si une ère de coopération désespérément nécessaire remplacera ces temps de confrontation. Le président Obama avait raison lorsqu’il a fait remarquer que dans le monde actuel, vous ne pouvez pas arriver à grand-chose sans la Russie.

 La forme d’un accord

Dans un de mes articles avant l’annexion de la Crimée (14 mars 2014), j’ai instamment demandé que des négociations soient ouvertes qui incluraient la location des bases de la Russie en Crimée (intérêt vital n°1 de la Russie en Ukraine), à renouveler à perpétuité dans le cadre d’un ensemble de décisions. Il est trop tard pour cela maintenant, mais il serait toujours possible de rechercher d’importantes concessions russes sur la gouvernance de la Crimée en échange de l’accord russe sur l’intégralité de l’ensemble des décisions qui comprendraient que l’Ukraine ne rejoigne aucune alliance militaire.

Etant donné la situation économique catastrophique de l’Ukraine en raison de la mal-gouvernance et de la corruption, n’importe quel type de package pourrait inclure l’UE répondant à l’offre de Poutine (retirée depuis) de 15 milliards d’USD sous forme d’aide – les 30 Mrds évalués comme l’exigence minimale de l’Ukraine complétée par le prêt du FMI. Tout traitement préférentiel économique pour l’Ukraine à accorder à l’UE et à la Russie ; une commission mixte UE/Russie pour l’Ukraine, basée à Kiev, pour signaler toute violation de l’accord et coordonner ce « Plan Marshall » UE/Russie. Évidemment, tout cela aurait besoin d’être étoffé, mais quelque chose allant dans ce sens constituerait la base pour le statut futur de l’Ukraine. Une telle proposition serait probablement accueillie avec soulagement par la plupart des Ukrainiens – mais il faudrait bien sûr avoir le dernier mot lors d’un référendum effectué correctement.

Ainsi, tous à la fois, après trois heures passées par M. Kerry avec M. Lavrov et quatre heures avec le président Poutine, il existe une réelle perspective d’un changement des politiques américaines et européennes envers l’Ukraine, qui pourraient être acceptables pour la Russie. Il revient maintenant à l’UE d’avoir son propre « Sochi » avec Poutine et Lavrov et de travailler ensuite avec tous les partis ukrainiens pour faire de l’Ukraine ce trait d’union essentiel joignant l’est et l’ouest de l’Europe. 

Mais les États-Unis et la Russie sont tous deux de gros navires– et il est difficile de faire changer de cap les gros navires, en particulier quand ceux sur le pont se trouvent à l’extérieur pour s’emparer du gouvernail : les néo-conservateurs unipolaires aux Etats-Unis et le KGB « Silovki », qui sont montés à bord au moment où Poutine a fait son apparition sur la scène mondiale. Il sera difficile pour Kerry et Lavrov de garder l’écoute de leurs patrons. Les médias pourraient faire beaucoup pour les aider.    

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