Sheila Fitzpatrick est professeur d’histoire à l’université de Sidney, ancienne présidente de l’Association américaine pour l’avancement des études slaves et coéditrice du Journal of Modern History. Elle est aussi l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur la Russie soviétique.

Quand Staline cherchait à temporiser lors d’une négociation avec des étrangers, il lui arrivait de se retrancher derrière une difficulté : obtenir l’accord de son Politburo. C’était interprété comme un faux prétexte, puisque les diplomates présumaient à juste titre que la décision finale lui appartenait. Mais cela ne signifie nullement qu’il n’existait pas un Politburo qu’il consultait ou une équipe de collègues avec laquelle il travaillait. Cette équipe – une douzaine de membres en permanence, tous des hommes – prit forme dans les années 1920, combattit après la mort de Lénine contre les équipes de l’Opposition, menées par Léon Trotski et Grigori Zinoviev, et se maintint pendant trois décennies, réussissant à survivre à des épisodes qui la menaçaient directement, comme les grandes purges, la paranoïa des dernières années de Staline et les périls de la transition post-stalinienne. Rester unis en politique pendant trente ans, c’est long, même dans un climat moins délétère que celui de l’Union soviétique sous Staline. L’équipe se dispersera finalement en 1957, quand l’un de ses éléments, Nikita Khroutchev, s’instaura chef suprême et se débarrassa du reste de ses coéquipiers.

Sheila Fitzpatrick décida d’écrire ce livre quand les archives Staline devinrent enfin accessibles, avec notamment de très nombreux échanges de lettres entre Staline et les autres membres de son équipe.

Qui sont réellement ces hommes ? Quelle était leur existence dans l’antichambre de Staline ? Quel fut leur rôle exact ? Quelle a été leur influence ? Ce livre nous en dit beaucoup. On sait maintenant que chez Staline, à un degré inhabituel dans le monde des leaders politiques contemporains, la vie politique et la vie sociale étaient très étroitement liées. Il voyait beaucoup les membres de son équipe, dans les appartements dont ils disposaient au Kremlin ou bien en dehors de Moscou, dans sa datcha personnelle. Ce fut encore plus le cas après le suicide de sa femme en 1932, quand l’équipe et les parents par alliance hérités de ses deux mariages constituaient pratiquement les composantes uniques de sa vie sociale. Il devint plus solitaire encore après les grandes purges, qui virent l’éclatement de sa famille par alliance. Les membres de l’équipe ont laissé des récits mémorables de ces terribles soirées à la datcha auxquelles ils étaient contraints de participer (sans les femmes et les enfants, contrairement aux années trente) et qui constituaient pour eux un véritable fardeau.

Il y avait notamment parmi ces hommes examinés dans ce livre le proche collaborateur Molotov, le coléreux Ordjonikidzé, le pervers sexuel et grand corrompu Beria, le prématurément disparu Kirov, l’apparatchik dodu Malenkov, le chargé des purges Andreïev, le tyranneau Kaganovitch et l’ambitieux Khroutchev.

L’une des révélations surprenantes de ce livre est que le plus gros problème rencontré par les membres du Politburo en matière de politique intérieure semble avoir été le « problème juif ». Leur brusque renoncement à la campagne antisémite lancée dans les dernières années de Staline contraria et déçut une grande partie du public non juif, et le fait que Staline soit mort juste après avoir désigné les médecins juifs comme de possibles espions et de possibles assassins fit penser à beaucoup qu’ils l’avaient tué. Dans les années qui suivirent, la question juive se retrouva mêlée à tout; les principales préoccupations populaires de l’époque concernant le Kremlin consistèrent pour l’essentiel à spéculer pour savoir quel leader était réellement juif, et s’il agissait ou non pour le compte des Juifs.

Au final, il apparaît que Staline pouvait se montrer brutal avec son équipe ou, selon les moments, se comporter vis-à-vis d’elle en camarade. Il pouvait exclure des membres de son équipe et même les faire tuer. Mais il ne se passa jamais de cette équipe.

Dans l’équipe de Staline, Sheila Fitzpatrick, éditions Perrin, 448 pages, 25 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

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