Cet article, traduit de l’anglais (Australie) avec l’aimable autorisation de l’auteur, Peter Korotaev, par Thierry Marignac, est tiré de la lettre d’informations paraissant sur la plateforme Substack (où publie Seymour Hersch) « Events in Ukraine ». Il suit et complète avec un regard ukrainien le document « La Guerre avant la guerre » de Thierry Marignac, paru en 2023 aux éditions Konfident, confirmant nombre des informations et hypothèses de cet ouvrage.
Le IVe Reich demande la paix et des purges
Quand on parle des militaires nationalistes qui adorent Hitler, on aurait tendance à penser qu’ils seraient moins favorables à la paix qu’un ancien comique juif parvenu au pouvoir avec un programme de paix, non ? La réalité est plus intéressante.
Bienvenue au IVe Reich
Les Récits du IVe Reich, à présent rebaptisé Les Récits du IVe Empire, probablement l’œuvre d’un lieutenant d’Azov, se caractérise par plus de sobriété que des canaux analogues, c’est pour ça que j’aime tant le lire.
Ce qu’il y a de plus frappant, c’est que ses articles semblent faire allusion à un sentiment parmi les combattants de l’armée selon lequel la revendication des frontières de 1991 est irréaliste et mène à la destruction des meilleurs nationalistes de l’Ukraine dans des boucheries motivées par des considérations politiques. Non sans insinuer, bien entendu, que Zelenski n’est pas mécontent de voir mourir de dangereux concurrents.
La peur de la paix
Une des raisons pour lesquelles les Récits s’inquiètent d’une guerre interminable, c’est qu’elle place une grosse pression politique sur la population générale, ce qui n’a jamais été favorable aux objectifs du nationalisme radical.
Récits s’est toujours inquiété de l’exigence de paix des populations. Quatre jours avant le 24 février 2022, il écrivait des articles paranos sur la façon d’ont l’Occident et la Russie faisait pression sur l’Ukraine pour mettre en œuvre les accords de Minsk :
Parmi les combattants, je connais beaucoup de gens déçus et désorientés Certains sont fatigués, certains n’ont vu aucun changement, certains ont fondé des familles. Tout le monde n’est pas prêt à reprendre les armes. Ces tendances nous sont nuisibles, dans la situation actuelle.
L’intégration des accords de Minsk dans la Constitution ukrainienne est pire pour nous — la droite ukrainienne — qu’une guerre déclarée. Nous sommes habitués à combattre les Russes — guerre de mille ans pour la liberté — Européens de l’Est repoussant la horde tatare jusqu’à aujourd’hui. Si les autorités ukrainiennes succombent aux pressions russes et occidentales, nous aurons une « zone en guerre » dans tout le pays. Pour nous autres, militaires anciens combattants, il n’y aura aucune vie dans une telle Ukraine. Nous serons constamment en butte aux persécutions du système, avec la possibilité d’être éliminés par des militants séparatistes amnistiés. Vivre perpétuellement dans la peur n’est souhaitable pour personne.
Si nous résistons farouchement à l’armée russe et unifions la nation contre l’ennemi, nous ne pouvons perdre. Ceux qui sont épuisés et restent chez eux, par peur de la défaite ne pourriront pas en prison, ne périront pas assassinés. Certains Ukrainiens ont cru les bolchéviques en 1920 et déposé les armes — ils moururent de faim où passèrent leurs vies dans des camps.
Aux armes !
Le 13 juillet, Récit a publié un post sur Telegram sur les appels à des négociations de paix et à des compromis pour mettre fin aux bombardements russes sur la capitale, par des blogueurs ukrainiens populaires. Il répondait également au parlementaire Artem Dmytruk, qui soutenait vigoureusement ces blogueurs.
Le Medvedtchouk dont il est question est le leader de la « Plate-forme d’opposition pour la vie » ukrainienne. Son parti, dont le slogan principal était de mettre un terme à la guerre en négociant, a été interdit en 2022, tandis qu’il était arrêté et expulsé.
Voici :
Si la guerre se poursuit encore un an, la population portera les Dmytruk au pouvoir. Pour l’instant, ils sont encore marginaux. Si elle dure encore, Medvedtchouk reviendra avec un drapeau russe. C’est aussi simple que ça.
En étant dans les steppes Zaporogues ou aux postes de commande de la région de Donetsk, on est séparé de la population : on n’entend pas ce que des citoyens ordinaires de Lvov, Soumi, ou Kiev se racontent, on ne sait pas ce dont ils rêvent. Le fait qu’un grand nombre de gens aient soutenu les Instablogueurs (et combien n’ont pas osé le faire ?) irrite ceux qui sont pour la poursuite de la guerre. Parce qu’il s’agissait de gens réels dont le profil était accessible et non de trolls de Moscou. Ils sont nombreux et on doit en tenir compte. D’après mes observations, ce nombre augmente de façon exponentielle malgré les sondages bidons.
La population voit les scandales de corruption. La perte constante de nouveaux territoires. Le bombardement incessant. La baisse du niveau de vie. Des centaines de nouvelles tombes dans les cimetières. Des anciens combattants mutilés dans les rues. Le comportement incompréhensible de l’Occident. Il y a aussi les conditions de vie extrêmement inconfortables avec des coupures de courant par plus 35° et la perspective de nouvelles coupures d’eau. La liste est interminable.
Je m’étonne que des gens ayant fait de hautes études avec un certain niveau d’intelligence ne voient pas ce qui est en train de se dessiner.
La guerre civile hitlérienne
Dans ses récents articles, il se montrait ouvertement pessimiste sur les perspectives militaires de l’Ukraine et de ses alliés occidentaux.
Une fois encore des appels à « se battre pour la victoire » se répandent dans les réseaux sociaux suite aux bombardements terroriste à Kiev.
Voici ce que j’en pense :
1.La mobilisation et un afflux massif dans les centres de recrutement ne produiront pas des chasseurs modernes, ni des systèmes de missiles. Ça ne donnera pas plus de Patriotes ou de fusées SAM. Malheureusement même la mobilisation de 10 millions d’Ukrainiens n’empêchera pas les bombardiers stratégiques russes de décoller e Russie, ne détruira pas les armes nucléaires existantes, ne réduira pas la population de façon significative ni ses ressources naturelles.
2.Une entité forte riposte aux actes terroristes par une force redoublée. Hier à Belgorod, dans la soirée, des fenêtres d’immeubles résidentiels ont volé en éclats, un civil est mort, deux ont été légèrement blessés. Une telle « riposte » m’emplit de désespoir. Je soulignerai une fois de plus que nous avons les capacités de tuer tout ce qui est vivant dans un rayon de 100 km à la frontière. Remerciements aux commandants du niveau tactique qui prennent la responsabilité de raser les districts de Shebekino et Rylsky en Fédération russe. Ce sont de jeunes officiers commandant de bataillons. En d’autres termes, il s’agit d’une initiative de la base d’une partie consciente de l’armée, mais il n’existe pas de volonté politique d’entreprendre de telles actions.
3.Nous ne serons pas invités au sommet de l’OTAN pour rejoindre l’alliance. Nous ne sommes pas aussi bien vus que l’Albanie. Le sujet « Ukraine dans l’OTAN » sera l’objet de marchandages pendant encore bien des années, il causera des guerres et des crises politiques. Qui plus est, dans les jours qui viennent, l’OTAN aggravera son impuissance avec une séries de résolutions, excluant pouvoir unilatéral des États-Unis dans l’alliance. La classe dominante occidentale craint que la guerre ne prenne fin si Trump arrive au pouvoir.
4. Il suffirait à l’OTAN de nous attribuer 10% des armes qui prennent la poussière dans les entrepôts puisque l’alliance ne combat personne et nous pourrions vaincre les Moscovites. Cependant les politiciens occidentaux étalent cette aide sur des années, tandis que les meilleurs Ukrainiens sont mutilés et meurent, que les villes périssent. Ils jonglent avec les avions et les missiles au nez des Ukrainiens ensanglantés depuis des années.
Quoi qu’il en soit, devant de si minces perspectives de gagner la guerre, Récits insinue clairement qu’un cessez-le-feu pour se regrouper et consolider les défenses (de même qu’une bonne vieille purge en interne) est une meilleure idée que de rester dans le hachoir à viande. J’ai discuté avec Evguéni Dyky, le corpulent ex-commandant du violent bataillon Aïdar sur mon Substack. Il est également responsable de la dépense de grosses sommes d’argent ukrainien sur les recherches antarctiques de temps de guerre. Sinon, il passe pas mal de temps sur le circuit talk-show à expliquer aux téléspectateurs que l’industrie militaire d’Ukraine vient de démarrer alors que celle de la Russie est à son apogée finale, qu’elle ne peut que décliner, etc.
L’optimisme débordant de Dyky agace vraiment Récits du IVe Reich. Leur opinion au sujet des frontières de 1991 est devenue plus claire en mars de cette année. Tout a commencé par une réponse à un article vengeur contre un jeune officier populaire par « Le Centre de lutte contre la désinformation », un organisme au nom ronflant financé par l’État.
Voici l’article du Centre anti-désinformation :
Récemment, des interviews avec le personnel militaire ont gagné une immense popularité dans l’espace informationnel ukrainien. Elles évoquent des difficultés auxquelles on aurait à faire face sur le front : manque de munitions, commandement incompétent, erreurs du gouvernement, etc.
Un exemple frappant nous en est fourni par l’interview de Kyrylo Veres, dans laquelle il prétend que nous ne serons pas capables de gagner cette guerre, et que la victoire personnelle qu’il attend est de cesser de voir mourir les soldats de son bataillon. Ainsi, il parle de négocier et de geler le conflit. Ce genre de déclarations est inacceptable. Elles contredisent la tâche fixée par le dirigeant de notre pays : le retour aux frontières de 1991.
Il est temps de revenir à la censure militaire — interdire aux officiers de donner des interviews. Les interminables pleurnicheries sur le manque de munitions et des « assauts boucherie » ne nous rapprochent pas de la victoire, mais contribuent à répandre un sentiment défaitiste dans la société. Il n’y a pas « d’assauts boucherie » dans l’armée ukrainienne et on fournit aux soldats tout ce dont ils ont besoin.
Comme le ton a changé ces derniers mois ! À présent même le Grand Dirigeant se complaît dans d’inacceptables allusions à des négociations et un gel du conflit. Voici la réponse de Récits :
Je connais personnellement Kyrylo depuis 2017. C’est un bon officier dévoué. À l’époque, il n’était encore que commandant d’une section de reconnaissance d’une des brigades mécanisées du bataillon. Avec le temps, il est devenu commandant d’un des meilleurs bataillons de l’armée ukrainienne et il a reçu « l’Étoile des Héros ». Nous avons mené plusieurs opérations communes destinées à éliminer les Moscovites et leurs laquais tandis que les « défenseurs contre la désinformation » pompaient l’argent du contribuable tranquillement à Kiev.
Les idiots refusent qu’un commandant de bataillon tienne à ce que ses subordonnés restent vivants, voit la paix revenir dans leur pays et rentrer chez eux en un seul morceau. C’est la seule position saine pour un officier ukrainien.
Voici la citation originelle de Veres, l’officier :
Que signifie la victoire ? Pour moi, c’est quand mes hommes cesseront de mourir. Si j’ai dit, il y a un an que la victoire ne pouvait être que la fin de Fédération Russe, c’est que j’étais jeune, ne commandais pas tant de monde et n’avais pas à donner l’ordre de qui allait se jeter dans la bataille.
Les poids lourds
Je connais des gens qui regrettent d’avoir voté pour Zelenski, qui pensent que le faucon Porochenko, jouissant d’une plus grande expérience dans les affaires avec la Russie et comme homme d’État (si répréhensible qu’elle soit) n’aurait pas permis la guerre en 2022.
Il est possible que le talent spécifique de Zelenski à faire fulminer tout le monde ait joué un rôle. Il suffit de se souvenir de sa sage décision de rappeler le pouvoir nucléaire de l’Ukraine soviétique le 19 février 2022.
Mais, plus important, Porochenko n’a pas disparu. Son parti constitue certainement l’opposition restante la plus puissante en temps de guerre. Sont-ils prêts à attaquer Zelenski pour sa destruction de l’armée dans une guerre ingagnable au lieu de préserver un noyau combattant ?
Jusqu’à son limogeage au début 2024, Zaloujny se posait en brise-glace anti-Zelenski. Et Zaloujny a écrit un article dans The Economist en 2023, précisant que l’Ukraine n’avait aucun espoir réel de victoire contre la Russie et se retrouvait dans une impasse. C’est cet article, ainsi que l’excessive popularité de Zaloujjny qui avaient enragé Zelenski le jusqu’auboutiste, et provoqué son remplacement.
C’est Porochenko qui avait signé les accords de Minsk en 2014-2015 pour éviter un effondrement militaire ukrainien. Peut-être peut-il le refaire avec l’aide du « Général de fer » Zaloujny.
Klitshko — un poids lourd au sens propre — a également déclaré dans une récente interview donnée aux Occidentaux que Zelenski devait ordonner un référendum sur la paix et l’abandon de certains territoires. Klitshko critique ouvertement l’autoritarisme de Zelenski et s’est allié avec Porochenko contre le président actuel de nombreuses fois par le passé. D’après la rumeur, les deux se seraient rapprochés ces derniers temps.
Le mouvement des officiers en colère
Les poids lourds de l’opposition, Zaloujny et Klitshko disposent d’un soutien important de jeunes nationalistes dans l’armée.
Une ligne de fracture cruciale s’opère en ce moment entre les jeunes commandants de brigades et les généraux. Les commandants de brigades accuse les généraux de les envoyer dans des missions-suicides à cause de « l’obsession des cartes » de la direction politique du pays, plutôt que d’avoir des objectifs stratégiques réels. Cette « prééminence de la carte sur la stratégie » est un reproche fréquent des porte-parole d’Azov comme Krotevitch dans leurs interviews à des médias nationalistes-libéraux (anti-Zelenski) comme Oukraïnskaïa Pravda.
En effet, Zelenski doit être obsédé par les cartes. Ses priorités sont opportunistes, continuer à obtenir de l’aide, avancer de petits succès. Pour reculer ses jours de pénitence.
Par exemple, avec les innombrables hommes d’affaires qu’il a emprisonnés, spoliés et enragés de multiples manières. Comme Kolomoïski, toujours sous les verrous ou encore un de ses associés, Bogolioubov, qui a récemment fui le pays et prétendu que l’État avait tenté de lui extorquer 100 millions de dollars américains en échange d’une protection légale. Ou encore, manifestement, les questions que la société lui posera après une guerre qui a coûté des centaines de milliers de vies sans rien apporter.
Les jeunes militaires nationalistes ont ouvert le feu dans cette bataille de plus en plus publique à la fin juin, contre le général Sodol (voir le précédent article) qu’ils accusaient de graphomanie meurtrière. À présent, j’attirerai l’attention sur Bogdan Krotevitch, le membre d’Azov qui a mené la charge contre le général Sodol.
Krotevitch a déclaré en interview qu’il était furieux contre Zelenski, parce que celui-ci ne s’est jamais rendu au quartier-général d’Azov sur le front, alors qu’il avait rendu visite à d’autres unités. Il pense que c’est de la condescendance. L’interview, intitulée « Je suis très en colère » a déjà été vue des millions de fois
Un autre grand sujet de discussion traite du « génie » du lieutenant-colonel Prokorenko, commandant de la brigade Azov. Par comparaison avec la stupidité des généraux. Par exemple, Krotevitch dit que la controffensive de 2023 était « demeurée »…
Un Reich pacifique mais sévère
Il se vante aussi d’avoir passé du temps avec son proche ami Zaloujny pendant qu’il était en Angleterre, il y a peu. Ils se sont vus avec leurs épouses et Krotevitch a offert un très ancien poignard de l’armée britannique à Zaloujny (les poignards sont très appréciés par les nationalistes).
Il a promis à mots couverts que les gens allaient entendre parler beaucoup plus de Zaloujny dans l’avenir.
Et le premier discours de Zaloujny à la conférence sur la guerre terrestre à Londres le 23 juillet au sujet de « La Troisième Guerre mondiale » a bien fait comprendre qu’il n’était que peu démocrate :
La société doit renoncer à un certain nombre de libertés pour survivre…
Malheureusement, les guerres modernes sont totales. Elles exigent des efforts non seulement de l’armée mais de toute la société. Les politiciens peuvent et doivent mobiliser la société. Pour ce faire, elles doivent se servir des ressources militaires et d’autres natures de façon absolue. Ces ressources incluent l’économie, les finances, la population et les alliés. Ces actions influenceront, bien sûr, les processus politiques dans le pays.
Tout cessez-le-feu du genre prôné par Zaloujny, « Les Récits… » ou Krotévitch serait brutal. Dépensant moins d’énergie contre l’ennemi étranger, plus contre l’ennemi intérieur. Les blogueurs n’embêteront plus personne avec leurs exigences de paix.
Peter Korotaev
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