Dans un long entretien d’une heure et demie diffusé, le 1er septembre 2021, sur la radio espagnole Cope, le pape François a répondu à une série de questions concernant son pontificat.

Interrogé sur le Motu proprio Traditionis custodes qui limite drastiquement la célébration de la messe tridentine, le pape François s’est défendu d’avoir frappé fort sur la table : « Je ne suis pas du genre à taper sur la table […]. Je suis plutôt timide. »

Il a rappelé qu’une évaluation globale avait été réalisée récemment [une enquête auprès des évêques dont les résultats n’ont pas été communiqués. NDLR]. Elle a révélé selon lui que ce qui « était fait pour aider pastoralement ceux qui avaient vécu une expérience antérieure, était en train de se transformer en idéologie ».

« Nous avons donc dû réagir avec des normes claires », a-t-il déclaré. Le pape François a confié avoir « beaucoup travaillé, avec des gens traditionalistes de bon sens », sans donner de noms.

Il a par ailleurs voulu réexpliquer l’esprit des mesures prises : « Si vous lisez bien la lettre [d’accompagnement] et si vous lisez bien le décret [le Motu proprio], vous verrez qu’il s’agit simplement d’une remise en ordre constructive, avec une attention pastorale. »

Cette « remise en ordre constructive » du Motu proprio est loin d’avoir été perçue par les premiers concernés : les communautés naguère rattachées à la Commission Ecclesia Dei, aujourd’hui dissoute.

Le 30 juillet, Philippe Maxence sur le site de L’Homme nouveau indiquait une différence de traitement de la part du pape vis-à-vis de la Fraternité Saint-Pie X et des communautés Ecclesia Dei : « Si le pape François a pris une telle décision, c’est qu’il estime qu’il y a un risque de constitution d’une Eglise parallèle et une remise en cause croissante de Vatican II.

« Soulignons toutefois que ces mesures ne concernent pourtant pas la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre, à laquelle François a accordé un tel nombre d’autorisations qu’elle se trouve de fait comme reconnue dans l’Eglise.

« Or, c’est en son sein que continue d’être portée une critique constante de Vatican II. La sévérité à l’égard des catholiques à l’intérieur des structures ecclésiales et la modération à l’égard de ceux qui sont à l’extérieur ne laissent pas d’interroger. »

Et de signaler le problème doctrinal sous-jacent : « Si, contrairement à ce que pensait Benoît XVI, la messe traditionnelle ne peut être la lex orandi (la loi de la prière) de Vatican II, à l’instar de la messe de Paul VI, alors ceux qui critiquent ce concile comme une rupture radicale avec la Tradition se trouvent fondés dans leur approche.

« Nous sommes donc dans une situation qui remet en cause non seulement Summorum Pontificum de Benoît XVI, mais aussi son discours de décembre 2005 sur les deux herméneutiques. »

Comment le pape voit-il les communautés Ecclesia Dei ?

A propos des communautés Ecclesia Dei et de la Fraternité Saint-Pie X, il n’est pas inutile de se reporter à un entretien accordé à Res Novæ, le 14 juin – soit un mois avant la publication de Traditionis custodes –, par Mgr Carlo Maria Viganò. Avec la connaissance des milieux romains qui est la sienne, l’ancien nonce apostolique aux Etats-Unis aborde la question sans « langue de buis ».

Selon lui, l’approche du pape est principalement « politique : il tolère les communautés Ecclesia Dei parce qu’elles tiennent les conservateurs loin des paroisses et en même temps il garde le contrôle sur elles en les obligeant à limiter leur dissension au plan strictement liturgique, tout en garantissant leur fidélité à l’idéologie conciliaire ».

Pour le diplomate romain, « à l’égard de la Fraternité Saint-Pie X nous assistons à une opération plus subtile : le pape Bergoglio entretient avec elle des rapports “de bon voisinage” et tout en reconnaissant d’une part à ses supérieurs quelques prérogatives prouvant qu’il les considère comme des membres vivants de l’Eglise, d’autre part il pourrait vouloir troquer leur complète régularisation canonique contre l’acceptation du magistère conciliaire.

« Il est évident qu’il s’agit d’un piège insidieux : une fois signé un accord avec le Saint Siège, l’indépendance dont jouit la Fraternité en vertu de sa position de légalité incomplète disparaîtrait, et son indépendance économique avec.

« N’oublions pas que la Fraternité dispose de biens et de ressources qui garantissent la subsistance et le financement des aides sociales de ses membres : dans un moment de crise financière extrêmement grave pour le Vatican, nombreux sont certainement ceux qui sont attirés par ces biens, comme nous l’avons vu dans d’autres cas, à commencer par les Franciscains de l’Immaculée et la persécution du père Mannelli. »

A la question : « Pensez-vous que le statut protecteur (dépendance de la Congrégation de la Foi et non de la Congrégation des Religieux) voulu par Joseph Ratzinger avant et après son accession au souverain pontificat pour les sociétés de vie apostolique qui pratiquent la messe traditionnelle, est en danger aujourd’hui ? », Mgr Viganò répond sans ambages :

« La position canonique des communautés Ecclesia Dei a toujours été en danger : leur survivance est liée à leur acceptation, au moins implicite, de la doctrine conciliaire et de la réforme liturgique. Ceux qui ne s’y adaptent pas en critiquant Vatican II ou en refusant de célébrer ou d’assister au rite réformé se placent ipso facto dans la condition d’être renvoyés.

« Les supérieurs de ces sociétés de vie apostolique eux-mêmes finissent par être surveillés par leurs clercs à qui il est vivement conseillé de s’abstenir de critiques et de donner de temps à autre des marques tangibles d’alignement, par exemple en prenant part aux offices dans la dénommée “forme ordinaire”.

« Paradoxalement, dans le domaine doctrinal un prêtre diocésain a plus de liberté de parole qu’un membre de l’un de ces instituts. »

Et le prélat romain d’apporter ces précisions : « dans la mentalité de ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui au Vatican, loin d’encourager la redécouverte du rite traditionnel, les excentricités liturgiques de certaines communautés [Ecclesia Dei] en donnent une image élitiste et confinent ce rite au “petit monde ancien”, où les artisans de l’Eglise du pape Bergoglio ont tout intérêt à le reléguer.

« Rendre normale la célébration de la messe catholique, d’après les préceptes du Motu proprio Summorum Pontificum, sans la reléguer dans une “réserve liturgique” ou la confiner dans des espaces spécifiques, donnerait l’impression que n’importe quel fidèle peut assister à la messe sans autre titre d’appartenance que celui d’être catholique.

« Inversement, ce château bureaucratique kafkaïen confine l’ensemble des conservateurs dans une enceinte en les obligeant à suivre les règles du confinement et à ne rien prétendre de plus par rapport à ce que la grâce souveraine daigne leur accorder, presque toujours avec l’opposition à peine dissimulée de l’évêque diocésain. »

Les communautés Ecclesia Dei demandent un médiateur

Le 31 août, à l’issue d’une réunion à Courtalain, douze supérieurs de communautés Ecclesia Dei faisaient paraître un communiqué dans lequel on pouvait lire : « Nous nous sentons soupçonnés, mis en marge, bannis.

« Cependant, nous ne nous reconnaissons pas dans la description donnée par la Lettre d’accompagnement du Motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021. […]

« Nous réaffirmons notre adhésion au magistère (y compris à celui de Vatican II et à ce qui suit) selon la doctrine catholique de l’assentiment qui lui est dû (cf. notamment Lumen Gentium, n° 25, et Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 891 et 892), comme le prouvent les nombreuses études et thèses de doctorat faites par plusieurs d’entre nous depuis 33 ans. »

Et de demander un médiateur, en s’appuyant sur la sollicitude miséricordieuse manifestée dans Amoris lætitia : « Nous supplions que s’ouvre un dialogue humain, personnel, plein de confiance, loin des idéologies ou de la froideur des décrets administratifs. Nous voudrions pouvoir rencontrer une personne qui sera pour nous le visage de la Maternité de l’Eglise.

« Nous voudrions pouvoir lui raconter la souffrance, les drames, la tristesse de tant de fidèles laïcs du monde entier, mais aussi de prêtres, religieux, religieuses qui ont donné leur vie sur la parole des papes Jean-Paul II et Benoît XVI. On leur avait promis que “toutes les mesures seraient prises pour garantir l’identité de leurs Instituts dans la pleine communion de l’Eglise catholique”. […]

« Le pape François “invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Eglise” (Amoris lætitia, n° 312). […]

« On entend parler aujourd’hui de visites apostoliques disciplinaires pour nos Instituts. Nous demandons des rencontres fraternelles où nous puissions expliquer qui nous sommes et les raisons de notre attachement à certaines formes liturgiques. Nous désirons avant tout un dialogue vraiment humain et miséricordieux : “Sois patient envers moi !” […]

« Avec confiance, nous nous tournons tout d’abord vers les évêques de France afin qu’un vrai dialogue soit ouvert et que soit désigné un médiateur qui soit pour nous le visage humain de ce dialogue.

« “Il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations… Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde imméritée, inconditionnelle et gratuite” (Amoris lætitia, n° 296-297). »

Le 3 septembre, sur le site La Porte Latine, l’abbé Jean-Michel Gleize, professeur d’ecclésiologie à Ecône, commentait cette déclaration :

« Inquiets à l’idée que leurs Instituts soient soumis à des visites apostoliques disciplinaires, qui pourraient aboutir à les priver de la possibilité de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V, ces signataires protestent de leur adhésion au magistère de Vatican II et d’après, et se tournent vers les évêques de France, afin d’implorer leur patience et leur écoute, leur compréhension et leur miséricorde – dans un dialogue vraiment humain.

« Pas un mot sur la nocivité foncière de la nouvelle messe de Paul VI. Pas un mot sur les fruits amers du Concile. Pas un mot sur l’accélération consternante de la crise de l’Eglise sous le pape François.

« Et la communion aux divorcés remariés ? Et le scandale de la Pachamama ? La diplomatie, si c’en est une, confine ici avec la naïveté ou l’inconscience, quand ce ne serait pas avec l’hypocrisie. Que vont dire les pauvres et braves fidèles qui fréquentent ces Instituts ? »

Et de soulever la question de fond : « Que demandent en définitive tous ces supérieurs majeurs ? Ils demandent la liberté, la liberté de continuer à célébrer le rite de l’ancienne messe, au milieu de tous ceux qui célèbrent le rite de la nouvelle messe.

« Or, cette liberté est impossible. Et ce qui frappe, à la lecture de cette lettre, c’est l’absence de toute référence à la vérité qui délivre : vérité de l’opposition foncière qui interdit au nouveau rite de la messe de Paul VI de cohabiter pacifiquement avec le rite de la messe de toujours.

« Pourquoi une telle opposition ? Redisons cette évidence : la loi de la prière est l’expression de la loi de la croyance. Or, le nouveau rite de la messe de Paul VI est l’expression d’une nouvelle croyance, en opposition avec l’ancienne.

Mgr Lefebvre l’a répété à plusieurs reprises, notamment dans son homélie lors des ordinations sacerdotales du 29 juin 1976 : “Nous avons la conviction que précisément ce rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n’est pas la nôtre, une foi qui n’est pas la foi catholique.

« Cette nouvelle messe est un symbole, une expression, une image d’une foi nouvelle, d’une foi moderniste. Ce rite nouveau, sous-tend – si je puis dire – suppose une autre conception de la religion catholique, une autre religion”. »

Dans l’attente des modalités d’application…

Le 6 septembre, les visites ad limina des évêques de France ont commencé et vont se poursuivre dans les semaines prochaines. Nul doute que le Motu proprio ne soit à l’ordre du jour des conversations que les prélats auront avec le pape et les présidents des différents dicastères romains.

Une occasion de voir comment Traditionis custodes sera appliqué concrètement à Rome même, sera le pèlerinage du mouvement Summorum Pontificum prévu du 29 au 31 octobre, où Mgr Salvatore Cordileone archevêque de San Francisco (Etats-Unis) doit célébrer le samedi 30 à 11h30 une messe pontificale à l’autel de la Chaire, dans la basilique Saint-Pierre.

Pour information : le 5 août, à la Catholic News Agency (CNA), ce prélat américain s’est dit « affligé » par les critiques adressées au pape après la parution de Traditionis custodes.

Certes il a autorisé une célébration mensuelle de la messe traditionnelle dans sa cathédrale, mais il a tenu à préciser qu’il soutenait « le pape François dans son souci de faire en sorte que ceux qui sont attirés par des formes plus traditionnelles du culte catholique, affirment également la validité de la forme Novus Ordo de la messe et, finalement, du concile Vatican II lui-même. »

Source : fsspx.news du 1er octobre 2021

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