Le 21 janvier 1793, le roi de France Louis XVI était guillotiné. Pas parce qu’il était coupable, mais pour raison d’Etat.
Dans un discours prononcé le 3 décembre 1792, Robespierre l’avouait devant la Convention :
« Louis ne peut donc être jugé ; il est déjà jugé. Il est condamné, ou la république n’est pas absoute. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal ; c’est une idée contre-révolutionnaire ; car c’est mettre la révolution elle-même en litige. »
Ces mots terribles résonnent comme une sentence : le roi de France, coupable ou innocent, était condamné avant même d’être jugé. On peut parler de parodie de justice. Malgré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les droits de l’homme ont été foulés aux pieds ce jour-là. Par ceux-là mêmes qui se présentaient comme leurs défenseurs. On croit entendre en écho la déclaration de Saint-Just : « Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » La marche à la dictature et à la Terreur était ouverte.
Face à ce destin écrit d’avance et inéluctable, le roi Louis XVI ne nourrit point d’illusions. Le 25 décembre 1792, vingt jours avant que le verdict ne soit rendu, le roi de France rédigea dans la solitude de son cachot un testament (1) qui nous est parvenu. Ce document est un témoignage unique pour l’histoire. C’est aussi une leçon de politique.
Louis XVI commence par placer cet ultime acte de roi sous l’égide de Dieu : « Au nom de la très-Sainte-Trinité, du père et du fils et du Saint-Esprit ».
L’entrée en matière du testament rappelle que, depuis le sacre de Clovis, le roi de France tient son royaume de Dieu dont il n’est que le lieutenant sur la terre. Louis XVI indique ensuite les conditions dans lesquelles il se trouve : incarcéré avec sa famille depuis plus de 4 mois, isolé des siens depuis le 11 décembre, « impliqué dans un procès dont il est impossible de prévoir l’issue », et qui lui a été intenté illégalement (« dont on ne trouve aucuns prétexte ni moyens dans aucune loi existante »). C’est donc un souverain déchu et un homme désespérément seul qui couche ses dernières volontés et sentiments sur le papier.
Profondément chrétien, Louis XVI dont on sait combien il était réformiste, entra en conflit avec la Révolution d’abord pour des questions religieuses, et plus particulièrement en raison des atteintes que la Révolution portait à la religion catholique et au clergé. La première partie du testament permit au roi de confesser sa foi chrétienne : « Je laisse mon âme à Dieu », et plus loin « Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le symbole et les commandements de Dieu et de l’Eglise ». Dans le préambule, Louis XVI a écrit qu’il était impossible de prévoir l’issue de son procès. Mais dès le début du testament, il apparaît que le roi ne nourrissait aucune illusion quant au verdict de mort : « Je meurs dans l’union de notre sainte mère l’Eglise catholique, apostolique et romaine ».
Roi très chrétien, Louis XVI cultivait la vertu théologale de charité :
« Je plains de tout mon cœur nos frères qui peuvent être dans l’erreur ». Cette charité s’étend même à ses bourreaux, devant qui le roi clame encore son innocence : « Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits mes ennemis, sans que je leur en aie donné aucun sujet ». Le roi insista encore sur les conditions particulièrement inhumaines de sa détention, et notamment sur l’interdiction qui lui fut faite de bénéficier du secours d’un prêtre : « Ne pouvant me servir d’un prêtre catholique, je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite ». Ici, Louis XVI inscrivit les véritables causes du conflit qui l’opposa à la Révolution, en priant Dieu de recevoir « surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom (quoique ce fut contre ma volonté) à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l’Eglise catholique ».
Ayant rendu ses devoirs à Dieu et pardonné à ses ennemis, Louis XVI écrivit combien ses dernières pensées allaient à sa famille : « Je recommande à Dieu ma femme et mes enfants, ma sœur et mes tantes, mes frères, et tous ceux qui me sont attachés par les liens du sang ». Devant sa mort prochaine, Louis XVI recommanda ses enfants à sa femme, puis à sa sœur dans le cas où les enfants seraient venus à perdre leur mère. On doit ici prendre acte de la lucidité du roi qui, convaincu de sa mort prochaine, craignait que son épouse ne soit amenée à connaître elle aussi ce destin tragique, et espérait que sa sœur pourrait recevoir la garde des enfants royaux.
Le testament montre combien Louis XVI a pu trouver de réconfort dans la foi catholique, et combien il était un mari affectueux et un père aimant.
Face à l’adversité, le roi n’a que brièvement abordé la question de ce qu’on appellerait aujourd’hui la « politique ». Et pourtant, que d’enseignements on tire de ces quelques lignes ! Louis XVI le fit par de brèves recommandations à son fils, insistant avec vérité sur la réalité de la fonction royale, qui n’apporte pas le bonheur à son titulaire, mais au contraire une charge, une responsabilité et un devoir de magnanimité : « Je recommande à mon fils, s’il avait le malheur de devenir Roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, (…) qu’il ne peut faire le bonheur des peuples qu’en régnant selon les lois ; mais en même temps qu’un Roi ne peut les faire respecter et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire ». Chef d’œuvre de concision, ce véritable testament politique brille de mille éclats dans les ténèbres de la Terreur. « Le malheur de devenir roi » appelle le dauphin à la lourde responsabilité de la fonction royale et, par la recommandation à oublier toute haine et tout ressentiment, Louis XVI rappelle son ancêtre Louis XII, homme de devoir qui déclara à son avènement que « le roi de France ne venge pas les injures du duc d’Orléans ». Ce court passage montre aussi combien Louis XVI était réformiste. Il évoque le bonheur de ses concitoyens, et non de ses sujets, et il admet que le roi ne peut régner que selon les lois, à la condition toutefois de disposer d’un pouvoir propre qui lui permettrait d’être le garant du Droit. C’est presque la Constitution adoptée 165 ans plus tard par les Français sur la proposition du général de Gaulle.
La suite du testament comporte les remerciements adressés par le roi à tous ceux qui l’ont soutenu dans le calvaire qui lui fut infligé.
Louis XVI décerna une mention toute particulière à Claude Lorimier de Chamilly et à François Hüe, ses valets de chambre qui partagèrent avec lui une partie de sa détention, ainsi que Jean-Baptiste Cléry qui fut le seul valet de chambre autorisé à demeurer auprès du souverain jusqu’au dernier jour. Louis XVI remercia également Messieurs de Malesherbes, Tronchet et Dezèze, ses avocats, qui ont disposé de huit jours à peine pour répondre à l’acte d’accusation que la Convention avait préparé pendant quatre mois. Enfin, le roi pardonna aussi « à ceux qui [le] gardaient, les mauvais traitements et les gênes dont ils ont cru devoir user envers [lui] ».
Pour finir, Louis XVI déclara devant Dieu, et on sait combien cette solennité avait d’importance pour lui, qu’il ne se reprochait aucun des crimes qui avaient été avancés contre lui.
On voit que le testament du roi Louis XVI est un modèle de lucidité, de foi et d’humanité. C’est aussi une leçon pour les époques troublées et un exemple édifiant pour notre temps. Il reste en héritage à tous les Français, mais il est soumis à la méditation de chaque être humain.
André Murawski – 21 janvier 2025
(1) Intégralité du testament du roi martyr Louis XVI
Au nom de la très Sainte-Trinité du Père du fils et du St Esprit. Aujourd’hui vingt cinquième jour de Décembre, mil sept cent quatre-vingt-douze. Moi Louis XVIe du nom Roy de France, étant depuis plus de quatre mois enfermé avec ma famille dans la Tour du Temple à Paris, par ceux qui étaient mes sujets, et privé de toute communication quelconque, même depuis le onze du courant avec ma famille de plus impliqué dans un Procès, dont il est impossible de prévoir l’issue à cause des passions des hommes, et dont on ne trouve aucun prétexte ni moyen dans aucune Loy existante, n’ayant que Dieu pour témoin de mes pensées et auquel je puisse m’adresser. je déclare ici en sa présence mes dernières volontés et mes sentiments.
Je laisse mon âme à Dieu mon créateur, je le prie de la recevoir dans sa miséricorde, de ne pas la juger d’après ses mérites, mais par ceux de Notre Seigneur Jesus Christ, qui s’est offert en sacrifice à Dieu son Père, pour nous autres hommes quel qu’indignes que nous en fussions, et moi le premier.
Je meurs dans l’union de notre sainte Mère l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine, qui tient ses pouvoirs par une succession non interrompue de St Pierre auquel J.C. les avait confiés. je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le Symbole et les commandements de Dieu et de l’Eglise, les Sacrements et les Mystères tels que l’Eglise Catholique les enseigne et les a toujours enseignés. je n’ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d’expliquer les dogmes qui déchire l’Eglise de J.C. mais je m’en suis rapporté et rapporterai toujours si Dieu m’accorde vie, aux décisions que les supérieurs Ecclésiastiques unis a la Sainte Eglise Catholique, donnent et donneront conformément à la discipline de l’Eglise suivie depuis J.C. je plains de tout mon cœur nos frères qui peuvent être dans l’erreur, mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en J.C. suivant ce que la charité Chrétiennes nous l’enseigne.
Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés. j’ai cherché à les connaitre scrupuleusement à les détester et à m’humilier en sa présence, ne pouvant me servir du Ministère d’un prêtre Catholique. je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite et surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom, (quoique cela fut contre ma volonté) a des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l’Eglise Catholique à laquelle je suis toujours reste sincèrement uni de cœur. je prie Dieu de recevoir la ferme résolution ou je suis s’il m’accorde vie, de me servir aussitôt que je le pourrai du Ministère d’un prêtre Catholique pour m’accuser de tous mes péchés, et recevoir le Sacrement de Pénitence.
Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés par inadvertance, (car je ne me rappelle pas d’avoir fait sciemment aucune offense à personne) ou ceux à qui j’aurais put avoir donné de mauvais exemples ou des scandales de me pardonner le mal qu’ils croient que je peux leur avoir fait
Je prie tous ceux qui ont de la Charité d’unir leurs prières aux miennes, pour obtenir de Dieu le pardon de mes péchés.
Je pardonne de tout mon cœur, a ceux qui se sont fait mes ennemis sans que je leur en aie donne aucun sujet et je prie Dieu de leur pardonner, de même que ceux qui par un faux zèle, ou par un zèle mal entendu m’ont fait beaucoup de mal.
Je recommande à Dieu, ma femme, mes enfants, ma Sœur, mes Tantes, mes Frères, et tous ceux qui me sont attachés par les Liens du Sang ou par quel qu’autre manière que ce puisse être. je prie Dieu particulièrement de jeter des yeux de miséricorde, sur ma femme mes enfants et ma Sœur qui souffrent depuis longtemps avec moi, de les soutenir par sa grâce s’ils viennent à me perdre, et tant qu’ils resteront dans ce monde périssable.
Je recommande mes enfants à ma femme, je n’ai jamais douté de sa tendresse maternelle pour eux, je lui recommande surtout d’en faire de bons Chrétiens et d’honnêtes hommes, de leur faire regarder les grandeurs de ce monde ci (s’ils sont condamnés à les éprouver) que comme des biens dangereux et périssables et de tourner leurs regards vers la seule gloire solide et durable de l’Éternité. je prie ma Sœur de vouloir bien continuer sa tendresse à mes enfants, [mots raturés], et de leur tenir lieu de Mère, s’ils avoient le malheur de perdre la leur.
Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donnés dans le cours de notre union, comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croit avoir quelque chose à se reprocher.
Je recommande bien vivement à mes enfants, après ce qu’ils doivent à Dieu qui doit marcher avant tout, de rester toujours unis entre eux, soumis et obéissants à leur Mère, et reconnaissants de tous les soins et les peines qu’elle se donne pour eux, et en mémoire de moi. je les prie de [mot raturé] regarder ma Sœur comme une seconde Mère.
Je recommande à mon fils s’il avait le malheur de devenir Roy, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses Concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve. qu’il ne puisse faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en même temps qu’un Roy ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile.
Je recommande à mon fils d’avoir soin de toutes les personnes qui m’étaient attachées, autant que les circonstances où il se trouvera lui en donneront les facultés, de songer que c’est une dette sacrée qui j’ai contractée envers les enfants ou les parents de ceux qui ont péris pour moi, et ensuite de ceux qui sont malheureux pour moi je sais qu’il y a plusieurs personnes de celles qui m’étaient attachées qui ne se sont pas conduites envers moi comme elles le devaient, et qui ont même montrés de l’ingratitude, mais je leur pardonne, (souvent dans les moments de troubles et d’effervescence on n’est pas le maitre de soi) et je prie mon fils s’il en trouve l’occasion de ne songer qu’à leur malheur.
Je voudrais pouvoir témoigner ici ma reconnaissance a ceux qui m’ont montré un véritable attachement et désintéressé. d’un côté si j’étais sensiblement touché de l’ingratitude et de la déloyauté de gens à qui je n’avois jamais témoignés que des bontés, à eux à leurs parents ou amis, de l’autre j’ai eu de la consolation à voir l’attachement et l’intérêt gratuit que beaucoup de personnes m’ont montrée. je les prie d’en recevoir tous mes remercîments, dans la situation ou sont encore les choses, je craindrais de les compromettre, si je parlais plus explicitement mais je recommande spécialement à mon fils de chercher les occasions de pouvoir les reconnaitre.
Je croirais calomnier cependant les sentiments de la Nation si je ne recommandais ouvertement à mon fils Mrs de Chamilly et Hue, que leur véritable attachement pour moi, avait porté à s’enfermer avec moi dans ce triste séjour, et qui ont pensés en être les malheureuses victimes. je lui recommande aussi Cléry des soins duquel j’ai eu tout lieu de me louer depuis qu’il est avec moi comme c’est lui qui est resté avec moi j’jusqu’à la fin, je prie Mrs de la Commune de lui remettre mes hardes mes livres, ma montre ma bourse, et les autres petits effets qui ont étés déposés au Conseil de la Commune.
Je pardonne encore très volontiers a ceux qui me gardaient, les mauvais traitements et les gênes dont ils ont cru devoir user envers moi. j’ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes, que celles-là jouissent dans leur cœur de la tranquillité que doit leur donner leur façon de penser.
Je prie Mrs de Malesherbes Tronchet et de Seze, de recevoir ici tous mes remercîments et l’expression de ma sensibilité, pour tous les soins et les peines qu’ils se sont donnés pour moi.
Je finis en déclarant devant Dieu et prêt à paraitre devant lui que je ne me reproche aucun des crimes qui sont avancés contre moi. Fait double a la tour du Temple le 25 Décembre 1792.
Louis
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